Risque de faillite?
Une fondation de la célèbre dynastie Pictet dans la tourmente

Fabien Pictet s’écharpe avec le conseil de fondation de La Roseraie. Le banquier retraité pointe une mauvaise gestion et estime que la structure genevoise cofondée par son père, qui vient en aide aux migrants, risque la faillite. L’ensemble des critiques est contestée.
Publié: 17.10.2025 à 17:52 heures
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Conseillé par l'avocat Me Charles Poncet (à gauche), Fabien Pictet, est très inquiet pour le futur de la fondation cofondée par son père.
Photo: MAGALI GIRARDIN
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Antoine Hürlimann
L'Illustré

L’affaire sous haute tension, que l'on révèle ce vendredi 17 octobre, est hors norme à plusieurs niveaux. D’abord, parce qu’elle concerne Fabien Pictet, banquier retraité confortablement installé à Gstaad (BE), illustre descendant de la dynastie qui fait Genève depuis des siècles.

Ensuite, car les confidences du fils de feu l’associé Pierre Pictet ont valu à notre rédaction un courrier hostile de l’ancien bâtonnier genevois François Canonica. L’homme de loi, figure d’autorité respectée du barreau du bout du Léman, a visiblement été irrité par nos questions adressées à un ex-haut fonctionnaire qu’il nous annonce représenter.

Une fondation pour les personnes migrantes

Posons le décor. C’est le genre de litige qui se règle dans le moelleux des salons feutrés de la Cité de Calvin, où évoluent grands patrons, politiciens bourgeois et avocats au verbe facturé à prix d’or. Des hautes sphères d’ordinaire inaccessibles aux oreilles non initiées et indiscrètes. Mais pas cette fois. Assis face à nous dans le bureau d’un de ses partenaires de business, Fabien Pictet a les boyaux qui se tordent quand il pense au devenir de la fondation cofondée par son père. Les réfugiés d’hier accueillent les réfugiés d’aujourd’hui.

Fabien Pictet devant la statue de l’illustre diplomate Charles Pictet de Rochemont, située en Vieille-Ville de Genève.
Photo: MAGALI GIRARDIN

La Fondation, avec son centre La Roseraie, située rue de la Maladière, à un jet de pierre de Carouge, a pour mission de venir en aide aux personnes migrantes (lire encadré). Le sexagénaire nous soutient que «la mauvaise gestion du conseil de fondation», au sein duquel il siège, fait que la structure perdrait beaucoup d’argent. Sans changement stratégique, le cénacle derrière la noble cause pourrait même se retrouver sans le sou dans les trois prochaines années, si l’on se fie aux projections de l’argentier émérite rongé par l’inquiétude. Une hypothèse, à ses yeux synonyme du pire, qu’il a décidé de faire connaître pour éviter qu’elle ne se réalise.

La Roseraie au chevet des migrants

La fondation chère au cœur de Fabien Pictet chapeaute le centre La Roseraie, situé à la frontière de Genève et Carouge. Ce dernier, ouvert du lundi au vendredi à des horaires variables, s’adresse aux personnes migrantes et vise à en améliorer les conditions d’existence. Il accueille gratuitement, sans inscription, sans distinction d’origine, d’âge, de nationalité, de statut, d’identité de genre, d’orientation sexuelle, de durée de séjour ou de situation de vie. Au programme: de l’accueil libre, des activités de création de lien, de la cuisine, de la couture, du sport, des ateliers de français et de conversation ou encore des permanences d’orientation et de soutien psychologique. «C’est tout simplement formidable ce qu’il s’y fait», résume avec enthousiasme le banquier retraité, qui tient à souligner «l’implication remarquable» des personnes qui font vivre au quotidien la structure.

La fondation chère au cœur de Fabien Pictet chapeaute le centre La Roseraie, situé à la frontière de Genève et Carouge. Ce dernier, ouvert du lundi au vendredi à des horaires variables, s’adresse aux personnes migrantes et vise à en améliorer les conditions d’existence. Il accueille gratuitement, sans inscription, sans distinction d’origine, d’âge, de nationalité, de statut, d’identité de genre, d’orientation sexuelle, de durée de séjour ou de situation de vie. Au programme: de l’accueil libre, des activités de création de lien, de la cuisine, de la couture, du sport, des ateliers de français et de conversation ou encore des permanences d’orientation et de soutien psychologique. «C’est tout simplement formidable ce qu’il s’y fait», résume avec enthousiasme le banquier retraité, qui tient à souligner «l’implication remarquable» des personnes qui font vivre au quotidien la structure.

Si l’avenir de la fondation l’affecte autant alors qu’il pourrait s’en laver les mains et jouir des plaisirs de la vie sans aucune restriction (ou presque), c’est qu’elle est le prolongement de ses vénérables racines familiales protestantes. Un héritage qu’il tient coûte que coûte à préserver: «La fondation a été créée en 2001 par mon père, aujourd’hui décédé, amorce Fabien Pictet. Cette démarche s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler le Refuge, soit l’accueil à Genève des huguenots français privés de leur liberté de culte et contraints à l’exil lorsque Louis XIV révoqua l’édit de Nantes, en 1685.» Il développe son exposé historique: «A cette période, 250'000 protestants quittèrent la France pour se réfugier, notamment en Suisse. Genève y fut leur premier point d’accueil.»

