Vous et moi sommes déjà habitués à cette pratique. Les remontées mécaniques à ski coûtent parfois plus cher et prendre des billets d'avion à la dernière minute peut devenir très onéreux. C'est ce qu'on appelle la tarification dynamique: les prix évoluent en fonction de l'offre et la demande, souvent en temps réel.
De nombreuses entreprises américaines sont encore plus agressives, elles refusent que l'offre et la demande soient les seuls facteurs à influencer les prix et veulent aussi prendre en compte les caractéristiques personnelles des clients. Par exemple, notre pouvoir d'achat, nos préférences personnelles, les données de localisation de nos voyages et de nos sorties au restaurant devraient permettre de fixer le prix, ainsi que notre niveau d'exigence pour faire cet achat.
Autant de facteurs que l'intelligence artificielle (IA) utilise avec des informations supplémentaires pour calculer un prix inférieur à notre seuil de tolérance. Les riches sont ainsi amenés à payer des prix plus élevés, de même que les accros au shopping s'ils dépensent sans comparer les prix.
L'IA rend artificiellement riche
Une expérience personnelle m'a montré qu'une IA est capable d'émettre des hypothèses complètement fausses, ce qui peut pousser les prix vers le haut. Lorsque j'ai demandé à Chat GPT de me créer un profil de consommateur, il a généré une fiche descriptive me classant comme un consommateur à gros revenu. Mon compte en banque vous dira le contraire.
En plus d'avoir visé le mauvais compte en banque, Chat GPT pense que jusqu'en 2007, j'ai dirigé plusieurs centaines de personnes dans trois grandes entreprises suisses, et ce, depuis mes 16 ans. L'IA s'est emmêlée les pinceaux dans ses estimations et a calculé un rendement mensuel de 1500 francs sur mon patrimoine, en plus de mon salaire de journaliste.
Ma carrière inventée de toutes pièces
Les activités managériales que m'attribuent l'IA sont fictives, elle a mélangé des évaluations exactes avec les caractéristiques d'une autre personne. Elle m'a donc attribué deux salaires.
On pourrait espérer que les IA spécialisées dans la tarification fourniraient des résultats plus valides en les comparant avec d'autres données. J'ai au moins pu supprimer mon activité de soi-disant manager de mon profil de consommateurs en demandant des précisions à Chat GPT.
Encore rare en Suisse
Les entreprises européennes ont encore peu recours à la tarification personnalisée, d'après des tests automatisés réalisés par la Fachhochschule Wedel (D) auprès d'entreprises commerciales. Et en Suisse? «Il y a des indices de prix générés par IA dans le commerce en ligne», déclare Beat Niederhauser, surveillant adjoint des prix. Toutefois, dans la détermination des prix, la concurrence est probablement le facteur le plus important, une intervention du surveillant des prix n'est donc ni souhaitable ni possible.
Les prix personnalisés ne sont pas interdits, même s'ils sont calculés par une IA. «Lorsque les fournisseurs personnalisent leurs prix grâce à l'IA, ils ne sont pas obligés de le déclarer», explique Fabian Maienfisch, porte-parole du Secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco). Les fournisseurs sont généralement libres de fixer leurs prix, du moment qu'ils les annoncent de manière transparente, sans être trompeurs. Toutefois, la loi sur la protection des données exige des informations spécifiques et une transparence accrue. «Les fabricants, les fournisseurs et les utilisateurs de systèmes d'IA doivent faire en sorte que la finalité, la fonctionnalité et les sources de données des traitements basés sur l'IA soient transparentes», déclare Katja Zürcher, porte-parole du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT).
Ce droit à la transparence est étroitement lié au droit des personnes de s'opposer au traitement automatisé de leurs données. Elles peuvent aussi demander que les décisions individuelles automatisées soient vérifiées par un humain.
Aujourd'hui encore, les entreprises américaines misent particulièrement sur la personnalisation générée par IA, non sans résistance. La compagnie aérienne américaine Delta Airlines a choqué de nombreuses personnes et été très critiquée par les démocrates au Sénat après avoir annoncé utiliser l'IA pour optimiser la tarification des billets. Début août, l'entreprise a relativisé ses projets, il semblerait qu'elle n'utilise finalement plus les données personnelles de ses clients.
A la tête du client
Aujourd'hui, la personnalisation ne repose plus sur le prix d'achat, mais sur les remises accordées aux clients en fonction de leur profil. Nous connaissons cette pratique en Suisse: Migros avec ses comptes Cumulus ou Coop avec ses comptes Supercard. Selon les organismes de surveillance des prix, ces rabais sont soumis aux mêmes règles que les prix personnalisés.
La personnalisation croissante du marketing et de la tarification est quasiment inéluctable. Cette progression est une sorte de retour en arrière, comme si nous faisions nos courses au marché. Les commerçants doivent évaluer le pouvoir d'achat de chaque client avant de fixer leurs prix et l'IA leur simplifie la tâche.
Cet article a été publié initialement dans le «Beobachter», un magazine appartenant à Ringier AG, éditeur de Blick.
Cet article a été publié initialement dans le «Beobachter», un magazine appartenant à Ringier AG, éditeur de Blick.