Hors du cadre civil
Cette Suissesse promeut des mariages islamiques en ligne… mais est-ce légal?

Une ancienne mannequin bernoise marie des couples musulmans via une application. Par le passé, elle faisait la promotion du Conseil central islamique, qui recommande aux candidats au mariage de recourir à ces cérémonies en ligne.
Publié: 11:57 heures
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Dernière mise à jour: 15:10 heures
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Qaasim Illi (à gauche) et Nicolas Blancho font partie du comité directeur du CCIS.
Photo: Keystone
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Andreas Schmid

Sur le site du Conseil central islamique suisse (CCIS), basé à Berne, l’application MyNikahNow fait la promotion de mariages religieux simples et rapides. La cérémonie peut être organisée en ligne en moins de 48 heures. L’application permettrait ainsi aux musulmans du monde entier de célébrer leur nikah – le mariage selon le droit islamique – en présence d’un imam professionnel. Le service est présenté comme une «alternative au mariage civil».

Le principe de primauté du mariage civil s’applique pourtant en Suisse: une union religieuse n’est pas autorisée sans passage préalable à l’état civil. Maimouna Ahmed, 31 ans, qui exploite l’application, souligne toutefois que l’entreprise qui la porte est établie au Royaume-Uni, où les cérémonies religieuses ne sont pas encadrées par l’Etat.

Inscrite à Berne, Maimouna Ahmed s’était fait connaître en Suisse en tant que candidate à un concours de mannequinat. En 2023, elle s'était fait remarquer en apparaissant sur les réseaux sociaux dans des vidéos promotionnelles du CCIS, aux côtés de ses figures de prou, Qaasim Illi et le très controversé Nicolas Blancho.

Convertis à l’islam, les deux hommes sont tombés en disgrâce en raison de leurs liens avec l’islam politique et leur propagande en faveur d'organisations terroristes. Tous deux ont été condamnés en justice pour infraction à la loi interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «Etat islamique».

Le CCIS recommande l'application

Concernant le fait que l’application encourage des couples suisses à se marier en ligne sans passer d’abord par l’état civil, le porte-parole du CCIS, Qaasim Illi, affirme que le Conseil propose des espaces publicitaires payants à des prestataires commerciaux: «C’est l’une de nos sources de revenus.» Le contenu proviendrait de MyNikahNow et relèverait de la seule responsabilité de l’entreprise. Quant à son opératrice, Maimouna Ahmed, elle ne serait pas membre du CCIS.

Ce que Qaasim Illi ne dit pas, c'est que le CCIS a recommandé l’application à des couples désireux de célébrer leur union, comme l'a appris Blick auprès de plusieurs d'entre eux. La plateforme leur aurait été présentée comme une option pratique et fiable pour organiser la cérémonie religieuse.

Selon plusieurs sources, le CCIS aurait même directement célébré des mariages religieux dans une mosquée biennoise pour des couples non mariés au civil. «Le CCIS organise lui aussi des cérémonies de nikah religieuses. Il est prévu que les couples confirment par signature être déjà mariés civilement», répond le porte-parole du Conseil central. Il assure que le CCIS se conforme strictement à toutes les lois en vigueur.

Une clientèle de 50 pays différents

Pour réserver une cérémonie en ligne via l’application MyNikahNow, il faut débourser l'équivalent de 100 francs. Pour environ 20 francs de plus, il est possible de l'organiser sous 48 heures. L'app offre également la possibilité d'ajouter des témoins moyennant un supplément, «ce qui est particulièrement élégant pour les personnes attachées à la discrétion», selon une publicité. Le site de l’application utilise un nom de domaine allemand.

Selon son opératrice, Maimouna Ahmed, des couples de plus de 50 pays ont eu recours à ce service depuis fin 2023. «Nous observons partout dans le monde un intérêt décroissant pour les mariages civils», explique la Bernoise. De nombreux musulmans souhaiteraient avoir accès à une union religieuse sans mariage civil préalable. Au Royaume-Uni, assure-t-elle, ce modèle commercial est parfaitement légal.

S'agissant de potentiels liens avec le CCIS, Maimouna Ahmed affirme: «J’ai quitté le Conseil central islamique depuis longtemps et n’y exerce plus aucune fonction.»

«Zone de non-droit»

Pour Elham Manea, professeure de science politique à l’Université de Zurich, ce service est «hautement problématique». Cette spécialiste de l’islam estime que l’application transforme le mariage religieux en simple produit Lifestyle.

«Le véritable objectif consiste à contourner délibérément la primauté du mariage civil.» De telles unions strictement religieuses créeraient ainsi des «zones de non-droit»: les femmes mariées religieusement ne bénéficieraient ainsi d’aucune protection juridique. Au Royaume-Uni, explique-t-elle, cette pratique a ouvert la voie à des mariages forcés, y compris de mineures, faute de contrôle civil.

L’Office fédéral de la justice (OFJ), en tant qu’autorité de surveillance, observe lui aussi ces «mariages express» avec attention. Sa porte-parole, Ingrid Ryser, rappelle que les unions conclues à l’étranger, dans une mosquée en Suisse ou même par téléphone, préoccupent depuis un certain temps.

Mais pour faire respecter la primauté du mariage civil, «seuls des mécanismes de mise en oeuvre très limités sont à disposition». A cela s’ajoute que ces unions restent, pour la plupart, invisibles aux yeux de l’État.

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