Credit Suisse avait trinqué
Ces banques de l'ombre sont-elles dangereuses pour la place financière suisse?

La chute de Credit Suisse en 2023, aggravée par le scandale Archegos, a révélé les dangers des «banques de l’ombre», ces acteurs financiers non réglementés dont la croissance fulgurante déplace les risques hors du système bancaire traditionnel.
Publié: 22.10.2025 à 22:01 heures
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Les banques de l’ombre désignent des acteurs financiers non bancaires mais menant des activités similaires à celles des banques.
Photo: Shutterstock
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Holger Alich
Handelszeitung

La débâcle de Credit Suisse en 2023 était largement autoproduite. Les politiques se demandent aujourd’hui quelles leçons la Suisse doit en tirer. L’un des éléments déclencheurs de la chute de Credit Suisse a été le scandale Archegos en 2021: la banque avait perdu des milliards dans ses affaires avec cette société d’investissement à peine réglementée.

Les régulateurs mettaient pourtant déjà en garde contre les dangers des banques de l’ombre. Aujourd’hui encore, la faillite du fournisseur américain First Brands, dans lequel ces acteurs étaient fortement engagés, remet ce secteur sous les projecteurs.

Mais que recouvre ce terme? Et pourquoi ces institutions sont-elles jugées si risquées? On vous explique tout en cinq points.

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Qu’est-ce qu’une banque de l’ombre?

Le terme «banque de l’ombre» est un terme générique désignant les acteurs financiers qui effectuent des opérations similaires à celles des banques sans être eux-mêmes des banques. En anglais, le terme Non-Bank Financial Intermediation, en abrégé NBFI, s’est imposé. Il peut s’agir de fonds du marché monétaire, de fonds de crédit, de fonds spéculatifs, de sociétés de leasing, de sociétés de financement, de courtiers-négociants ou de family-offices.

Ces acteurs participent souvent à des opérations de crédit impliquant des risques similaires à ceux des banques: manque de liquidité, transformation des échéances ou recours excessif à l’endettement. Sauf que contrairement aux banques «classiques», ils n’ont pas accès aux dépôts et financent leurs prêts via des investisseurs ou d’autres établissements. Mais surtout, ils échappent à la surveillance bancaire.

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Quelle est la taille de ce secteur?

Selon le Conseil de stabilité financière, le secteur représentait plus de 70’000 milliards de dollars fin 2023. Les fonds en constituent les trois quarts. Si l’on inclut les assureurs et fonds de pension, les acteurs non bancaires gèrent près de 240’000 milliards de dollars, soit la moitié des actifs financiers mondiaux.

Leur croissance est deux fois plus rapide que celle du secteur bancaire. Et pour cause: la réglementation plus stricte imposée aux banques rend les crédits aux entreprises plus coûteux. Les banques préfèrent donc financer des acteurs financiers non bancaires, lesquels redistribuent ensuite ces fonds à l’économie réelle.

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Quels sont les risques?

Les banques de l’ombre peuvent gravement amplifier les crises financières. Par exemple, lors d’une panique sur les fonds monétaires américains, les retraits massifs obligent les fonds à vendre leurs titres d’Etat, ce qui fait chuter leurs valeurs et déclenche un effet boule de neige.

Les experts s’inquiètent aussi des liens étroits entre banques et fonds de crédit. Ces derniers utilisent souvent les prêts comme réserves de liquidités et les retirent en période de tension, précisément quand leurs garanties perdent de la valeur. Les banques se retrouvent alors à prêter davantage à des acteurs fragilisés, sans toujours évaluer correctement les risques.

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La Suisse a-t-elle déjà été touchée?

Oui. En 2021, Credit Suisse a subi de plein fouet la faillite d’Archegos Capital, une société d’investissement de l’entrepreneur sud-coréen Bill Hwang. Archegos spéculait via des «swaps de rendement total», un contrat passé entre une banque et un investisseur qui permet à ce dernier de profiter du rendement d’un actif sans le posséder réellement.

Mais quand les actions se sont effondrées, Archegos n’a plus pu fournir les garanties exigées. Les banques, contraintes de vendre leurs actions, ont ainsi aggravé la chute. Résultat? 5,5 milliards de dollars de pertes pour Credit Suisse et 861 millions pour UBS. En 2022, un épisode similaire a secoué les fonds de pension britanniques, poussant la Banque d’Angleterre à intervenir.

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Quelle est la situation actuelle en Suisse?

Comme le montre l’exemple d’Archegos, la place financière suisse est également exposée aux risques du secteur bancaire parallèle. En outre, la Suisse possède également un important secteur financier non bancaire.

Selon la Banque nationale suisse (BNS), ce secteur représente un volume équivalent à environ 500% de la performance économique – plus important donc que le secteur bancaire. A noter que ce chiffre comprend également les caisses de pension et les assurances.

Mais, toujours d’après la BNS, seule une partie limitée des acteurs suisses de la NBFI pratique des activités proches de celles des banques, comme le leasing ou le courtage de titres. Si elle juge le risque interne modéré, elle rappelle le danger lié à l’interconnexion internationale. A ce sujet, la BNS participe à plusieurs comités internationaux afin d’améliorer la transparence.

Là où la lumière ne porte pas

Les banques de l’ombre possèdent de nombreuses facettes et connaissent une forte croissance. Celle-ci s’explique en partie par le renforcement de la réglementation des banques. Le souci est que les risques se déplacent du secteur bancaire réglementé vers un secteur bancaire parallèle, moins transparent et plus faiblement surveillé.

Comme il est fortement imbriqué dans les banques, les crises risquent de se décupler. C’est pourquoi il existe quelques propositions de réglementation, comme par exemple celle de limiter l’endettement maximal des prestataires financiers non bancaires ou celle d’obliger les fonds à détenir des réserves minimales de liquidités.

Les superviseurs travaillent aussi à l’amélioration des bases de données afin d’identifier à temps les accumulations de risques de pertes. Ces efforts visent à éviter la répétition d’un scénario bien connu depuis 2008: voir se déplacer les menaces financières là où la lumière de la régulation ne porte pas.

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