Rencontre dans une agence de (derniers) voyages
«Quand nous allons chercher quelqu’un, nous ressentons parfois des angoisses»

Le jour de la commémoration de tous les fidèles défunts, rencontre avec Sarah Joliat, une entrepreneuse de pompes funèbres qui adore son métier et ne travaille pas dans une ambiance lugubre. Elle vous explique tout.
Publié: 01.11.2025 à 19:51 heures
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La température atteint entre 850 et 1000°C lors de la crémation. On ne parle pas d’incinération, car ce terme désigne l’élimination de déchets par combustion.
Photo: LAIF
Olaya Gonzalez
Olaya Gonzalez
L'Illustré

«Pendant mon adolescence, et jusqu’à l’âge adulte, j’avais peur de la mort», explique Sarah Joliat, pétillante quadragénaire devenue directrice de pompes funèbres. Deux choses se sont liguées pour attiser sa curiosité: son balcon donnait sur un entrepôt de cercueils et elle avait remarqué, sur la liste d’orientation professionnelle, que le métier d’entrepreneur de pompes funèbres ne nécessitait pas l’obtention d’un CFC.

«Je me suis dit que c’était idéal pour moi qui avais commencé et arrêté en cours de route plusieurs apprentissages et formations, car je me lassais. J’ai donc fait des demandes de stage, mais j’ai découvert que c’est un cercle très fermé et, il y a vingt ans, encore plus pour une femme. J’ai finalement trouvé un stage à Montreux, comme auxiliaire, et lors de ma première levée de corps, quand je me suis retrouvée face à un défunt, j’ai su tout de suite que c’était ma place. C’était une évidence. Ça avait tellement de sens. J’ai commencé à m’épanouir et à voir la vie différemment, parce que quand on travaille dans ce domaine, on relativise forcément certaines choses. C’est tellement beau la mort, c’est un univers illimité et je ne m’ennuie jamais.»

Vous êtes la directrice des Pompes funèbres du Léman; quel est votre rôle?
Je fais des levées de corps, ce qui consiste à aller chercher la personne décédée là où elle se trouve, à l’hôpital, dans un EMS, sur les lieux d’un accident, à domicile. Je m’occupe aussi des soins, de la toilette, de l’habillement, de la mise en bière, qui consiste à déposer le corps d’un défunt dans un cercueil. Je rencontre la famille, je m’occupe des fairepart, de la commande de fleurs, d’organiser la cérémonie et, s’il n’y a pas de célébrant ni de pasteur, de la diriger. Puis j’emmène le corps au cimetière pour l’inhumation ou à la crémation. Il m’est aussi arrivé, exceptionnellement, d’accompagner des personnes qui avaient choisi de mourir avec Exit et qui avaient fait leur prévoyance funéraire chez moi. J’avais eu un bon feeling avec elles et j’ai senti qu’elles avaient besoin de ma présence, que ça les rassurerait.

Y a-t-il aussi des expériences, des ressentis qui ne s’expliquent pas?
Quand nous allons chercher quelqu’un, nous ressentons parfois des angoisses, des résistances et, dans d’autres cas, nous sentons que le corps est en paix. Lorsque nous préparons quelqu’un, il arrive que le visage soit crispé, tendu, puis, au fur et à mesure de la préparation, il se détend. Je dis à mes collègues que le corps est prêt, qu’on peut le laisser quand on voit qu’il sourit. C’est comme un apaisement, un soulagement, une légèreté qui s’installe à ce moment-là.

On parle de croque-morts, d’agents de pompes funèbres, d’agents funéraires et même de funeral planner. Quel terme préférez-vous?
Moi, j’aime bien le terme de croque-mort; quand je l’entends, je vois le personnage dans Lucky Luke, ça me fait rire. Mon titre exact est entrepreneuse de pompes funèbres parce que c’est ce qui est indiqué sur mon brevet fédéral. Mais en fait, nous sommes des guides, des accompagnants.

