Le bâtiment administratif tout en courbes est la stabilité et la force d'innovation coulées dans l'acier et le béton. Au cours des dernières décennies, l'entreprise veveysanne est devenue le groupe alimentaire le plus important et le plus précieux au monde.
Les actions ont augmenté de plus de 500% au cours des 30 dernières années. La valorisation est passée à plus de 280 milliards de francs. Alors que d'autres groupes étaient sous pression ou s'effondraient en Suisse, Nestlé brillait d'autant plus.
Un géant qui vacille
Nestlé est la Suisse, et la Suisse est Nestlé. Cela se voit aussi au fait que, malgré les activités commerciales mondiales, 51% du capital sont détenus par des actionnaires suisses. L'action est particulièrement appréciée des investisseurs institutionnels comme les caisses de pension.
Sans le savoir, de nombreux Suisses sont indirectement actionnaires de Nestlé par le biais de leur caisse de pension. Mais depuis maintenant trois ans, la tendance est à la baisse: les actions ont chuté de 40% pour atteindre 72 francs – un effondrement qui pèse sur la performance des actifs de retraite.
Une gestion inquiétante
Avec le cours de l'action, c'est aussi la confiance qui s'effrite. L'imposant bâtiment sur les bords du lac Léman est devenu le symbole d'une caste de managers déconnectés, qui vivent dans leur propre monde et se fixent leurs propres règles.
Il ne s'agit pas seulement des affaires du CEO déchu Laurent Freixe et de la manière dont elles ont été traitées en interne, mais aussi de l'augmentation des rémunérations des managers et de la force d'innovation paralysée du géant. «Le groupe est devenu décadent», déclare un gestionnaire de portefeuille qui suit l'évolution de l'entreprise depuis de nombreuses années.
Des produits démodés
Aucun nouveau booster de chiffre d'affaires, comme l'était autrefois Nespresso, ne semble en ligne de mire. Le commerce des capsules de café montre des signes de saturation. Le secteur de l'eau, un autre pilier stratégique, est sujet à des scandales et ne fournit plus que de maigres marges.
En parallèle, de larges pans du portefeuille de produits semblent hors du temps: pizzas surgelées, cubes de soupe et Smarties. Des produits qui ne figurent guère plus sur les listes de courses des jeunes générations qui veulent s'offrir des produits de marque. Seul le commerce de la nourriture pour animaux semble continuer à bien se porter. On peut le formuler de manière radicale: Nestlé s'est fait avoir.
La situation mondiale pèse sur Nestlé
A cela s'ajoutent les impondérables d'une situation mondiale de plus en plus instable – escalade des conflits, guerres commerciales, hausse des prix des matières premières, vagues de renchérissement, menaces de révisions et les énormes droits de douane de Donald Trump. Cet amalgame pèse sur le climat et donc sur le cours des actions d'entreprises comme Nestlé.
Cette semaine, le marché a envoyé un signal d'alarme strident: les actions du groupe suisse d'emballage SIG ont chuté de 31% en deux jours. Il n'est pas impossible que les actions de Nestlé continuent, elles aussi, à perdre du terrain.
Une date clé: le 16 octobre
Les défis sont énormes et les attentes immenses qui pèsent sur le nouveau chef de groupe Philipp Navratil et sur son président du conseil d'administration Pablo Isla. Ils ont la lourde tâche de conduire le groupe en difficulté vers un avenir prospère. Ils n'ont pas encore dévoilé la direction qu'ils comptent prendre. Le 16 octobre, ils présenteront leurs chiffres pour le troisième trimestre. C'est à ce moment-là que l'on pourra lire les premiers signes.
Il n'y aura pas de solutions rapides. «Forward to the basics», telle était la mission de Paul Bulcke et Laurent Freixe il y a un an. Elle a échoué avec fracas. Car vouloir vendre plus de produits uniquement avec plus de marketing ne fonctionne plus. Pour réussir à long terme, Nestlé doit aussi redevenir plus innovante. Les nouveaux patrons doivent faire le ménage dans la bureaucratie et couper les vieux privilèges.
Rajeunir ses dirigeants
Nestlé a besoin d'un changement de culture. Le changement doit venir d'en haut. Avec le nouveau président du groupe et la démission immédiate de Paul Bulcke, le pilote de longue date, un début a été fait. Le nouveau président devra restructurer et rajeunir le conseil d'administration. De nombreux cadres vieillissants y siègent, comme l'ancien chef des finances du CS Renato Fassbind (70 ans) ou l'ancien président de l'EPF Patrick Aebischer (70 ans). Avec une moyenne d'âge de 64,2 ans, le conseil d'administration est l'un des plus âgés de Suisse.
Les risques sont élevés. Philipp Navratil, âgé de 49 ans, est encore assez inexpérimenté. Il faudra voir s'il a l'étoffe pour diriger un groupe mondial. Et avec Pablo Isla, c'est un manager issu du monde de la mode (Zara, Massimo Dutti) qui est à la tête de Nestlé, et qui ne connaît pas grand-chose au secteur alimentaire. Pour les 280'000 collaborateurs et les dizaines de milliers d'actionnaires en Suisse, il ne reste plus qu'à attendre pour voir comment réagira le géant de l'agroalimentaire.