Une arnaque en ligne lui coûte 32'000 francs
«J'avais honte et j'étais en colère contre moi-même»

Sur internet, de nombreuses vidéos mettant en scène des célébrités suisses nous poussent vers des investissements douteux. De nouveaux chiffres de la Confédération le montrent: les escrocs deviennent de plus en plus agressifs mais malgré tout, ils s'en sortent.
Publié: 18.05.2025 à 20:11 heures
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Dernière mise à jour: 18.05.2025 à 20:33 heures
Sur internet, de nombreuses vidéos mettant en scène des célébrités suisses nous poussent vers des investissements douteux.
Photo: Linda Käsbohrer
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Rebecca Wyss

Robert N. s'y connaît en informatique. Dans son bureau dans le canton de Lucerne, il a même un énorme ordinateur qu'il utilise pour rendre service à sa famille et ses amis. Et pourtant, Robert s'est fait piéger par des escrocs en ligne et a perdu 32'000 francs. «Je ne reverrai probablement jamais cet argent», se désole-t-il. Les cas comme celui de Robert sont de plus en plus nombreux. 

L'arnaque aux fausses célébrités est connue. Les escrocs abusent de leur image pour faire de la publicité pour des articles douteux. Ils inventent des interviews et utilisent les logos de médias renommés pour crédibiliser leurs arnaques. Même la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a été cibliée par ce type d'escrocs, qui promettait un gain de 7000 francs par jour en s'inscrivant sur une plateforme d'investissement frauduleuse.

Les chiffres de l'Office fédéral de la cybersécurité (Bacs) montrent bien l'ampleur de ce phénomène. Jusqu'à la fin de l'année 2024, le bureau de communication a toujours reçu un nombre constant de plaintes: 860 en 2022, 1017 en 2023 et 1179 en 2024. Depuis le début de l'année, le Bacs en a enregistré le double, soit 2387. Chaque semaine, il reçoit jusqu'à 290 plaintes. 

Pour la porte-parole du Bacs, Manuela Sonderegger, cette augmentation fulgurante s'explique d'une part par la sensibilisation accrue de la population, mais surtout par une «plus grande diffusion du phénomène» et une «plus grande activité des cybercriminels».

A cela s'ajoute le fait que les arnaques sont de plus en plus perfides, notamment à cause des deepfakes générés par IA avec un rendu plus vrai que nature. Les vidéos sont mises en scène avec un vrai studio de télévision et des présentateurs, animés par l'IA. Tout ce décor a l'air réel et c'est justement l'une de ces vidéos qui a été fatale pour Robert.

Le début des problèmes

Il a longtemps travaillé dans le secteur de la santé, puis il s'est mis à son compte et a créé une entreprise privée de soins. Depuis, son entreprise a connu quelques difficultés financières et Robert a voulu faire quelque chose. Une fausse vidéo de la RTS trouvée sur Instagram en février lui a redonné un peu d'espoir. 

Il a cliqué sur un lien et s'est inscrit sur un site internet. Peu de temps après, un certain Timo l'a appelé, disant être un conseiller, qui lui promettait de faire fortune à condition que Robert investisse 250 euros sur une plateforme boursière. C'est ce qu'il a fait et le fameux Timo n'a cessé de le harceler. «Il était manipulateur», nous confie Robert. 

Robert a donc investi dans l'or et l'argent sur ce faux site de trading. Dès le début, les cours, contrôlés par les escrocs, se sont envolés. Il a gagné 177 euros. «C'était clair : ça marchait», se souvient-il. La possibilité de gagner plus d'argent, associée aux promesses des escrocs, a entraîné sa cupidité et Robert a soudain perdu le sens des réalités. «Comme si j'étais sous hypnose», reconnait-il. «Cela ne m'était encore jamais arrivé.»

Mais Robert ignorait qu'il n'y aurait plus d'autre virement. Par la suite, il a perdu de plus en plus d'argent. Différents «conseillers» l'appelaient sans cesse, en lui disant qu'il pouvait faire de très gros bénéfices s'il était assez courageux et investissait suffisamment. Robert a donc enchaîné les virements. Ce n'est qu'en mars qu'il a réalisé qu'il avait été escroqué. «Un choc», dit-il. Il a immédiatement ressenti de la honte, «j'étais en colère contre moi-même».

Les dommages causés par les escroqueries au placement en ligne sont importants. Selon le ministère public du canton de Zurich, la somme escroquée en Suisse en 2024 s'élevait à plus de 100 millions de francs, et cela concerne seulement les délits dénoncés. Le porte-parole du ministère Erich Wenzinger parle d'un «grand nombre de cas non déclarés» et de délits non dénoncés.
A cause de l'augmentation de ces activités, les escrocs vont s'en mettre plein les poches. Mais malgré ces chiffres inquiétants, les poursuites pénales ne suivent pas.

Des escrocs insaisissables

En effet, les auteurs sont organisés en réseau international et généralement basés à l'étranger. Ils travaillent souvent avec des méthodes de paiement anonymes comme les crypto-monnaies, les flux d'argent ne peuvent guère être retracés. Ils utilisent aussi des techniques numériques d'anonymisation et de dissimulation (VPN, messageries cryptées, structures offshore). 

Cette organisation bien ficelée rend la résolution des affaires très compliquée, comme l'explique Adrian Schuler, porte-parole du Ministère public d'Argovie. «Le taux de réussite dans l'élucidation des escroqueries au placement en ligne est faible en Suisse.» Erich Wenzinger, du ministère public zurichois, l'affirme: les enquêtes sont «extrêmement difficiles» et se terminent «souvent sans succès».

Même la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter s'est sentie concernée. Elle a lancé une offensive dans la lutte contre les escrocs aux placements en ligne et a porté plainte au pénal à plusieurs reprises pour escroquerie ainsi qu'usurpation d'identité et diffamation. Depuis la première plainte déposée en 2023, il n'y a toujours pas eu d'accusation. 

Son porte-parole Pascal Hollenstein déclare: «Il est fâcheux que la réputation de la présidente de la Confédération soit utilisée pour ces escroqueries». Il rapporte qu'elle souhaiterait arrêter les auteurs, mais que cela ne dépend pas d'elle. «C'est pourquoi elle ne peut que vous mettre en garde: ne touchez pas à des propositions aussi douteuses.»

Robert aussi a porté plainte mais il est encore troublé par cette expérience. Chaque jour, de faux conseillers l'appellent. Alors que nous lui parlons dans le salon, son téléphone portable sonne et affiche un numéro de Singapour. L'autre jour, sa femme a reçu à l'improviste un message douteux sur Whatsapp, lui disant que le Conseil fédéral la dédommagerait pour ses pertes, à condition qu'elle investisse. Il espère que cet harcèlement sera bientôt terminé. 

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