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A Aigle, un centre funéraire dispose d’un petit salon avec un écran et les proches peuvent voir l’introduction dans le four
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Vous avez mis en place des ateliers d’une journée pour faire découvrir votre univers...
Oui, il y a cinq dates prévues en 2026. J’explique en quoi consiste le métier de pompes funèbres et je fais venir plusieurs intervenants, notamment une célébrante laïque, une doula de fin de vie, une thanatopractrice. Puis, l’après-midi, je montre les soins et l’habillement sur un comédien qui vient jouer le mort. Ensuite, on le met dans le cercueil. C’est là que les participants se rendent compte à quel point un corps est lourd, ça les étonne toujours.

Certains veulent tester un cercueil?
Oui, cela arrive souvent, et on les laisse s’installer dedans pour ressentir ce que ça fait.

Actuellement, les Pompes funèbres du Léman ne comptent que des femmes, c’est une volonté?
Non, pas du tout. J’avais un associé, avec qui j’ai fondé l’entreprise, mais il est parti il y a deux ans. Il y a eu des hommes, mais, au fil du temps, ils ont aussi quitté l’entreprise, alors que les femmes sont restées. Nous sommes quatre et une stagiaire. J’ai l’impression que la vie est bien faite et que les choses se mettent en place naturellement. Et comme j’ai aussi besoin de muscles, j’ai des auxiliaires, cinq hommes et une femme.

En Suisse, quand un proche décède, on peut choisir l’inhumation ou faire procéder à une crémation, les deux seules options légales. Qu’est-ce qui revient le moins cher?
L’inhumation, car elle est gratuite au cimetière du domicile. Donc si on choisit un cercueil simple et qu’on ne met pas de monument ou de pierre tombale, mais qu’on opte pour une simple croix en bois, c’est moins cher. Malgré tout, certains cimetières exigent une bordure; c’est communal, donc chacun a son règlement. Une crémation, elle, coûte déjà entre 600 et 850 francs, même si certaines communes, comme Lausanne, prennent en charge le coût pour ceux et celles qui y sont domiciliés. Et on doit acheter un cercueil en bois, car ceux en carton ne sont pas acceptés dans les crématoriums. Notamment parce que le bois est nécessaire à la bonne combustion et qu’un modèle en carton risque de commencer à s’enflammer à l’extérieur. De plus, dans certains cas, comme c’est un bras mécanique qui pousse très rapidement le cercueil dans la chambre de combustion, il faut que ce soit résistant.

Sarah Joliat entourée de sa sœur Michèle, qui s’occupe de l’admin, Valérie Tschantz, agente funéraire et célébrante laïque, et Sarah Bally, responsable de l’agence de Bussigny.
Photo: GABRIEL MONNET

On peut assister à une crémation?
Oui. A Aigle, par exemple, il y a un centre funéraire adapté aux familles. Ils disposent d’un petit salon avec un écran et les proches peuvent voir l’introduction dans le four. Ils acceptent aussi deux personnes dans la pièce où a lieu la crémation.

On parle de cendres, mais qu’est-ce qui reste réellement à la sortie du four?
Si le défunt avait un pacemaker, il aura été enlevé avant, pour éviter les risques d’explosion. Mais pas les prothèses, comme celles de genou ou de hanche, par exemple. A la sortie du four, tout ce qui est en métal est retiré. Ce qui reste, ce sont des cendres, des dents et des os qui seront broyés finement, puis le tout sera remis à la famille.

Aux Pompes funèbres du Léman, quelle est la proportion d’inhumations et de crémations?
Entre 85 et 90% de crémations.

Vous êtes la fondatrice de l’association Humusation Suisse. En quoi consiste cette méthode qui n’est pas encore autorisée en Suisse?
C’est un mode de sépulture 100% naturel. Le corps n’est pas brûlé, ni enterré, mais composté; il se transforme en humus. On couche le corps à l’extérieur, sur une sorte de lit végétal, composé d’un mélange de bois broyé, de feuilles, d’herbes, de fleurs et on le recouvre de cette même matière. Le processus d’humusation prend environ un an. C’est un protocole très strict. En Belgique, ils l’ont testé sur de gros porcs et les résultats sont concluants. En ce moment, ils commencent à l’expérimenter sur des animaux de compagnie. En Suisse, on devrait bientôt commencer des tests sur des humains. On attend l’aval des autorités.

