Il est de loin le plus jeune conseiller fédéral, et pourtant il a déjà passé plus d'une décennie au gouvernement. Un collège où il a remplacé, en 2011, une certaine Micheline Calmy-Rey. Mais les années passent inéluctablement: ce samedi, Alain Berset devient quinquagénaire.
Omniprésent durant la pandémie, le Fribourgeois peut enfin souffler. «Pas du tout», rétorque-t-il — certains dossiers relégués au second plan par la pandémie, dont nos retraites, sont bien trop importants pour prendre la poussière. Et la sienne, quand interviendra-t-elle? Carrière personnelle, guerre en Ukraine et Covid: le vice-président de la Confédération a accordé un long entretien à Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick.
En l'espace de deux mois, la pandémie a complètement disparu des radars. C'est fini, le Covid?
Non, ce n'est absolument pas terminé. La phase la plus compliquée de la pandémie est derrière nous, et cela a pris du temps. Deux ans, au total. Désormais, nous avons beaucoup de réponses et une immunité importante dans la population. Nous disposons aussi des meilleurs vaccins, bientôt de médicaments... Nous sommes armés pour faire face à cette situation qui perdure.
Voilà une semaine que les dernières mesures ont été levées. Pouvez-vous déjà formuler un premier bilan?
J'étais soulagé que cela soit possible. Dès le début, nous avons martelé au Conseil fédéral que notre objectif était de sortir de cette situation de crise. Nous avons continuellement tenté de prendre des mesures uniquement lorsque c'était vraiment nécessaire et lorsqu'elles avaient fait leurs preuves. Au carrefour de cette année, nous avons constaté que nous verrions le bout du tunnel à la sortie de l'hiver. Il subsistait évidemment des doutes, mais je suis très content de voir que la stratégie du Conseil fédéral ait payé.
Vous avez récemment été vous-même infecté par le virus. Comment l'avez-vous vécu?
Plutôt bien. Vous savez, j'ai été complètement vacciné, booster inclus. Nous savons très bien et nous avons toujours dit que la vaccination n'empêchait pas une infection, mais cela en atténue les effets. C'est précisément ce qui s'est passé dans mon cas.
Donc Omicron n'a pas été très virulent.
Non. Je dirais même qu'avant la pandémie, si j'avais ressenti des symptômes aussi légers, je serais allé travailler. Aujourd'hui, je fais un peu plus attention.
Est-ce que, vraiment, le pire est derrière nous ou vous pensez qu'il peut encore y avoir des turbulences?
C'est tout à fait possible, et il ne faut pas l'oublier. Mais les compétences sont clairement définies dans le cadre de la «situation normale» au sens de la Loi sur les épidémies. Vous dites d'ailleurs que toutes les mesures ont été levées, mais ce n'est pas le cas — dans les hôpitaux, par exemple, le masque est toujours en vigueur. Ces prochains mois, il sera fondamental que les personnes vulnérables aient accès à une injection de rappel.
Devrons-nous tous passer par la case booster?
Il est difficile de répondre à cette question maintenant. Si vous réfléchissez à toute la pandémie, nous n'avons jamais pu formuler de pronostics à trois ou quatre mois. Sur l'échelle du Covid, deux semaines étaient parfois une éternité. Nous verrons en septembre ou en octobre, mais nous devons garder de la flexibilité. Et se préparer, bien évidemment.
Passons maintenant à un plan plus personnel. Vous n'aviez jamais été aussi exposé que durant cette pandémie. Comment l'avez-vous vécu?
Ce fut une période très difficile. La pression était énorme, il a fallu prendre des décisions rapidement. Nous avons essayé de faire au plus juste, même si nous avons parfois dû corriger des erreurs. C'était difficile. Très difficile. Mais aussi une sacrée expérience. Je n'aurais pas tenu dix ans ainsi. J'ai besoin de temps pour récupérer, même si je vais bien.
Après une période si exigeante, n'y a-t-il pas le danger de ressentir un contre-coup, une forme de vide?
