Des soldats en guerre en terres vaudoises
Au Tattoo d'Avenches, l'armée ukrainienne remercie la Suisse en fanfare

Pour sa 19e édition, Le Tattoo d'Avenches (VD) accueille un orchestre de l'armée ukrainienne… en pleine guerre. Musiciens appelés au front, région bombardée et diplomatie: leur prestation est tournée vers l'ouest. Reportage en répétition, avant le concert de jeudi.
Publié: 04.09.2025 à 20:00 heures
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Dernière mise à jour: 04.09.2025 à 20:03 heures
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Envoyer ses soldats musiciens à l'étranger plutôt qu'au front, c'est un enjeu de communication pour l'armée ukrainienne.
Photo: Kristaps Kitners
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Léo MichoudJournaliste Blick

Les cornemuses, les tambours, les violons et les trompettes résonnent en désordre, ce mardi matin au Tattoo d’Avenches. Pour cause, dans la commune vaudoise, l’heure est aux répétitions du grand spectacle de chorégraphies militaires et de musique celtique. La première, c’est alors dans deux jours – ce jeudi 4 septembre au soir.

Il est 13h quand vient le tour du «Military Brass Band of the 194th Pontoon Bridge Brigade». Et sous un soleil de plomb, les regards – des bénévoles comme des jeunes recrues militaires suisses présentes sur place – se tournent vers ces invités un petit peu spéciaux.

Un orchestre de l’armée ukrainienne

Cet orchestre n’est autre que celui de l’armée ukrainienne. Leur corpulence, leurs jeans et leurs baskets ne laissent rien transparaître. Mais les trente et quelques musiciens et musiciennes qui le composent sont des soldats, des vrais, en pleine guerre dans leur pays, qui vivent la loi martiale depuis l’invasion de la Russie en 2022.

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A la baguette, un grand et fin gaillard, aux cheveux gris et aux yeux d’un bleu perçant, est le seul à porter un uniforme vert aux motifs camouflage. Le colonel Bogdan Zadorozhny semble avoir une idée très claire de ce qu’il veut voir… et entendre. Il crie des consignes en ukrainien, que ses subalternes armés de saxophones, de tubas et de percussions appliquent illico presto.

Les musiciens construisent des ponts

Lorsqu’ils ne jouent pas de leur instrument, pour des parades ou dans des festivals à l’étranger, les membres de la brigade musicale donnent dans la logistique et la gestion des ponts militaires de l’armée ukrainienne. Et parfois, comme tous les jeunes hommes et femmes du pays, ils sont appelés sur le front.

«
Nous sommes musiciens, oui. Mais en premier lieu, nous sommes des militaires
Bogdan Zadorozhny, chef d'orchestre et colonel ukrainien
»

C’est pourquoi une poignée des soldats de Bogdan Zadorozhny n’a pas pu prendre le bus avec les autres: «En Ukraine, la situation est très compliquée, les bombardements sont quotidiens. Mon pays a besoin de soldats. Nous sommes musiciens, oui. Mais en premier lieu, nous sommes des militaires.»

Quelques instruments manquent à l’appel dans l’orchestre. «Aujourd’hui, il me manque deux trombones, une clarinette, un tambour et un saxophone baryton, déplore le chef d’orchestre. Je n’ai eu que deux jours pour le faire, mais j’ai modifié mon spectacle en conséquence. J’espère que le public suisse appréciera!»

Une playlist tournée vers l’ouest

C’est la première participation au Tattoo d’Avenches de cet orchestre réputé pour son «humour subtil», sa «rigueur musicale» et sa «puissance sonore». Sur la petite heure de besogne musicale, on reconnaît un medley de chansons, souvent rock et résolument tournées vers l’ouest. «Ce sont des morceaux connus dans le monde, mélangés à des chansons ukrainiennes.»

Queen, Scorpions et chansons de l'Eurovision tout y passe à la sauce «jaune et bleue». A plusieurs reprises, au moment des transitions entre les morceaux, les musiciens-soldats hurlent en chœur «Slava Oukraïni», le salut national, qui signifie «Gloire à l’Ukraine» – un symbole de résistance prisé des forces armées.

Diplomatie à petite échelle

D’ordinaire, le brass band militaire a ses quartiers dans la ville de Samar, dans l’Oblast de Dnipro à l’est de l’Ukraine. Avant la guerre d’agression russe, la ville s’appelait Novomoskovsk – ce qui se traduit par «Nouveau Moscou» et n’était plus du goût des Ukrainiens. «Tous les jours, il y a des bombes et des drones russes. Mon fils de trois ans a dû passer la nuit dernière dans un bunker», raconte le colonel et chef d’orchestre.

«
Nous sommes venus montrer une partie de notre culture et notre armée dans les autres pays.
Bogdan Zadorozhny, chef d'orchestre et colonel ukrainien
»

Au fond, la présence de l’armée ukrainienne en terres vaudoises, sous le vernis de la musique, est surtout un enjeu de communication et de diplomatie. «Mon orchestre remercie chaleureusement la Suisse et sa population pour son soutien à l’Ukraine, commence le militaire à la baguette. Nous sommes venus montrer une partie de notre culture et notre armée dans les autres pays. Aujourd’hui, l’armée ukrainienne est peut-être la meilleure d’Europe.»

Les seuls pays dans lesquels l’orchestre voyage sont ceux qui apportent leur soutien au pays en guerre. D’une voix grave, le colonel rappelle que tous ses musiciens ont une famille dans la région de Dnipro et que la plupart ont des enfants. «Jeudi dernier, mon fils de trois ans est resté dans un bunker toute la nuit», exemplifie-t-il.

Après la répétition des Ukrainiens, c’est au tour de l’école de recrue de l’armée suisse d’entrer dans l’arène. Les soldats d’un pays en guerre aux portes de l’Europe laissent donc leur place aux représentants de la neutralité helvétique.

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