Condamnation de la CEDH
La Suisse rappelée à l’ordre sur les droits des prévenus

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Suisse dans une affaire d'opposition à une ordonnance pénale. Le retrait de l'opposition ne peut être présumé si la requérante souhaitait clairement un examen judiciaire des accusations.
La Suisse a été condamnée par la CEDH sur les droits des prévenus.
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ATS Agence télégraphique suisse

La Cour européenne des droits de l'homme condamne la Suisse dans une affaire d'opposition à une ordonnance pénale. Le retrait ne peut pas être présumé s'il est évident que la requérante voulait obtenir un examen judiciaire des accusations portées contre elle.

L'affaire concerne une ressortissante marocaine résidant en Suisse. En 2016, elle a été condamnée par le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne pour avoir hébergé deux personnes en situation irrégulière et accepté des objets volés. Elle a écopé de 100 jours-amende à 30 francs.

Dès la réception de l'ordonnance pénale, elle a fait opposition auprès du procureur. Lors de l'audience devant le Tribunal de police, le juge a constaté l'absence sans excuse de la justiciable. Par la suite, cette dernière a fourni un constat de coups et blessures du service des urgences pour une agression le matin de l'audience.

«Fiction de retrait» définitive

Le Tribunal de police et les instances suivantes ont considéré qu'en l'absence d'excuse, l'opposition de la requérante était réputée retirée. Conformément au Code de procédure pénale, cette «fiction de retrait» ne pouvait pas être contestée par la suite.

Pour les juges de Strasbourg, le système de l'ordonnance pénale prononcée par le Ministère public n'est compatible avec le droit d'accès à un tribunal (article 6 de la convention) que si le prévenu a la possibilité ensuite de saisir une juridiction compétente pour statuer sur les accusations portées contre lui.

Dans cet arrêt de chambre publié jeudi, la Cour estime que la renonciation à ce droit doit être sans équivoque et entourée d'un minimum de garanties. Si elle n'est pas explicite, elle doit être «volontaire, consciente et éclairée».

Opposition claire

En l'espèce, la requérante a fait appel du jugement du Tribunal de police et fournit une explication pour son absence. Elle a ainsi clairement exprimé sa volonté de maintenir son opposition et d'obtenir un examen judiciaire des accusations portées contre elle, relève la Cour.

Dans sa réplique, le gouvernement suisse expliquait que la fiction du retrait de l'opposition visait à décharger les tribunaux des procédures auxquelles les prévenus n'attachent pas d'intérêt réel. Pour Strasbourg au contraire, ce système touche à la substance même du droit d'accès à un tribunal.

La fiction du retrait peut aboutir au prononcé d'une sanction d'une certaine importance puisque le Ministère public peut infliger par voie d'ordonnance une peine de 6 mois de prison ou de 180 jours-amende, souligne l'instance européenne.

Enfin, le caractère définitif du retrait de l'opposition est particulière problématique dans ce cas précis. Car il était manifeste que la requérante voulait faire appel de la décision du Tribunal de police.

Outre le constat de la violation de l'article 6, la Cour condamne la Suisse à verser 4800 euros à la requérante pour ses frais et dépens. (requête No 9087/18)

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