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Je fais appel à une thanatopractrice si le décès a eu lieu lors d’un accident et que le corps a des séquelles
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Si je souhaite limiter l’impact direct sur la nature provoqué par mon inhumation ou ma crémation, quelles instructions puis-je donner?
C’est vrai que mourir pollue. Néanmoins, vous pouvez choisir un cercueil en bois naturel non laqué, avec une garniture qui ne soit pas en matières synthétiques comme du satin, mais plutôt en coton biodégradable. Des vêtements en coton ou en lin. Pas de bas en nylon car, trente ans après une inhumation, ils n’auront pas bougé. Et il vaut mieux éviter les chaussures, car la semelle est presque toujours synthétique.

Est-ce que la thanatopraxie, cette méthode qui vise à retarder la décomposition naturelle grâce à l’injection de produits conservateurs, est obligatoire?
Non, pas du tout. C’est un soin assez invasif et qui est rarement demandé. Je fais appel à une thanatopractrice si le décès a eu lieu lors d’un accident et que le corps a des séquelles. Ou si le défunt avait un cancer de l’estomac ou des viscères, par exemple, car le ventre peut gonfler et des fluides se répandre. Ou si la famille souhaite garder le corps à domicile quelques jours, particulièrement si c’est en plein été. Mais on peut aussi proposer de la neige carbonique pour une meilleure conservation.

Lorsque le décès concerne un enfant, ça doit être assez particulier pour vous...
Oui. M’occuper d’un bébé, en soi, ça me fait plaisir de le faire avec beaucoup de douceur. Mais c’est compliqué avec les parents, parfois on ne sait pas quoi dire. On a envie de les aider, mais on ne peut pas prendre leur douleur et ça, c’est frustrant. C’est pour cette raison que j’ai eu l’idée de proposer quelque chose de spécifique autour de l’enfant. Un accueil, un cadre différent... J’ai un ancien corbillard que je n’utilise plus et je prévois de le transformer pour le transport des enfants, avec de jolis dessins de papillons, de nounours, d’oiseaux en vol, de cœurs. Je suis en train de chercher des locaux et je réfléchis également à réserver une pièce spécifiquement décorée pour les enfants, afin que la famille puisse s’y recueillir. En Belgique, Nooit Vergeten, des pompes funèbres dédiées aux bébés, fait des choses extraordinaires. Là, nous allons toutes faire une formation avec Adessia, une association accompagnant les personnes ayant vécu une perte de grossesse ou un deuil périnatal. Nous voulons pouvoir mieux accompagner les familles, c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur.

Il y a des urnes et des cercueils adaptés?
Oui, il y en a de toutes les tailles. Ma tatoueuse va aussi me faire des projets de petits cercueils avec des dessins pyrogravés.

Une cérémonie pour un enfant est-elle différente de celles pour un adulte?
Nous proposons par exemple de faire des dessins sur le cercueil ou d’y mettre des empreintes de mains avec de la peinture. Nous pouvons organiser un lâcher de ballons biodégradables ou de lanternes. Lors d’une cérémonie à laquelle assistaient de nombreux copains d’école d’un enfant décédé, au moment de la sortie du cercueil, il y avait un nuage de bulles de savon, c’était magnifique et très émouvant.

Vous êtes aussi en train de customiser un corbillard...
Oui, il date de 1980, mon année de naissance, et on dirait la voiture du film Ghostbusters. Je vais faire placer dessus une tête de mort mexicaine géante aimantée. J’ai envie de travailler dans des pompes funèbres, mais aussi des pompes fun, avec un côté amusant. J’aimerais proposer des cérémonies déguisées, par exemple. Ce sont des choses qui peuvent intéresser des personnes organisant leur prévoyance funéraire. Je souhaite m’amuser dans mon travail, avoir du plaisir, faire aussi des choses joyeuses, légères.

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Un brasseur de bière a demandé à reposer dans un cercueil rempli de houblon et de malt
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Une funeral planner française raconte qu’on lui a demandé d’habiller un défunt avec un costume de Hitler, ce qu’elle a refusé, et un autre avec la tenue de Mario, le héros du jeu Super Mario Bros., ce qu’elle a accepté. Avezvous eu des requêtes spéciales?
On nous a demandé de faire revêtir à une dame sa robe de mariée et à une autre son ancien costume de la Fête des vignerons. Un ami dont la famille est très catholique avait demandé quelque chose de particulier. En haut, pour la partie visible, il était habillé de façon classique, mais en bas, caché sous le linceul, il portait un string; nous lui avions aussi posé du vernis sur les ongles des orteils et nous l’avions chaussé de ses talons aiguilles. Pour une autre cérémonie, tout le monde portait du rose; le cercueil était blanc et ceux et celles qui le souhaitaient pouvaient écrire des petits mots ou faire des dessins à l’encre rose dessus.

