La roche bouge très vite au-dessus de Blatten
0:13
Ce timelapse le montre:La roche bouge très vite au-dessus de Blatten

Avalanches, crues, laves torrentielles
A Blatten, la montagne a pris le dessus sur 18 millions d'investissements

Le village de Blatten (VS) lutte contre les aléas de la nature. Les 18 millions de francs investis par le passé dans des ouvrages de protection n'ont pu empêcher les éboulements actuels. Désormais, la commune mise sur la gestion de crise... et sur le pragmatisme.
Publié: 21.05.2025 à 06:15 heures
|
Dernière mise à jour: 21.05.2025 à 08:33 heures
1/6
Grâce aux ouvrages de protection, le village s'en est tiré à bon compte lors des inondations dévastatrices de l'automne 2011.
Photo: Keystone
RMS_Portrait_AUTOR_814.JPG
Martin Meul

«Dehors, tout le monde dehors!» Lundi 19 mai au matin, peu avant 10 heures, les habitants de Blatten (VS) ont été priés de quitter leur maison de toute urgence. En cause: des millions de mètres cubes de roches, qui se sont mis en mouvement sur le flanc du Petit Nesthorn, le sommet surplombant le petit village du Lötschentahl. Depuis, le sommet s'est partiellement effondré, épargnant toutefois le village.

Mardi soir, la menace d'un ensevelissement restait toutefois d'actualité. Lors d’une conférence de presse organisée plus tôt dans l’après-midi, Alban Brigger, ingénieur au service cantonal des dangers naturels, s'est montré réaliste: «C’est évident, le mouvement est tel que de nouveaux éboulements sont inévitables. La montagne est profondément fissurée.»

Si plus d’un million de mètres cubes de roche se sont déjà détachés, environ trois millions supplémentaires – soit l’équivalent de 150'000 camions – demeurent instables. Impossible pour l'heure de lever l'alerte. L'attente pourrait donc durer longtemps pour les villageois évacués. Ces derniers ont beau être au fait des caprices et des dangers de la montagne, ils ne cachent pas une certaine angoisse.

Charlie Chaplin émerveillé

A Blatten, les habitants cohabitent avec la montagne depuis toujours. La première mention du village dans les archives remonte à 1433. Des découvertes archéologiques, comme une aiguille datant de l’âge du bronze, témoignent toutefois d’une occupation bien plus ancienne.

La première route accessible aux voitures a été construite en 1954. Celle-ci a permis aux habitants du village d'aller plus facilement travailler à l’extérieur. Avant cela, la population vivait principalement de l’agriculture de montagne.

La beauté du paysage sauvage entourant le village a toujours fasciné. Charlie Chaplin lui-même a séjourné à plusieurs reprises dans la région, notamment sur la Fafleralp, un peu plus haut dans la vallée. Le cinéaste mondialement célèbre appréciait profondément les lieux, allant jusqu’à déclarer: «Il n’y a rien de plus beau que ça.»

Avalanches et coulées de boue

Aussi majestueuses soient-elles, les montagnes qui entourent Blatten représentent une menace constante pour le village. La topographie escarpée et la proximité des glaciers rendent la région particulièrement vulnérable aux avalanches, aux coulées de boue, et bien sûr aux chutes de pierres.

Les lits torrentiels du versant ombragé sont particulièrement exposés. La chute de masses de glace issues des glaciers voisins rendent le danger encore plus grand. Pour faire face à ces risques, Blatten a mis en place un important dispositif de protection comprenant paravalanches, filets de protection contre les chutes de pierres, digues et bassins de rétention.

Les mesures misent en place à Helli, l'un des secteurs du village, constituent l'exemple le plus emblématique: la-bàs, un bassin et une digue de dérivation ont été construits afin de pouvoir canaliser les coulées de boue vers la Lonza, la rivière alpine du Löstchentahl. En 1999, à la suite d'un hiver particulièrement marqué en avalanches, l’installation a été renforcée de manière significative.

En tout, environ 18 millions de francs ont été investis en trois décennies pour protéger le village. Avec succès, se disait-on, Blatten ayant jusqu’ici échappé aux pires catastrophes. Lors des crues dévastatrices de l’automne 2011, le village s’en était d’ailleurs relativement bien tiré.

Les limites du possible

Mais les habitants de Blatten le savant mieux que quiconque: les humains ne maîtrisent pas tout. La montagne ne se laisse jamais totalement dompter. Les mesures de protection finissent toujours par atteindre leurs limites, tant sur le plan technique que financier.

En règle générale, les ouvrages sont conçus pour résister à des événements dits centennaux. Face à des menaces plus rares, qui ne surviennent qu’une fois tous les 500 ou 1000 ans, le coût et les efforts nécessaires deviennent difficilement justifiables. Pas seulement à Blatten, mais dans l’ensemble des régions alpines. Parfois, la montagne est tout simplement plus forte.

Pas de risque zéro

Le dérèglement climatique vient encore compliquer la donne. Le dégel du permafrost fragilise les versants, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient. Ce qui était autrefois exceptionnel pourrait devenir plus fréquent. Blatten mise donc sur des solutions réalistes et une gestion de crise efficace. Quand on ignore quelle quantité de roche le versant menace de projeter dans la vallée, il faut simplement s'en aller.

La commune a appris à vivre avec cette menace permanente et à se protéger au mieux. Mais le risque zéro n’existe pas. Mardi soir encore, le constat restait inchangé: «Le danger n’est pas écarté pour Blatten», a rappelé le président de la commune, Matthias Bellwald, devant la presse. La situation est restée tendue dans la nuit de mardi à mercredi. De nouveaux petits éboulements ont eu lieu, a indiqué un porte-parole de l'état-major régional de conduite du Lötschental. L'amas d'éboulis sur le glacier du Birch a grossi.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la