Quelques heures. C’est le temps qu’il aura fallu aux chasseurs et gardes-chasse pour abattre un loup en début de semaine dans la région de Conches, dans le Haut-Valais. Mardi 5 août, le conseiller d’Etat Christophe Darbellay himself confirmait la nouvelle au journal «Walliser Bote», avec une rhétorique de politicien en campagne: «Nous ne pouvons agir contre le loup qu’ensemble».
Le ton est donné. Après avoir mis la main sur le service de la chasse cette année lors du remaniement de la nouvelle législature, le ministre chasseur assoit son image de pourfendeur du prédateur, en enchaînant les décisions de tir. Arguant que la «limite de charge» du canton est dépassée et que le nombre de meutes doit baisser de onze – selon les estimations du Service de la chasse – à trois (le minimum légal pour la région), le conseiller d’Etat a annoncé vouloir discuter avec le conseiller fédéral Albert Rösti. Son but: pouvoir réaliser des tirs préventifs même quand il n'y a pas encore eu d'attaques sur des troupeaux.
Les milieux de défense de l’environnement sont atterrés. Mais au-delà du fond, c’est la forme qui choque: «Christophe Darbellay jette de l’huile sur le feu, alors qu’un conseiller d’Etat devrait calmer les débats et les objectiver», regrette le conseiller national Vert Christophe Clivaz. L’ancien vice-directeur de l’Office fédéral de l’environnement et président de Pro Natura Valais, Willy Geiger, va plus loin. Selon lui, le ministre «la joue à la Trump» dans le dossier loup: «En affirmant que la situation est hors de contrôle, il érige une vision économico-politique en vérité scientifique».
Arguments scientifiques balayés
Avec d’autres ONG, Pro Natura a fait parvenir cette semaine au conseiller d’Etat un courrier accompagné d’un long article publié dans le dernier bulletin de l’organisation Fauna Valais. Dans leur lettre, les défenseurs du prédateur demandent notamment un meilleur suivi du loup ainsi qu'un respect des normes et des conditions pour le tir. Quant à l'article, il offre une synthèse de la régulation proactive dans le canton sur ces deux derniers hivers. Selon cette analyse, les tirs stimulent la reproduction des prédateurs pour compenser les pertes. Or, d'après des modèles scientifiques, le taux d’accroissement de la population de loups aurait baissé même sans régulation, en raison de la concurrence entre les meutes – car le gibier est, lui, limité.
Le texte est signé par Isabelle Germanier, coordinatrice romande du Groupe Loup Suisse, et Raphaël Arlettaz, professeur de biologie à l’Université de Berne, dont l’inimitié avec Christophe Darbellay n’est un secret pour personne. A priori donc, pas de quoi convaincre le conseiller d’Etat de changer son fusil d’épaule.
D’autant plus que l’élu n’hésite pas à balayer les arguments de la science. Début 2024, il avait provoqué la consternation sur les ondes de la RTS en laissant entendre que le loup avait potentiellement été réintroduit en Suisse, alors qu’il existe un consensus scientifique sur un retour naturel du prédateur depuis l’Italie.
Et il y a quelques semaines, rebelote: toujours sur la RTS, le ministre a qualifié de «petite polémique estivale» des statistiques révélées par nos confrères du «SonntagsBlick», selon lesquelles seule la moitié des loups tirés en Valais l'hiver dernier appartenait pour sûr à la meute visée.
«Eviter de répondre sur le fond»
Arguant que ses collaborateurs n’avaient trouvé «aucun rapport qui évoque ces chiffres», Christophe Darbellay les a «mis sur le compte du SonntagsBlick» en dénonçant un «Valais bashing auquel les médias participent assez joyeusement».
Une manière d’«éviter de répondre sur le fond», commente Christophe Clivaz. Ces chiffres sont pourtant des données scientifiques: il s’agit de résultats émanant du laboratoire de Luca Fumagalli à l’Université de Lausanne, qui effectue des analyses génétiques sur demande de la fondation Kora, mandatée par la Confédération pour le suivi des meutes. Le document a été obtenu par nos confrères auprès de l’Office fédéral de l’environnement en vertu de la Loi sur la transparence.
Quant au Service de la chasse où travaillent les collaborateurs de Christophe Darbellay, il s’était exprimé dans l’article et avait donc pu prendre connaissance des données en question. Mais il est plus commode de tirer sur le messager: sur Facebook, où il a posté son interview, le ministre a reçu une avalanche de soutiens dénonçant une «mascarade journalistique» et appelant notamment à sabrer dans la redevance de la RTS lors de la prochaine votation.
Joint par téléphone, le conseiller d’Etat se défend d’obscurantisme: «Il y a longtemps qu’on attend une stabilisation du nombre de loups. Je crois à la science, comme ancien de l‘EPFZ. Mais il y a des scientifiques qui devraient avoir le courage de se mettre sur des listes électorales ou d’apprendre à faire les foins».
