La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le ministre de l'économie Guy Parmelin se sont envolés mardi matin à bord du jet du Conseil fédéral, en direction de Washington. Leur objectif: tenter de conclure in extremis un accord avec Donald Trump, avant que les lourdes taxes douanières de 39% ne frappent la Suisse ce jeudi 7 août. Alors que des dizaines de milliers d'emplois sont en jeu, les autorités suisses ont atterri aux Etats-Unis munis d'une offre qu'ils estiment «plus attrayante» pour le président américain.
La tâche s’annonce ardue pour les deux conseillers fédéraux. Car personne ne sait précisément ce que veut Donald Trump, et l’issue de cette tentative de médiation reste extrêmement incertaine. Pire encore, le président américain ne prévoit aucune rencontre à ce stade avec la délégation suisse, a fait savoir l'AFP dans la nuit de mardi à mercredi, citant un responsable de la Maison-Blanche.
Karin Keller Sutter n'obtiendra vraisemblablement pas mieux qu'une entrevue avec le secrétaire d'Etat Marco Rubio. La rencontre, prévue pour 16h15, heure suisse, mercredi est inscrite sur le calendrier publié par le secrétariat d'Etat.
Une bombe en plein vol
Pour ne rien arranger à l'affaire, Donald Trump a lancé une nouvelle provocation en direct contre la Suisse et plus précisément contre Karin Keller-Sutter. Interviewé par la chaîne américaine CNBC, il a tourné en dérision la présidente de la Confédération: «J’ai parlé à la Première ministre suisse», a-t-il déclaré, en référence à la Saint-Galloise. «Je ne la connaissais même pas.»
Pourtant, un échange téléphonique avait déjà eu lieu en avril entre la conseillère fédérale du Parti libéral-radical (PLR) et le président américain. «Elle était gentille, mais elle ne voulait pas écouter», a ajouté Trump. Les deux conseillers fédéraux ont pris connaissance de cette saillie au cours de leur voyage bord de l’avion gouvernemental. Mais la délégation a préféré ne pas commenter ces propos dans l'immédiat.
Dans la même interview, Trump a réitéré sa volonté d’imposer des droits de douane élevés sur les produits pharmaceutiques, évoquant une annonce prévue «dans le courant de la semaine prochaine». Il précise: «Nous allons commencer par des droits de douane relativement bas sur les médicaments, mais d’ici à un an, un an et demi au plus tard, ils passeront à 150%, puis à 250%.»
Dialogue direct nécessaire
Cette déclaration soulève une question: la mission du Conseil fédéral était-elle déjà condamnée avant même l’atterrissage? Thomas Borer, ancien ambassadeur de Suisse, connu pour avoir géré la crise diplomatique liée à l’or nazi, estime malgré tout que le déplacement est justifié. «J’aurais souhaité que les conseillers fédéraux partent dès dimanche. Maintenant, il est essentiel d’établir un contact direct avec Donald Trump.»
Selon lui, un accord avait déjà été trouvé avec le représentant au commerce Jamieson Greer et le secrétaire au Trésor Scott Bessent, mais le président américain ne l’a pas validé. «On ne peut pas conclure qu’un accord est en place simplement parce qu’une visite est organisée, nuance Thomas Borer. Mais j’ai de la peine à imaginer que Trump refuse de recevoir les deux plus puissantes figures politiques de Suisse. Ce serait un affront diplomatique.»
Les déclarations de Trump à CNBC montrent cependant que les négociations ne se déroulent pas comme prévu. «Aux Etats-Unis, les relations personnelles comptent beaucoup. Or, manifestement, elles sont inexistantes dans ce cas, observe l’ancien diplomate. Et cela ne joue pas en faveur de la Suisse.»
Que contient ce nouvel accord?
Dans le cercle proche du Conseil fédéral, on affirmait déjà lundi: «Nous n’irons pas à Washington pour attendre dans une chambre d’hôtel.» Mais même une rencontre avec le président ne garantirait rien. Le tempérament imprévisible de Donald Trump pourrait tout faire basculer, même à la dernière minute.
Que peut réellement proposer la Suisse? Le gouvernement n’a pas communiqué d’offre concrète. Certaines pistes évoquées dans le passé pour ces négociations comprennent une augmentation des investissements suisses aux Etats-Unis, des discussions sur les prix des médicaments produits par les géants pharmaceutiques, l’achat d’énergie fossile américaine ou encore une réduction des droits de douane sur des produits agricoles comme le bœuf.
Mais les marges de manœuvre du Conseil fédéral sont limitées. Il ne peut ni forcer les entreprises suisses à acheter du gaz ou du pétrole américain, ni contraindre les groupes pharmaceutiques à baisser leurs prix.
Un pari risqué
Une chose est sûre: ce voyage est risqué. Si aucun accord, délai ou même rencontre n’est obtenu, les critiques à l’égard des deux conseillers fédéraux devraient rapidement se multiplier. Les positions entre les deux pays semblent aujourd’hui plus éloignées que jamais.
Lors de son intervention sur CNBC, Trump a même évoqué une supposée exigence suisse fixant les droits de douane à 1%. Or, selon une déclaration d’intention ayant récemment fuité, il était jusqu’à présent question d’un taux compris entre 10 et 15%.