La Suisse dans le viseur
La famille Lutz veut s'enrichir en dissolvant les cadavres dans un liquide secret

Un tunnel, un simple bouton et le corps se décompose. Si cela peut ressembler à une méthode mafieuse, il s'agit bien de la nouvelle version des pompes funèbres proposées par une famille allemande. Et elle compte bien étendre son activité en Suisse.
Publié: 19.08.2025 à 19:47 heures
Partager
Écouter
1/7
Sandra et Jochen Lutz gèrent cinq crématoriums en Allemagne.
Photo: Philippe Rossier
RMS_Portrait_135 (1).jpg
RMS_Portrait_AUTOR_499.JPG
Robin Bäni et Philippe Rossier

Son métier, c'est la mort. Jochen Lutz exploite cinq crématoriums en Allemagne, deux pour les animaux, trois pour les humains. Mais Jochen Lutz veut aller plus loin.

Il a une vision qui rappelle les méthodes de la mafia: dissoudre les morts. Jochen Lutz le qualifie plutôt de cette façon: «Nous voulons remodeler le monde de l'enterrement et permettre aux gens de trouver des alternatives – en Allemagne comme en Suisse.»

Dissoudre les corps: un business familial

«Nous», c'est lui, son épouse Sandra Lutz et leurs trois fils. Tous travaillent dans leur propre entreprise – les pompes funèbres c'est leur «family business». Tous les cinq sont considérés comme des innovateurs dans le secteur.

Depuis le début de l'année, ils dirigent le premier crématorium d'Allemagne, dans lequel les animaux domestiques et les chevaux sont décomposés à l'aide d'un liquide. Ils veulent également dissoudre les corps humains, mais n'en ont pas (encore) le droit. Jusqu'à présent, seules l'inhumation ou la crémation sont autorisées en Allemagne comme en Suisse.

«
Je ne veux pas que mon corps soit dans la terre ou dans le feu
Sandra Lutz
»

Sandra Lutz ne voit pas cela d'un bon œil. «Je ne veux pas que mon corps soit dans la terre ou dans le feu», dit-elle. Le feu est agressif, destructeur. L'eau, en revanche, est douce. «Nous venons de l'eau et finissons dans l'eau.» C'est un retour aux sources, «la voie douce», une inversion de la naissance.

Jochen Lutz ou «Monsieur Crématorium»

Concrètement, ce «chemin doux» passe par une installation de deux tonnes en acier inoxydable, de 5 mètres de long, 1,20 de large et 1,80 de haut. A l'avenir, la machine sera habillée de «bois doux» afin d'offrir une «apparence digne», comme le dit Sandra Lutz.

Sa famille a conçu et construit l'installation de ses propres mains, en particulier Jochen Lutz, Monsieur Crématorium. En Allemagne, il siège dans un «comité de directives», un comité de 14 personnes qui élabore des normes nationales pour les crématoriums.

Un bouton et le processus commence

Son prototype, l'installation de dissolution, se trouve dans un crématorium en forêt, un peu en dehors de la ville de Schwäbisch Hall. Jochen Lutz appuie sur un levier, une porte de douze centimètres d'épaisseur s'ouvre. Derrière, un puits étroit et sombre est visible.

A l'intérieur, une civière sur roues, de la taille d'un cercueil: «Elle convient aux défunts pesant jusqu'à 150 kilos environ», explique Jochen Lutz. Si un mort y repose, la porte en acier est fermée, un bouton est pressé et le processus commence.

Un liquide secret

Jochen Lutz décrit le processus ainsi: un liquide basique est pulvérisé par des buses, «comme dans un bain de vapeur». Celui-ci se mélange à des minéraux «qui sont également introduits». Jochen Lutz ne veut pas révéler de quelles substances il s'agit exactement: «Une recette secrète.»

A l'intérieur de l'installation, la température monte à 90 degrés. La chimie commence alors à fonctionner. Selon le poids du défunt, le corps se décompose en 10 à 16 heures.

Il ne reste que les os et les dents. Ils sont broyés et placés dans une urne. Le reste ne contient «aucun ADN, rien d'humain, seulement de l'eau de traitement», explique Lutz. A la fin, le liquide est rejeté dans les égouts. Un processus qu'il ne trouve pas du tout dégradant. «Lors d'une crémation, personne n'attrape la fumée non plus.»