Des périmètres trop vastes?
Dénonçant un «mauvais procès», Christophe Darbellay argue que les tirs ont été réalisés en toute légalité, soit à l’intérieur des périmètres définis pour la régulation. La politique du Valais est du reste soutenue par l'Office fédéral de l'environnement. Mais selon les défenseurs du loup, ces zones sont beaucoup trop vastes. «En définissant volontairement des périmètres de tir très larges, le Valais s’offre la possibilité de dézinguer un maximum de loups», assène Christophe Clivaz.
Les «tirs hors meutes visées», très difficiles à éviter, ne sont toutefois pas l’apanage du Valais. Le document de l’Université de Lausanne confirme également que dans le canton de Vaud, avec le ministre écologiste Vassilis Venizelos aux manettes, seuls deux loups sur cinq animaux abattus dans le périmètre du Mont Tendre appartenaient à cette meute. «Mais dans les cantons de Vaud ou des Grisons, on peut échanger ouvertement avec les autorités afin de trouver des solutions adaptées, précise Isabelle Germanier, du Groupe Loup Suisse. Pas en Valais.»
Dans leur courrier au ministre valaisan, les ONG réitèrent donc leur demande de création d’une task force loup au niveau cantonal – une requête qui leur aurait toujours été refusée. «Ce qui nous différencie fondamentalement de Christophe Darbellay, c’est que nous voulons travailler à une coexistence apaisée et durable avec le loup et toutes les personnes concernées, commente Marie-Thérèse Sangra, secrétaire régionale du WWF Valais. Nous souhaitons collaborer avec les autorités, car nous pensons que la polarisation ne sert pas ce dossier.»
Un show politique dénoncé
Mais pour cette connaisseuse de longue date de la problématique du prédateur en Valais, «Christophe Darbellay veut se poser en héros de la cause pastorale. Vouloir tirer les loups tous azimuts, comme il le réclame, ne va pourtant pas résoudre les problèmes des éleveurs de moutons ou de chèvres. Au contraire, cela peut les aggraver.»
Les milieux de défense de l’environnement dénoncent donc une forme de populisme dans la posture du ministre – même si le chef du Département de l'économie et de la formation n'est pas le premier élu valaisan à surfer sur cette problématique. «On assiste à un show politique, relève Marie-Thérèse Sangra. Christophe Darbellay ne tient pas compte des connaissances acquises sur le comportement des loups, des conséquences potentielles de tirs erronés ou de l’importance de cette espèce pour l’écosystème. Il est regrettable qu’un élu utilise le loup pour faire sa promotion électorale sans s’ouvrir à un débat plus objectif.»
Coûts de la régulation en question
Christophe Darbellay, lui, se défend de jouer les opportunistes, arguant qu’il a «toujours eu la même position» au sujet du loup. «Ces personnes m’attaquent en m’accusant d’électoralisme. Je devrais peut-être leur tendre un miroir».
Mais pour ses détracteurs dans ce dossier, l’attitude du conseiller d’Etat empêche surtout de se poser de vraies questions autour du prédateur. Par exemple, combien coûte la régulation à outrance. «En 2024, plus de 16’400 heures de travail ont été consacrées à la gestion du loup et à sa régulation au service de la chasse. C’est énorme, pour un gain relativement minime en termes de baisse des prédations sur le bétail», relève Christophe Clivaz.
Comme le souligne la publication de Fauna Valais, de nombreux troupeaux sont en outre encore pas ou très mal protégés, tout particulièrement dans le Haut-Valais. «Les nez noirs y font partie du patrimoine, relève Christophe Clivaz. Or, leurs propriétaires ne sont souvent pas des éleveurs professionnels. Il faudrait mener une vraie réflexion sur cette filière ovine.»
Et puis, les ONG répètent que l’efficacité des tirs sur les prédations n’a pas été démontrée scientifiquement. «Le nombre d’attaques sur des troupeaux avait déjà diminué en Valais avant la régulation proactive en raison des mesures de protection, rappelle Willy Geiger. Les chiens, notamment, ont fait leurs preuves pour protéger le bétail».
Mais Christophe Darbellay y voit un problème pour le tourisme, en raison des risques pour les randonneurs. Isabelle Germanier se désole: «Quand on l'entend qui demande à s'unir contre le loup en Valais, il est clair de toute façon que son intention est d'éradiquer ces animaux à court terme».
Répondant aux reproches qui lui sont fait sur sa posture face au prédateur, Christophe Darbellay se dit disposé au dialogue: «A part le courrier que j'ai reçu ce matin, ces organisations n'ont jamais pris contact avec moi depuis que j’ai pris la responsabilité de ce service. Ma porte a toujours été ouverte.»