Non, pas du tout. Vous savez, j'ai le plaisir et le privilège de mener le Département de l'intérieur, et ce n'est pas de tout repos. Il y a les coûts de la santé, les assurances sociales, l'AVS, le deuxième pilier, la politique culturelle... C'est très diversifié mais aussi très intense. Et je suis conseiller fédéral.
C'est un peu le département des problèmes (Rires)! Rien qu'avec la santé et les retraites... Est-ce que vous avez encore de l'énergie pour ces immenses dossiers?
J'ai non seulement l'énergie mais aussi une expérience accrue grâce à toutes ces épreuves. Ces dossiers sont un peu restés en arrière-plan durant une période, notamment parce que les parlementaires étaient focalisés sur d'autres choses. Mais il n'y a pas de temps à perdre. Si vous prenez l'AVS, le message du gouvernement date d'août 2019 et la votation n'aura lieu que cet automne. Le retour à la normalité marque le retour dans l'actualité de ces gros dossiers. Il faut se mettre au travail et trouver des solutions!
Vous fêtez demain (ce samedi, ndlr.) votre 50e anniversaire. Est-ce que ça vous fait mal de passer le demi-siècle?
Oh, je n'ai absolument pas eu le temps d'y penser. Et je ne ressens pas de douleur (il sourit). Le temps passe et je me sens chanceux d'être bien entouré au Conseil fédéral. J'y mets beaucoup de passion et d'énergie, je suis très engagé et nous formons une bonne équipe. Mais vous avez raison — les années défilent! Lorsque j'ai été élu au Conseil fédéral, je n'avais pas encore 40 ans et dès samedi, mon âge commence par un 5...
Je me permets de rebondir: plus de dix ans au Conseil fédéral et à peine 50 ans, c'est une tendance assez nouvelle. Qu'est-ce que vous comptez faire? Encore quinze ans, jusqu'à la retraite?
Je n'y ai pas réfléchi. Peut-être parce que je suis encore, avec une grosse marge, le junior au Conseil fédéral! Tous mes collègues sont bien plus âgés. Malgré toute mon expérience. Mais j'ai beaucoup de plaisir.
Comptez-vous changer de département?
Cela fait partie des possibilités, mais nous devons en discuter avec tout le Conseil fédéral. Le plus important, c'est l'intérêt du pays. Nous discutons continuellement et nous réfléchissons à comment exploiter au maximum nos forces. Comment former la meilleure équipe?
Mais vous restez un individu. Avec ses propres intérêts...
J'aurais pu plusieurs fois changer de département, mais le timing n'était pas bon.
En tout cas, vous ne pouvez pas démissionner. Sinon, votre parti perdrait à coup sûr son deuxième siège au profit des Verts...
Oh, vous savez, ce n'est pas une question qui nous occupe beaucoup au Conseil fédéral. C'est un sujet passionnant pour les partis et pour la presse, beaucoup moins pour le gouvernement. Nous sommes sept, nous travaillons en équipe et nous profitons de la stabilité. Être conseiller fédéral, c'est un immense défi. Nous sommes à flux tendu presque jour et nuit, sept jour sur sept. Il faut être engagé et passionné.
Particulièrement en ce moment: voilà 43 jours que la guerre a commencé et personne ne semble pouvoir arrêter Vladimir Poutine. Comment vivez-vous cela, Alain Berset?
On a toujours dans un coin de la tête que de telles choses peuvent se produire. En théorie. Mais lorsque cela devient la réalité, c'est l'horreur absolue. Il n'y a pas d'autre mot. Cela touche tellement de gens sur notre continent... Ces images qui nous parviennent, c'est tout simplement terrible.
Vous le dites vous-même: l'horreur absolue. Et pourtant, la Suisse s'est montrée assez hésitante au moment de condamner les actes de la Russie et qualifier ce qui semble clairement être des crimes de guerre...
Je ne crois pas que nous soyons montrés hésitants. Nous avons pris le temps de réfléchir, d'appliquer les sanctions de manière sérieuse sans qu'il puisse y avoir des moyens de les contourner. Je peux vous garantir que nous faisons tout notre possible. Parfois, cela prend du temps et nous préférons être honnêtes, le dire, plutôt que de prétendre que tout est parfait.