Elle expliquait aussi qu’une personne avait exprimé le désir d’être enterrée avec tous ses sex-toys...
Nous n’avons pas eu ce type de souhait, mais on nous a demandé de mettre de l’alcool – on ne peut pas placer du verre dans un cercueil pour une crémation, donc on l’avait mis dans une bouteille en PET –, du cannabis, des cigarettes, une pipe, des bâtons de ski, une trompette, le cadavre du chat du défunt, un ballon de foot... Et un brasseur de bière a demandé à reposer dans un cercueil rempli de houblon et de malt.

Si l’on a fait incinérer un proche en France, depuis 2008, il est interdit de conserver l’urne à la maison, par exemple sur la tablette de sa cheminée si on l’aimait, ou à la cave si on le détestait. Et en Suisse?
Chez nous, c’est autorisé. Mais la plupart du temps, les gens préfèrent répandre les cendres ou placer l’urne dans un lieu adéquat.

Contrairement aux inhumations qui, en Suisse, doivent se faire exclusivement dans un cimetière, il y a plus d’options pour les urnes...
Il y a des tombes cinéraires dans certains cimetières, mais vous pouvez aussi placer l’urne dans un columbarium (ndlr: structure qui abrite des niches pour conserver des urnes cinéraires) ou encore l’enterrer dans un jardin ou dans un terrain, pour autant que ce soit dans votre propriété.