«Nous espérons commencer dans deux mois»

La famille appelle le procédé «lavation», sa machine «Lavarium», deux termes qu'ils ont eux-mêmes inventés. La méthode elle-même existe depuis longtemps. En science, elle s'appelle «hydrolyse alcaline». Elle a été développée à la fin du 19e siècle pour transformer les cadavres d'animaux en engrais. Cent ans plus tard, deux chercheurs américains ont adapté le procédé aux humains.

«
Nous espérons pouvoir démarrer dans deux mois
Sandra Lutz
»

Aujourd'hui, de nombreux Etats américains autorisent la liquéfaction de corps humains. En Allemagne, un premier Land, celui de Schleswig-Holstein, a adapté sa loi de manière à pouvoir autoriser des «formes alternatives d'inhumation».

La famille Lutz a déjà déposé son dossier. Elle attend maintenant l'autorisation d'un projet pilote. «Nous espérons pouvoir démarrer dans deux mois», dit Sandra Lutz.

Bientôt disponible en Suisse?

La famille souhaite également s'étendre en Suisse. Depuis six mois, elle est en contact avec la ville de Zurich, comme le confirme le service des pompes funèbres et des cimetières. «En principe, nous sommes intéressés à ce que la lavation soit proposée à l'avenir dans la ville de Zurich», écrit Rolf Steinmann, l'expert municipal en matière d'inhumation.

Actuellement, des «clarifications sont en cours» afin d'analyser «les chances et les risques». Concrètement, la ville se prépare à répondre à d'éventuelles questions sur la protection de l'environnement, l'éthique, la religion et les processus.

Mais la ville de Zurich a beau procéder à toutes les clarifications possibles, c'est le canton qui a le dernier mot. Car en Suisse, les enterrements sont régis par les cantons. Rolf Steinmann se montre néanmoins confiant. Actuellement, le canton de Zurich examine l'inhumation par compostage, une autre méthode alternative. Si cette dernière parvient à entrer dans la loi, la levée aurait également de bonnes chances, estime Rolf Steinmann.

Une méthode prometteuse

Il n'existe pas encore en Suisse de prescriptions, de normes auxquelles un crématorium à eau devrait se conformer. Sandra Lutz affirme qu'ils sont conscients que leur méthode ne sera pas introduite du jour au lendemain. «La question n'est pas de savoir si – mais quand», explique-t-elle. Car la lavation est la forme d'enterrement la plus durable.

Des études scientifiques montrent que l'hydrolyse alcaline a moins d'impact sur l'environnement que la crémation ou l'inhumation. Une expertise éthique réalisée en 2023 par l'université de Bonn, à la demande de la famille Lutz, constate que, d'un point de vue éthique, «il n'y a pas d'objection fondamentale». Aux Pays-Bas, où la méthode est examinée depuis longtemps, le Conseil de la santé a estimé en 2020 que «les conditions en matière de sécurité, de dignité et de durabilité sont remplies». Pas de problème donc?

Mais, il y a un grand «mais»

Vincent Varlet est l'expert suprême en matière de cadavres en Suisse. A l'Université de Lausanne, il dirige l'Institut de taphonomie médico-légale, qui étudie ce qui arrive aux organismes après la mort. Le professeur trouve que l'hydrolyse alcaline est «bonne». La crémation génère beaucoup de CO2, c'est pourquoi il faut des alternatives. Mais selon Vincent Varlet: «La lavation est une boîte noire.»

Dans le monde entier, ce sont des entreprises privées qui poussent à la décomposition des corps humains. Des entreprises qui recherchent le profit – et qui gardent sous clé les plans de construction de leurs installations. Le public n'apprend rien sur le fonctionnement exact des machines. La famille Lutz a également breveté son «lavarum». «Ce n'est pas possible», estime Vincent Varlet. La science est exclue, il n'y a pas de débat ouvert et indépendant sur les risques.

Les corps morts comme marchandise

Mais sa critique va encore plus loin, Vincent Varlet devient fondamental: «Le corps humain n'est pas une chose.» Selon lui, il est inacceptable que des particuliers gagnent leur vie en se débarrassant de restes humains. Le corps mort se transforme en marchandise. «Une partie de l'humanité se perd.» Si c'est le cas, les autorités devraient exploiter les installations.

La famille Lutz se considère comme un catalyseur. Ils veulent déclencher un débat, dit Sandra Lutz, amener les gens à réfléchir à la mort. «Tôt ou tard, cela concernera tout le monde.» En tant que société, il faut en parler. Et se demander soi-même: à quoi doit ressembler mon dernier chemin?

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus