La Suisse s'était peut-être réveillée sur les questions de défense après l'invasion de l'Ukraine en 2022, mais elle s'est rendormie, a estimé mardi le chef de l'armée Thomas Süssli. A ses yeux, il faut encore renforcer la capacité à répondre aux menaces.
Tirant devant la presse le bilan des six ans qu'il a passés à la tête de l'armée, l'Argovien s'est félicité d'un «changement de culture». L'armée a gagné en visibilité depuis son entrée en fonctions en 2019, a-t-il relevé.
Mais dans le même temps, «nous n'avons pas assez réussi à expliquer» les besoins de l'armée et la nécessité de renforcer la défense, a-t-il regretté. D'autant plus que la Russie reste menaçante et qu'elle cherche toujours à diviser l'Occident.
Deux crises coup sur coup
Et le commandant de corps de rappeler qu'il y a six ans, la principale menace était celle d'une guerre «cyber». Personne ne pensait qu'une guerre conventionnelle pouvait survenir en Europe, a-t-il souligné. On discutait alors de savoir si chaque soldat avait vraiment besoin d'un gilet pare-balles.
Puis a éclaté la pandémie de Covid-19, qui a donné lieu à «la plus importante mobilisation» de l'armée suisse depuis 1945, suivie le 24 février 2022 de la guerre en Ukraine. «Je me suis vite rendu compte que ce tournant aurait également un impact sur la Suisse et l'armée», a-t-il dit.
L'accent a été mis sur la défense, en particulier sur la défense contre les «menaces à distance» telles que les missiles balistiques, les missiles de croisière ou les drones.
Menace russe
D'autant plus que la Russie reste menaçante: elle est passée à une économie de guerre et produit plus de matériel qu'avant 2022, avertit l'officier. Selon lui, il y a «plus que des signes évidents» montrant que Moscou se prépare à étendre la guerre avec l'Occident et qu'elle recourt à la guerre hybride, à la désinformation, à l'ingérence, aux cyberattaques, à l'espionnage et au sabotage.
Il est possible que la Russie tente déjà en 2028 ou 2029 d'attaquer un autre pays, par exemple d'occuper une partie d'un Etat balte. Ce qui permettrait à Vladimir Poutine de montrer que le système de défense de l'Otan ne fonctionne pas.
«En tant que Suisses, nous devons bien entendu montrer que nous sommes prêts à défendre notre souveraineté», affirme-t-il. Tout en regrettant que «nous nous sommes peu intéressés» à ce sujet.
Une guerre si proche
Selon lui, trois raisons expliquent que la Suisse se soit «un peu endormie». Notamment le fait qu'elle a depuis longtemps été épargnée par «la guerre et la terreur», à l'inverse par exemple des Etats baltes.
Le conflit en Ukraine semble en outre très lointain, il apparaît toujours comme une guerre aux périphéries de l'Europe. «Et pourtant, si l'Ukraine devait tomber, il n'y aurait plus que deux pays entre la Suisse et la Russie: la Hongrie et l'Autriche», avertit Thomas Süssli.
Enfin, on croit encore que le statut d'Etat neutre pourra protéger la Suisse. Or, ce n'est plus le cas dans «un monde multipolaire où les règles ne comptent plus», ajoute-t-il. Raison pour laquelle il vaut mieux miser sur la neutralité armée pour «tenir» en cas d'attaque.
Coopération indispensable
Dans un tel scenario, la Confédération ne pourra toutefois se défendre seule. Le droit de la neutralité autorise le Conseil fédéral à coopérer avec d'autres Etats. Mais une telle coopération nécessite que les armées aient les mêmes normes, processus et structures.
Cette interopérabilité ne s'acquiert «pas du jour au lendemain. Cela prend du temps«, a-t-il plaidé pour défendre une coopération, qui a «déjà commencé».
Thomas Süssli a officiellement passé jeudi le témoin au divisionnaire Benedikt Roos, qui prendra ses fonctions le 1er janvier. L'ancien banquier et informaticien prendra une pause de janvier à mars, avant de décider des nouveaux défis auxquels il entend faire face.