Des adresses utiles
  • Les Pompes funèbres du Léman sont basées à Bussigny (VD) et à Vevey, mais peuvent intervenir dans toute la Suisse romande: pfduleman.ch
  • Le site de l’association Humusation Suisse: humusation.ch
  • Nooit Vergeten («ne jamais oublier») est une entreprise de pompes funèbres belge consacrée aux bébés et très jeunes enfants: nooitvergeten.be
  • L’association Adessia accompagne les familles ayant perdu un enfant lors de la grossesse, à la naissance ou durant ses premières semaines de vie: www.adessia.ch
  • En Suisse, Die Letzte Ruhe propose de disperser les restes cinéraires d’un défunt depuis un petit avion ou une nacelle de montgolfière, mais aussi d’emmener les proches en hélicoptère jusqu’à un site d’atterrissage au cœur de la montagne pour les répandre au sol: die-letzte-ruhe.ch
  • Sôvenance offre la possibilité de répartir ou d’enterrer des cendres dans une forêt du souvenir, principalement dans la région de Fribourg, au pied d’un arbre protégé de la coupe durant cinq à cinquante ans: sovenance.ch
  • L’entreprise française Envol Funér’Air peut répandre les cendres par le biais d’un aérodisperseur couplé à un drone: envol-funerair.com
  • La société américaine Celestis envoie une petite partie des restes de crémation d’un cher disparu dans l’espace, avec plusieurs options, notamment vol en orbite autour de la Terre et retour ou dépose sur la Lune: celestis.com
  • Algordanza conçoit, dans les Grisons, des diamants du souvenir synthétiques en extrayant le carbone des restes cinéraires ou des cheveux d’un être cher. Les diamants sont bleus, de 0,3 à 1 carat, taillés en forme cœur, brillant, princesse ou encore radiant: algordanza.com/ch-fr
  • Lonité fabrique également, non loin de Zurich, des diamants de crémation de 0,25 à 3 carats, proposés en sept couleurs (de l’ambre au noir, en passant par le rouge et le rose) et neuf formes: fr-fr.lonite.ch
  • Memoria Stone à placer dans le cercueil avant la crémation: memoriastone.fr
  • En Grande-Bretagne, And Vinyly fabrique des disques vinyles contenant les cendres d’un défunt et l’enregistrement de sa musique préférée: andvinyly.com
  • Cremation Ink, basée en Angleterre, prépare des encres pour tatouage en y incluant des cendres. Dix-sept couleurs sont disponibles et il faut compter une cuillère à soupe par flacon. On peut ensuite se faire tatouer le prénom ou le visage du disparu: cremationink.com/fr
  • Les Pompes funèbres du Léman sont basées à Bussigny (VD) et à Vevey, mais peuvent intervenir dans toute la Suisse romande: pfduleman.ch
  • Le site de l’association Humusation Suisse: humusation.ch
  • Nooit Vergeten («ne jamais oublier») est une entreprise de pompes funèbres belge consacrée aux bébés et très jeunes enfants: nooitvergeten.be
  • L’association Adessia accompagne les familles ayant perdu un enfant lors de la grossesse, à la naissance ou durant ses premières semaines de vie: www.adessia.ch
  • En Suisse, Die Letzte Ruhe propose de disperser les restes cinéraires d’un défunt depuis un petit avion ou une nacelle de montgolfière, mais aussi d’emmener les proches en hélicoptère jusqu’à un site d’atterrissage au cœur de la montagne pour les répandre au sol: die-letzte-ruhe.ch
  • Sôvenance offre la possibilité de répartir ou d’enterrer des cendres dans une forêt du souvenir, principalement dans la région de Fribourg, au pied d’un arbre protégé de la coupe durant cinq à cinquante ans: sovenance.ch
  • L’entreprise française Envol Funér’Air peut répandre les cendres par le biais d’un aérodisperseur couplé à un drone: envol-funerair.com
  • La société américaine Celestis envoie une petite partie des restes de crémation d’un cher disparu dans l’espace, avec plusieurs options, notamment vol en orbite autour de la Terre et retour ou dépose sur la Lune: celestis.com
  • Algordanza conçoit, dans les Grisons, des diamants du souvenir synthétiques en extrayant le carbone des restes cinéraires ou des cheveux d’un être cher. Les diamants sont bleus, de 0,3 à 1 carat, taillés en forme cœur, brillant, princesse ou encore radiant: algordanza.com/ch-fr
  • Lonité fabrique également, non loin de Zurich, des diamants de crémation de 0,25 à 3 carats, proposés en sept couleurs (de l’ambre au noir, en passant par le rouge et le rose) et neuf formes: fr-fr.lonite.ch
  • Memoria Stone à placer dans le cercueil avant la crémation: memoriastone.fr
  • En Grande-Bretagne, And Vinyly fabrique des disques vinyles contenant les cendres d’un défunt et l’enregistrement de sa musique préférée: andvinyly.com
  • Cremation Ink, basée en Angleterre, prépare des encres pour tatouage en y incluant des cendres. Dix-sept couleurs sont disponibles et il faut compter une cuillère à soupe par flacon. On peut ensuite se faire tatouer le prénom ou le visage du disparu: cremationink.com/fr

Vous proposez de nombreuses sortes d’urnes, dont certaines sont très respectueuses de la nature...
Oui, nous en avons en grignons d’olive (résidus après l’extraction de l’huile), en foin et fleurs séchées, en terre crue, et d’autres taillées dans des troncs de bouleau ou de hêtre bruts. J’ai aussi imaginé une urne en liège, en forme de bouchon, pour un vigneron ou un amateur de bons vins; on peut même y placer une bouteille.

Certaines personnes choisissent d’enterrer les cendres et de planter une graine ou un arbre au-dessus, d’autres de les déposer dans des forêts du souvenir, sous un arbre protégé contre la coupe par des conventions et actes notariés...
Si on enterre des cendres et qu’on plante un jeune arbre au-dessus, peutêtre qu’il ne poussera pas bien, qu’il tombera malade et dépérira, et que ce sera difficile à supporter pour la famille; cela risque de raviver le chagrin. Il vaut mieux les placer au pied d’un arbre déjà adulte.

