A la fin de la semaine dernière, Jona Neidhart s’est recueilli sur la tombe de sa mère à Kirchlindach, dans le canton de Berne. Il pensait alors que ce serait sans doute la dernière fois avant longtemps. Le moulin doré planté près de la croix tournait doucement dans la brise estivale. Jona Neidhart a les larmes aux yeux: «J’ai perdu plus de 40 camarades au front.» Plus rien ne semblait pouvoir l’atteindre. «Mais la mort de maman m’a profondément touché.»
L'annonce de la maladie de sa mère l’avait poussé, début juin, à quitter clandestinement la 3e brigade d’assaut ukrainienne engagée sur le front pour rentrer à Zollikofen (BE). Quelques jours plus tard, elle s’éteignait. Depuis, ce Zurichois de 34 ans veut tout avouer.
Le droit militaire suisse est clair: quiconque s’engage à l’étranger commet un crime et risque plusieurs années de prison. Jona Neidhart le sait, mais il a commis des actes que peu de Suisses ont commis.
Retour au front malgré l'interdiction
Lundi matin, il s’est présenté au poste de police militaire de Worblaufen, dans le canton de Berne. Une scène qu'il a déjà vécue: en juin 2024, il avait été brièvement arrêté après un premier retour d’Ukraine, où il avait combattu de mars 2022 à décembre 2023. La justice militaire avait ouvert une enquête après la révélation de son engagement dans les colonnes de Blick.
Libéré dans l’attente de son procès, il était pourtant reparti au front. Et cette fois encore, il avait beaucoup de choses à raconter: Blick sait désormais ce que Jona Neidhart a fait en Ukraine.
Jeudi dernier, on le retrouvait assis sur son lit, dans l’appartement familial de Zollikofen. Son immense sac militaire reposait contre un punching-ball, à côté d’une pile de 27 peluches. Des photos de famille et des versets bibliques couvraient les murs. Chrétien convaincu, Jona Neidhart est aussi un défenseur acharné de l’Ukraine.
500 dollars par mois
Après sa première arrestation, il avait accepté l’interdiction de voyager prononcée par la justice militaire. Mais en décembre 2024, l'ancien grenadier avait décidé de repartir.
«Je ne voulais plus perdre de temps. L’Ukraine a besoin de combattants, et je sais me battre. Je voulais aider mes amis à chasser les Russes de leur pays», explique-t-il. Sa voix douce contraste avec son physique massif et surtout avec les récits de terrain qu’il partage.
Le 24 janvier 2025, il signait un contrat de trois ans avec la 3e brigade d’assaut. Il touchait 500 dollars par mois, et jusqu’à 3000 dollars lors des déploiements en première ligne. Il recevait aussi du matériel professionnel, dont un fusil d'assaut AK-74 et un sac de couchage, aujourd’hui posé sur son lit à Zollikofen.
Légitime défense ou crime de guerre?
Ce géant d’1m90 au crâne rasé raconte ses missions dans le Donbass. Le 30 avril 2025, lui et trois camarades sont attaqués par des soldats russes et plusieurs drones de combat sur une ligne de front à l’est de la ville ukrainienne d’Izioum. Un camarade meurt, deux autres sont grièvement blessés.
«D’un coup, je me suis retrouvé seul face à trois Russes et à tous ces drones. Aujourd’hui, le danger vient surtout du ciel. Ce n’était pas aussi intense au début de mon engagement au front», raconte-t-il. Il récupère alors les chargeurs de ses camarades au sol et tire sans compter. Les Russes prennent la fuite avant d’être abattus par un drone ukrainien.
Peu après, une nouvelle escouade russe est envoyée contre sa position. Avec deux camarades venus en renfort, Jona Neidhart lutte pendant des heures contre les drones, les obus d’artillerie et les soldats ennemis. «Tout tremblait, tout tremblait.» Quelques heures plus tard, ils tombent sur un soldat russe caché dans un buisson. «Mon voisin a vidé son chargeur. Il a tiré 30 balles. Moi, je lui ai tiré une balle dans la tête pour éviter qu’il se relève et nous lance une grenade», raconte Jona Neidhart.
Un acte de légitime défense ou un crime de guerre? «C’était une zone grise, dans un moment de stress extrême», dit-il. Mais une balle dans la tête d'un soldat tombé au combat? Selon lui, l’ordre était clair: «Nous devions tuer l’assaillant, car certains Russes faisaient semblant d’être morts avant d’ouvrir le feu. Nous devions être sûrs qu'il était mort pour protéger nos vies», explique Jona Neidhart.
De la haine à la pitié
En fouillant le cadavre à la recherche de documents, Jona Neidhart trouve une alliance. «Quelque part en Russie, il y a maintenant une veuve, peut-être des orphelins, à cause de moi», confie-t-il. «Ma colère contre Poutine, qui a envoyé cet homme à la mort avec ses mensonges et sa propagande, a décuplé à cet instant.» Il a laissé le corps derrière lui. Les images du défunt russe restent gravées dans sa mémoire.
Jona Neidhart dénonce un système cynique, où Moscou recrute ses soldats dans les régions les plus pauvres de Russie ou dans les prisons en leur promettant une réduction de peine, envoyant même sans-abris et toxicomanes sur le front. «Une pratique abjecte», s’indigne-t-il. Pour lui, le monde doit se réveiller et inciter à une action décisive contre la Russie de Poutine. «La Suisse devra sortir de son sommeil. Cette guerre menace aussi notre sécurité.»
Surprise au commissariat
Récidiviste, Jona Neidhart risque jusqu'à quatre ans et demi de prison. Quelques minutes avant de se rendre à la police de Worblaufen lundi, Jona Neidhart déclare à Blick: «Je veux assumer mes actes et envoyer un message politique.» La Suisse doit reconsidérer sa neutralité, assure-t-il. «Je briserai la mienne cent fois s'il le faut pour arrêter Poutine.»
Mais son arrivée au poste tourne à la surprise. Lorsque Jona Neidhart veut se rendre, accompagné de son avocat, l’officier de service se montre interloqué: «Un mandat d’arrêt? Il est recherché par l’armée?» Deux heures plus tard, Jona Neidhart ressort libre: son juge d’instruction étant en vacances, il n’a eu qu’à remettre ses documents de voyage. «Je pensais vraiment qu’ils me garderaient», reconnaît-il.
Aujourd’hui, il s’occupe de son père, mais attend son interrogatoire avec impatience. «C’est le seul moyen de faire passer mon message», dit-il. Il espère aussi partager son expérience avec l’armée suisse. «J’ai beaucoup appris de l’armée ukrainienne et je souhaite transmettre ce savoir.»
Le Zurichois se dit prêt à accepter une éventuelle peine de prison, mais pas à renoncer à l’Ukraine. «Je suis toujours prêt à mourir pour elle.» Son contrat avec la 3e brigade est simplement suspendu. Il lui reste deux ans et huit mois de service. «Un contrat est un contrat. Je l’honorerai, quelles que soient les lois suisses.»