Les barber shops sont dans le viseur du Grand Conseil vaudois. Et bientôt sous enquête dans toute la Suisse? C’est en tout cas le souhait de Romain Pilloud, député et président du Parti socialiste vaudois (PSV), à l’origine d’un postulat sur la question. Cet élu originaire de Montreux a été alerté par sa coiffeuse, qui estime que les pratiques de ces nouveaux salons qui ouvrent un peu partout dans le pays s’apparentent à de la concurrence déloyale. Sous le couvert de l’anonymat, certains as des ciseaux vont plus loin et assurent même reconnaître chez ces tailleurs de barbe l’œuvre de la mafia. Cette dernière aurait trouvé, avec les vitrines qu’elle s’achète à la pelle, un moyen facile et efficace de blanchir l’argent de la drogue ou de la prostitution.
Nous avons emmené Romain Pilloud se faire couper les cheveux et tailler la barbe chez Abdesselem Ben Abdallah, expert du coupe-chou depuis plusieurs décennies et fidèle lecteur de L’illustré. Ce professionnel à la solide réputation et à la tête de son propre salon, Figaro Correctif, à l’avenue de la Gare à Lausanne, dénonce depuis un sacré bout de temps ses nouveaux «confrères» dont l’activité menacerait la survie de son commerce. Entre deux serviettes chaudes appliquées sur le visage, la jeune figure romande du parti à la rose de 29 ans n’a éludé aucune question. Interview… au poil.
Romain Pilloud, vous avez déposé un postulat qui demande un meilleur contrôle des barber shops. Avez-vous une dent contre les barbiers?
Non! Je suis derrière les commerces traditionnels et je suis convaincu que la population l’est aussi. Ce qui m’inquiète par contre sérieusement, c’est la multiplication des nouveaux barber shops qui ouvrent à quelques mètres des échoppes «historiques» et qui leur font un mal fou. Je n’ai rien contre les barbiers, mais je suis contre les tricheurs.
Qu’est-ce qui vous a alerté?
C’est ma coiffeuse, à Montreux, qui a attiré mon attention sur le sujet. Les pratiques des commerces litigieux font penser à de la concurrence déloyale. Ils cassent les prix et survivent on ne sait trop comment puisqu’il semble n’y avoir jamais personne à l’intérieur. Cela nous amène à un deuxième soupçon: celui du blanchiment d’argent. Il y a aussi des affaires de traite d’êtres humains, comme en témoigne le réseau de prostitution de mineures démantelé à Genève, début mai, dans un salon de barbier.
Sans parler du travail au noir et plus généralement du respect de la convention collective de travail…
Absolument. Aujourd’hui, c’est la jungle. Il n’y a pas assez de contrôles et cela met en péril les professionnels de la coiffure et les barbiers qui exercent leur profession dans les règles. Je ne le dis pas à la légère: une autre coiffeuse qui s’est confiée à moi en me demandant d’agir au plus vite était en pleurs tellement la situation économique est difficile.
Le problème est-il uniquement lémanique?
Il concerne toute la Suisse romande, voire toute la Suisse. Dans un premier temps, j’invite la population à vraiment regarder où elle va se faire couper les cheveux et tailler la barbe. Il faut privilégier les enseignes qui ont pignon sur rue et qui proposent des prix corrects. Des tarifs trop bas sont un indicateur qui doit faire réfléchir. Facturer 20 francs la coupe en plein centre-ville dans des locaux imposants alors qu’il y a des charges et des employés à payer à un salaire minimum, c’est a minima suspect. Mais le problème ne sera pas résolu par l’action individuelle.
Des barbiers qui cassent les prix mais qui respectent les règles, cela doit exister, non?
Certainement. J’imagine que certains savoir-faire sont plus rapides que d’autres et permettent donc de prendre davantage de clientes et clients dans la journée dans le respect de la loi. Mais il ne faut pas que cela soit déraisonnable non plus, sinon c’est qu’il y a un bug dans la matrice. En cas de doute, il est néanmoins toujours relativement facile de se renseigner sur la réputation du lieu où l’on met les pieds.
Que demandez-vous aux autorités?
Un changement de mentalité et une réelle volonté d’agir. Il faut une opération commando contre les barber shops qui font prospérer les trafics en tout genre derrière leurs vitrines. Il est temps de réunir autour de la table le Ministère public, la brigade financière de la police et les partenaires sociaux. Nous devons mettre le paquet et ne rien laisser passer.
Comment procéder concrètement?
On pourrait, par exemple, imaginer d’effectuer des contrôles intensifs durant une période donnée. Des descentes surprises directement dans les commerces pour absolument tout vérifier. De A à Z. Ensuite, en cas d’infraction, il faut des condamnations et des sanctions. On ne peut pas laisser perdurer ce sentiment dans la branche qu’il est plus facile de frauder que de faire les choses correctement. On m’a plusieurs fois évoqué un sentiment d’impunité. Cela montre que l’Etat a failli à sa mission et qu’il est nécessaire de rectifier le tir. Les partenaires sociaux manquent de soutien.
Vous voulez donc une opération coup-de-poing. Cette démonstration de force serait-elle suffisante ou juste une jolie opération de communication?
Evidemment, il ne faut pas mettre le paquet puis ne plus rien faire. Cela demande des moyens à long terme. C’est pourquoi il est indispensable de réunir toutes les parties concernées avant de se lancer.
S’agit-il de réseaux organisés derrière les barber shops que vous dénoncez?
Je ne suis pas enquêteur, il m’est donc difficile de vous répondre sur ce point. L’exemple genevois évoqué précédemment démontre que cela peut être le cas. On sait que la mafia calabraise a pu se cacher dans des pizzerias pour blanchir son argent. J’aurais envie de vous dire que chaque mafia, à chaque époque, a ses méthodes. Agir enfin avec des moyens importants permettrait d’y voir plus clair.
Certains ont l’impression que beaucoup de coiffeuses et coiffeurs flirtent avec la légalité. Notamment ceux qui ne prennent que du cash. Le problème n’est-il pas plus vaste que celui que vous pointez?
C’est vrai, beaucoup de salons ne prennent pas la carte. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils dissimulent une partie de leurs revenus. Vous savez, la réalité, c’est que beaucoup travaillent aujourd’hui comme il y a trente ans. Par habitude, essentiellement. On le remarque particulièrement chez les petites structures indépendantes qui ne se sont que rarement digitalisées et ne permettent par conséquent pas de prise de rendez-vous en ligne. Mon postulat ne veut pas inscrire dans le marbre les pratiques de l’ancien monde. Il demande simplement que l’Etat joue son rôle et sanctionne ceux qui ne respectent pas la loi.
Le Grand Conseil a voté à l’unanimité une version retravaillée et encore plus musclée de votre postulat. Cela vous a-t-il surpris?
Du côté du Conseil d’Etat, on renvoie la responsabilité aux partenaires sociaux, mais il n’y a pas forcément la volonté d’investir plus de moyens pour lutter contre cette problématique. Le Grand Conseil, en reconnaissant la souffrance des commerçantes et commerçants qui jouent le jeu, l’a rappelé à ses responsabilités. Nous verrons bien sa réponse. Dans l’intervalle, j’espère que d’autres parlementaires, dans d’autres cantons, déposeront des textes similaires. Pour ma part, je me mets à la disposition des coiffeuses et des coiffeurs qui voudraient faire remonter des informations.
Cet article a été publié initialement dans le n°38 de «L'illustré», paru en kiosque le 18 septembre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°38 de «L'illustré», paru en kiosque le 18 septembre 2025.