On peut aussi répandre les cendres librement, dans une forêt, un lac ou une cascade, ou même en montagne, sur un glacier où la famille peut se rendre en hélicoptère. En Suisse, une entreprise propose même une dispersion directement par avion ou depuis une montgolfière. Est-ce que, dans la réalité, comme dans les films et séries, notamment The Big Lebowski et HPI, on peut se les prendre en pleine figure?
Oh oui, ça arrive régulièrement. Les cendres sont très, très volatiles, il faut donc les verser lentement et en faisant attention au sens du vent. Si l’on souhaite les répandre au-dessus d’un lac ou d’une rivière, on peut aussi les placer dans une urne funéraire biodégradable en sel ou en sable, qui va se dissoudre dans l’eau. Mais elle va faire «plouf» et immédiatement couler, ce qui peut parfois frustrer les familles. Je propose donc un filet qui permet de plonger l’urne dans l’eau et de la voir se dissoudre lentement. Le sable peut faire de jolies arabesques.

En Espagne, il y a quelques années, une entreprise dispersait les cendres des chers disparus dans un feu d’artifice pour honorer sa mémoire, en France, on peut les répandre à l’aide d’un drone, une entreprise britannique fabrique des vinyles commémoratifs contenant chacun une cuillerée de restes cinéraires et les Américains peuvent les envoyer dans l’espace...
On peut même se faire tatouer avec des cendres d’un défunt. Pour les autres options, j’ai l’impression que ce sont des choses que l’on choisit de son vivant, lors d’une prévoyance funéraire. Je peux comprendre. J’estime que tant que ça a du sens pour la famille et pour le défunt, c’est que c’est juste. Il y a plein de nouveautés qui voient le jour, mais pour beaucoup, la mort est un simple business; de nombreuses personnes essaient de se faire des thunes sur le dos des morts.

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Je me suis déjà fait draguer par quelqu’un de la famille proche du défunt.... c’est hyper-bizarre et très malaisant
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Il est aussi possible de transformer les cendres en diamants du souvenir...
J’ai déjà eu une telle demande de la part d’une famille, mais je pense qu’il faut faire attention si on en fait un bijou, car il y a un risque de le perdre. Or cela peut être ressenti comme un second deuil. Par contre, ce que je propose, ce sont les Memoria Stones, des pierres de mémoire. C’est un cœur en œil-de-tigre, une pierre semi-précieuse, qui est placé dans une coque, elle aussi en forme de cœur, et posée sur le cercueil ou à l’intérieur. Lors de la crémation, la couleur change, la pierre devient œil de taureau par l’effet de la chaleur. On la redonne ensuite à la famille, c’est très symbolique.

Cela peut être compliqué, en plein deuil, de prendre la bonne décision...
C’est pour ça que je conseille toujours aux familles de bien réfléchir, de prendre leur temps, pour ne pas avoir de regrets. Certaines personnes vont rapidement les répandre dans la nature ou dans un lac, mais, ensuite, elles n’auront pas un véritable lieu pour se recueillir et ça leur manquera. Par contre, d’autres se sentiront en communion avec le disparu chaque fois qu’elles se promèneront au bord du lac. Chaque deuil est différent. Nous pouvons garder les cendres en attendant, normalement jusqu’à un an, mais il y en a qui sont stockées chez nous depuis dix ans…

Est-ce que lors des enterrements, comme lors des mariages, on drague beaucoup?
Effectivement, je me suis déjà fait draguer par quelqu’un de la famille proche du défunt. C’est hyper-bizarre et très malaisant. Il faut mettre des limites, mais c’est compliqué parce qu’on essaie d’être gentil, vu les circonstances. J’ai aussi reçu une lettre après des funérailles.

Vous avez déjà une idée de ce que vous souhaitez après votre décès?
J’aimerais mourir au mois de mai, car j’aime le printemps, idéalement le 22, car c’est un chiffre qui m’a toujours accompagnée positivement. La cérémonie aura lieu dans un champ, il y aura de la bière et de l’humour. Côté musique, What’s Up de 4 Non Blondes, et probablement du Simon et Garfunkel ainsi que du Queen. Et c’est moi qui ferai ma cérémonie, je l’aurai enregistrée au préalable. J’ai juste envie de livrer des messages aux gens et les remercier. Je vais essayer de deviner qui sera là, qui va pleurer, qui va rire… Et si jamais mes amis organisent un concours de rots, ça me fera bien rigoler.

Un article de «L'illustré» n°44

Cet article a été publié initialement dans le n°44 de «L'illustré», paru en kiosque le 30 octobre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°44 de «L'illustré», paru en kiosque le 30 octobre 2025.

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