Mais pourquoi est-ce si difficile? Pour une fois, les données sont claires, qui est l'agresseur, qui est la victime. Pourquoi faut-il quatre ou cinq jours jusqu'à ce que des sanctions soient en vigueur? Et pourquoi n'avoir pas parlé tout de suite de crimes de guerre?
Vous parlez d'il y a un mois et demi?
Non, cette semaine.
Je pense que les termes vont encore être précisés. De toute manière, tout indique qu'il s'agit bien de crimes de guerre. Les pires qu'il soit, d'ailleurs.
Alors pourquoi le Conseil fédéral ne le dit pas ainsi?
Je crois que nous le faisons.
Mais cela prend du temps. Il a fallu attendre que Karin Keller-Sutter prononce elle-même le mot «guerre» pour que le Conseil fédéral change de discours...
Vous savez, cette situation est un immense défi. C'est une catastrophe sur notre continent. La réponse doit être concertée: comment la Suisse peut-elle réagir?
Nous avons agi aussi vite que possible en appliquant les sanctions, mais nous devons nous interroger plus largement: qu'est-ce que l'on peut faire? Nous ne pouvons pas accepter ce qui se passe. La communauté internationale a bien réagi, et nous en font partie. L'Europe était un continent de paix, et tout à coup, tout change. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire.
Cela peut-il remettre en cause notre neutralité?
Je ne crois pas. Neutralité ne veut pas dire indifférence.
Mais est-ce que l'on peut imaginer aller plus loin?
Nous n'avons jamais réagi aussi vite et aussi fort que dans ce cas précis. Parce que la situation l'a requis, et cela montre que nous pouvons nous adapter. Mais nous sommes encore en pleine crise, les choses évoluent de jour en jour. La preuve avec ces images horribles que la planète entière a vues, y compris la Suisse. Qui aurait pu penser qu'une telle horreur puisse se produire en 2022?
Ce sont nos valeurs occidentales qui sont attaquées. Ne devrions-pas, en tant que pays occidental, abandonner cette neutralité et dire que nous voulons défendre ces valeurs?
Notre neutralité a toujours eu un sens: pour la Suisse, cela veut dire que nous sommes prêts à aider, à jouer un rôle pour le multilatéralisme, pour que les problèmes soient thématisés sur le plan international.
Concrètement, que peut faire la Suisse? Stopper les importations de gaz? Confisquer l'argent des oligarques?
Ce qui est central, c'est d'assumer ses promesses. C'est facile d'annoncer plein de choses sans effets. Il faut véritablement les appliquer, aller jusqu'au bout de nos intentions.
Qu'est-ce qui est fait, justement?
Ce n'est pas facile. Il y a encore du pain sur la planche.
Prenons le gaz: est-ce qu'il est possible de tourner le dos totalement à la Russie de Poutine? Cela aurait à coup sûr des effets.
Nous devons discuter cela avec d'autres États. Il y a des négociations en ce sens, tout s'est développé rapidement ces derniers jours. Là aussi, qui aurait cru que nous envisagerions cela aussi rapidement? Les développements sont impressionnants — pour cela aussi, nous faisons pleinement partie d'une communauté internationale.
À vous entendre, on pourrait croire que la Suisse a décidé de faire comme l'Union européenne, à savoir pas moins mais pas davantage non plus.
Est-il possible de prendre des décisions à l'échelle de la Suisse uniquement? Vous savez, nous sommes un petit pays, il est difficile d'entreprendre quelque chose de manière isolée. Mais nous sommes un trop grand pays pour fermer les yeux.
Cela dit, nous avons beaucoup d'argent des oligarques dans nos banques.
Je reviens précisément à ce que je viens de dire: si nous annonçons quelque chose, nous devons être sûrs de pouvoir le mettre en place et l'appliquer. C'est pourquoi il faut prendre le temps de bien réfléchir avant d'entreprendre quoi que ce soit.
Est-ce que vous avez des garanties que l'argent est réellement bloqué?
Nous devons absolument le vérifier, suivre attentivement la situation, insister et corriger les mesures si le besoin se fait sentir.