Le conseiller d'Etat maintient toutefois qu'il y a un problème spécifique au Valais: «Ce canton a trop de loups. Ces animaux sont fascinants et je respecte la loi. Mais la barque déborde. Il faut trouver des solutions spécifiques pour les régions où la pression est énorme.» C'est pourquoi il veut discuter avec Albert Rösti «les yeux dans les yeux», précise-t-il: «Le Valais a un nombre de meutes qui équivaut à ce que le Conseil fédéral voulait pour l’ensemble de la Suisse. Si on veut drastiquement réduire ce nombre selon ce qui est prévu par Berne, soit trois meutes pour le compartiment du Valais (ndlr: il s'agit en réalité du nombre minimal de meutes à conserver pour la région de l'Ouest des Alpes selon l'ordonnance sur la chasse), on ne peut pas se contenter de tirer uniquement après des attaques sur des troupeaux».
Faisant référence au surplus killing, soit le comportement instinctif qui pousse parfois les prédateurs à tuer davantage de proies qu'ils n'en ont besoin, le ministre décrit des animaux qui «tuent pour tuer, pas pour se nourrir. Je reçois des rapports macabres. Vous devriez voir ces images des onze moutons nez noirs éventrés au sommet des pistes de Verbier en pleine saison touristique».
Cette semaine, Christophe Darbellay a également mentionné dans la presse l'attaque avec blessures d'un loup problématique sur un enfant aux Pays-Bas. L'animal, qui doit être tiré, aurait déjà attaqué plusieurs personnes, selon les éléments repris par nos confrères de Blick alémanique. «J’aimerais que la Confédération s’exprime sur la question des responsabilités en cas d’accident avec un humain. Pour l‘instant, elle s‘y refuse», commente le ministre. A relever que les agressions de loups sur des hommes sont rarissimes: l'étude de référence en la matière au niveau mondial a répertorié 12 attaques, dont deux mortelles, en Europe et en Amérique du Nord entre 2002 et 2020. Pour Marie-Thérèse Sangra, du WWF, le Valais devrait pourtant faire de la prévention pour préparer la population à d'éventuelles rencontres avec des loups.
Arguant également d'un péril pour la faune sauvage, le conseiller d'Etat assène enfin: «Je ne sacrifierai pas l’agriculture de montagne sur l’autel de quelques écologistes qui n'ont jamais vendu 1 kilo de carottes».
Répondant aux reproches qui lui sont fait sur sa posture face au prédateur, Christophe Darbellay se dit disposé au dialogue: «A part le courrier que j'ai reçu ce matin, ces organisations n'ont jamais pris contact avec moi depuis que j’ai pris la responsabilité de ce service. Ma porte a toujours été ouverte.»
Le conseiller d'Etat maintient toutefois qu'il y a un problème spécifique au Valais: «Ce canton a trop de loups. Ces animaux sont fascinants et je respecte la loi. Mais la barque déborde. Il faut trouver des solutions spécifiques pour les régions où la pression est énorme.» C'est pourquoi il veut discuter avec Albert Rösti «les yeux dans les yeux», précise-t-il: «Le Valais a un nombre de meutes qui équivaut à ce que le Conseil fédéral voulait pour l’ensemble de la Suisse. Si on veut drastiquement réduire ce nombre selon ce qui est prévu par Berne, soit trois meutes pour le compartiment du Valais (ndlr: il s'agit en réalité du nombre minimal de meutes à conserver pour la région de l'Ouest des Alpes selon l'ordonnance sur la chasse), on ne peut pas se contenter de tirer uniquement après des attaques sur des troupeaux».
Faisant référence au surplus killing, soit le comportement instinctif qui pousse parfois les prédateurs à tuer davantage de proies qu'ils n'en ont besoin, le ministre décrit des animaux qui «tuent pour tuer, pas pour se nourrir. Je reçois des rapports macabres. Vous devriez voir ces images des onze moutons nez noirs éventrés au sommet des pistes de Verbier en pleine saison touristique».
Cette semaine, Christophe Darbellay a également mentionné dans la presse l'attaque avec blessures d'un loup problématique sur un enfant aux Pays-Bas. L'animal, qui doit être tiré, aurait déjà attaqué plusieurs personnes, selon les éléments repris par nos confrères de Blick alémanique. «J’aimerais que la Confédération s’exprime sur la question des responsabilités en cas d’accident avec un humain. Pour l‘instant, elle s‘y refuse», commente le ministre. A relever que les agressions de loups sur des hommes sont rarissimes: l'étude de référence en la matière au niveau mondial a répertorié 12 attaques, dont deux mortelles, en Europe et en Amérique du Nord entre 2002 et 2020. Pour Marie-Thérèse Sangra, du WWF, le Valais devrait pourtant faire de la prévention pour préparer la population à d'éventuelles rencontres avec des loups.
Arguant également d'un péril pour la faune sauvage, le conseiller d'Etat assène enfin: «Je ne sacrifierai pas l’agriculture de montagne sur l’autel de quelques écologistes qui n'ont jamais vendu 1 kilo de carottes».