La justice au point mort
Quand la présidente de la Confédération devient l’otage des fausses vidéos

Les conseillers fédéraux luttent depuis des années contre les fausses publicités et les vidéos manipulées par l'IA. Certains d'entre eux ont déjà dénoncé les fraudeurs à plusieurs reprises, mais leurs plaintes sont, jusqu'ici, restées lettre morte.
Publié: 13.06.2025 à 12:44 heures
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La présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, s'est défendue à plusieurs reprises, sans succès.
Photo: keystone-sda.ch
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Joschka Schaffner

La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter est à court de solutions. De nombreuses annonces frauduleuses réutilisent sa photo pour arnaquer les utilisateurs, y compris un faux site de Blick. Sur ces images, la présidente vante des projets d'investissements alléchants, sauf que sa synchronisation labiale est catastrophique

Karin Keller-Sutter nous met en garde: «Soyez prudents! Aucune conseillère ou conseiller fédéral ne ferait de publicité pour de tels produits ou investissements. Cette publicité pour des escroqueries à l'aide de fausses vidéos et d'interviews inventées est choquante. Il faut tout faire pour arrêter ces escrocs et protéger nos citoyens!»

Mais comment? Le Département des finances a déjà porté plainte auprès du Ministère public de la Confédération en septembre 2023, contre X et pour soupçon d'escroquerie. Une deuxième plainte a suivi en avril 2024, de nouveau contre X, pour soupçon d'usurpation d'identité et diffamation, à l'attention du Service suisse d'enquête de sécurité (SESE).

Selon le département de Keller-Sutter, ces deux plaintes ont été complétées trois fois, mais se sont soldées par un échec et l'enquête a été classée. «Nous continuerons à porter plainte», nous précise le département. Entre-temps, la rédaction de Blick reçoit presque chaque semaine de nouvelles alertes de sites web frauduleux.

Restez sur vos gardes

D'autres membres du Conseil fédéral subissent aussi ces tentatives d'usurpation d'identité et essaient de se défendre, mais sans grand succès. Le ministre de l'économie, Guy Parmelin a aussi porté plainte plusieurs fois, comme nous le confirme son département. 

Il condamne avec fermeté cette publicité trompeuse et frauduleuse ainsi que l'abus de l'intelligence artificielle. Il appelle aussi les utilisateurs des réseaux sociaux à faire preuve de solidarité et à «examiner les contenus avec un regard critique».

Ces déclarations de Berne nous montrent une chose: la Confédération n'a pas de recette magique contre ces arnaques, et force est de constater que d'une façon ou d'une autre, elles profitent aux GAFAM, notamment Meta, Google ou X. En parallèle, nos lecteurs et leurs économies sont à la merci de escrocs, c'est pourquoi Ringier – maison d'édition de Blick – a décidé d'engager des poursuites judiciaires

Le gouvernement dans l'impasse

Comble du problème: personne au gouvernement ne sait qui est responsables de ces arnaques digitales. Keller-Sutter et Parmelin renvoient la patate chaude à Albert Rösti, chargé de l'Office fédéral de la communication (OFCOM) du ministre des médias. Mais selon l'OFCOM, ce problème dépasse son cahier des charges.

En effet, d'après l'OFCOM, sa compétence juridique se limite aux publicités radio et à la télévision. «A notre connaissance, il n'existe pas de normes spéciales qui réglementent ce type d'annonces abusives», nous indique l'office fédéral, qui renvoie la balle à Parmelin. D'après l'OFCOM, si ces arnaques sont considérées comme une concurrence déloyale, alors le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) serait suffisament compétent pour traiter ce problème. 

Malgré l'urgence de la situation et l'ampleur du phénomène, le Conseil fédéral fait traîner la responsabilité des grands groupes technologiques en Suisse. Il y a deux ans déjà, l'OFCOM devait élaborer un projet de loi pour encadrer les plateformes numériques, et le gouvernement national était sensé l'adopter au printemps 2024.

Mais en ce mois d'avril, le Conseil fédéral a de nouveau reporté sa décision à cause de la situation géopolitique incertaine. La gauche, les jeunes partis et que de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme étaient indignés de cette décision. Interrogé sur ce projet de loi, l'OFCOM nous répond que le bras de fer avec les plateformes a été laborieux, et que «les annonces abusives ne faisaient pas partie de ce mandat».

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