Fortune en chute

Le magnat qui a grandi aux Etats-Unis et qui a fait son prénom dans les hedge funds à Londres est catégorique: même si la fondation est soutenue par les pouvoirs publics, il est clair que l’essentiel de ses moyens doit provenir de fonds privés. Son pécule ainsi glané servant ensuite à financer les activités de son centre, dont l’accès a été refusé à notre photographe par son directeur, invoquant des «raisons de confidentialité» pour le moins baroques puisque nous avions uniquement l’intention d’immortaliser les lieux communs et non pas les bénéficiaires.

Or, selon le gestionnaire prospère, dont la parole est rare dans les médias, le conseil de fondation en place aimerait s’asseoir sur les règles établies il y a bientôt vingt-cinq ans. «Il a systématiquement été exclu que la fondation devienne une sorte de service administratif de l’Etat, réaffirme-t-il. Certains membres du conseil aimeraient pourtant qu’elle tourne exclusivement avec les moyens des collectivités publiques et donc par l’impôt. C’est aberrant...» Il peste, en brandissant différents chiffres et graphiques: «Si la majorité du conseil de fondation – qui n’a aucune compétence en matière d’investissement – avait suivi mes recommandations, notre fortune n’aurait pas fondu au soleil, passant de 3,3 millions de francs au 1er janvier 2020 à 1,8 million de francs au 31 décembre 2024. Elle aurait même augmenté!»

«
Le conseil de fondation ne sait plus faire de l’argent
Fabien Pictet, banquier retraité
»

Pourquoi Fabien Pictet n’a-t-il pas – toujours d’après ses assertions – réussi à réunir une majorité autour de sa vision d’investissement alors que sa réputation de banquier émérite n’est plus à faire? «Parce que le conseil de fondation, davantage composé de personnes venant du monde du social ou de la politique au détriment du monde de l’entreprise, ne sait plus faire de l’argent. Il fantasme des placements éthiques poussés à l’extrême, via la Banque alternative par exemple, alors que ces mouvements ne s’improvisent pas et que, surtout, leurs rendements ne permettraient pas de financer nos projets ici, à Genève. On peut bien sûr regretter cette réalité économique. C’est néanmoins un fait.»

Pour lui, le clivage qu’il dénonce se résume très simplement: «Que voulons-nous: suivre l’avis de ceux qui savent faire fructifier l’argent pour le redistribuer ensuite aux personnes migrantes qui en ont urgemment besoin lorsqu’elles arrivent dans notre territoire? Ou faire du déficit après avoir investi à perte dans des projets photovoltaïques en Gambie? Personnellement, je partage la vision de mon père. Vous vous doutez qu’il ne s’agit pas de celle consistant à se reposer sur les contribuables pour passer l’éponge une fois que l’on s’est donné bonne conscience à l’autre bout du monde.»

Celui qui a trois grands enfants, qui fut en outre un joueur professionnel de polo plusieurs fois récompensé, ne se contente pas de ce cri du cœur. Conseillé par le non moins célèbre Me Charles Poncet, il s’est adressé à l’Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (ASFIP). Dans sa plainte toujours pendante, que nous avons pu consulter, il demande la révocation de deux membres du conseil de fondation afin d’y faire entrer du sang neuf. Objectif: remettre la barque à flot.

Démenti de la fondation

Nous avons confronté dans un courriel ces deux personnes à l’ensemble des critiques listées par Fabien Pictet. François Canonica, avocat de l’une d’entre elles, nous a écrit en retour, aiguisant au passage ses plus fines piques juridiques: «Vous n’êtes pas sans savoir, puisque vos sources vous en ont informé, qu’aucune décision n’a été rendue et que si votre article devait être publié, il n’aurait qu’une vocation diffamatoire. Vous voudrez bien attendre la décision pour vous adonner à un vrai journalisme d’investigation.»

Le second individu concerné s’est finalement exprimé au nom de la fondation après quelques jours de méditation. Ce dernier nous a fait parvenir, par le biais du directeur du centre, deux pièces jointes censées être sa prise de position. A y regarder de plus près, les versions diffèrent quelque peu. En voici néanmoins la substance: «Les seuls griefs de Monsieur Fabien Pictet connus de la fondation à ce jour font l’objet d’une procédure qui est en cours de traitement auprès de l’Autorité cantonale de surveillance des fondations et des institutions de prévoyance (ASFIP) en laquelle nous avons entièrement confiance. Le contenu de cette plainte est intégralement contesté. Nous attirons votre attention que tout article qui serait publié avant la fin de la procédure est prématuré et aimerions pouvoir relire l’article avant sa publication.»

Nous n’avons pas accédé à cette demande contraire à la liberté de la presse. Sur le fond maintenant, la fondation explique la baisse de sa fortune par ses besoins en liquidités pour réaliser ses buts, conformément à ses statuts. Elle réfute tout mauvais choix stratégique financier: «Les investissements ont eu globalement des apports positifs», assure-t-elle. Tout en soulignant que les subventions font partie de ses ressources, le conseil de fondation reconnaît que la santé financière de l’organisation est «au cœur [de ses] préoccupations». «Le conseil de fondation travaille actuellement sur des réflexions concernant l’avenir de la fondation», lâche-t-il, sans donner davantage de détails au sujet de ses plans. Selon nos informations, la vente de son bâtiment serait – entre autres mesures – envisagée pour renflouer les caisses. «Une perte de patrimoine désastreuse», s’étrangle Fabien Pictet, qui se dit prêt à tout entreprendre pour faire respecter «la volonté» de son père.

Un article de «L'illustré» n°42

Cet article a été publié initialement dans le n°42 de «L'illustré», paru en kiosque le 16 octobre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°42 de «L'illustré», paru en kiosque le 16 octobre 2025.

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