«Je l'avoue, je me suis fait avoir»
Escroquée à trois reprises, une femme d'affaires est mise sous tutelle

Des escrocs ont soutiré des dizaines de milliers de francs à Erica Mayer. Cette retraitée, autrefois femme d'affaires, est désormais assistée d'une curatrice et a perdu toute joie de vivre.
Publié: 16.07.2025 à 15:15 heures
|
Dernière mise à jour: 16.07.2025 à 17:49 heures
Partager
Écouter
«J'ai dû hypothéquer ma maison pour rester solvable», explique Erica Mayer, victime d'une escroquerie (image prétexte).
Photo: Shutterstock
katharina_siegrist.jpg
Katharina Siegrist
Beobachter

Erica Mayer est assise sur sa chaise de bureau. Légèrement penchée en avant, concentrée. De la main droite, elle serre la souris d’ordinateur, guidant le curseur à travers tout l’écran. Elle ouvre un document, en ferme un autre. Clic, clic. Son regard reste fixé sur l’écran. Même lorsqu’elle parle. Sa voix est généralement ferme et forte, comme si elle devait convaincre quelqu’un. Ce n’est que parfois que sa voix se brise. Toujours quand il s’agit du fait que personne ne la croit.

Cette femme, qui approche les 90 ans et dont le vrai nom est différent, est mal à l’aise avec son histoire. Elle raconte qu’elle était une célibataire bien rémunérée, une femme d’affaires. Jeune, elle obtient son diplôme de commerce et fait un stage à l’époque au Crédit Suisse. Elle gagnait alors 400 francs par mois. Un bon salaire. Elle a le sens des finances et des chiffres. Le directeur de Crédit Suisse le remarque. Il prend la jeune femme sous son aile et lui décroche par la suite un ou deux postes intéressants.

«Je l'avoue, je me suis fait avoir»

Aujourd'hui, elle est encore d’avis qu’il vaut mieux investir son argent plutôt que de le laisser dormir sur un compte d’épargne. «Mais oui, je l’admets, je suis tombée dans une escroquerie», dit-elle. La mésaventure d'Erica Mayer commence en 2019, lorsqu'elle verse environ 10'000 francs dans un fonds d'investissement douteux. À cette époque, elle a des problèmes de santé, un cancer. Lorsqu'elle est de retour chez elle après une opération et quatre semaines de convalescence, elle réalise qu'elle est tombée dans un piège tendu par des escrocs.

Plus personne n'est joignable. Tout l’argent a disparu. Elle porte alors plainte. «J’ai pu encaisser la perte grâce à des actions bien rentables. J’étais simplement soulagée que l’opération ait réussi et que j’aie retrouvé la santé.»

Puis, quatre ans plus tard, Europol la contacte. On lui annonce qu’on a retrouvé l’argent perdu. Mais pour pouvoir le lui restituer, il faudrait d’abord vérifier ses comptes. Erica Mayer communique alors ses coordonnées bancaires – et ne parvient toujours pas à comprendre, avec le recul, comment elle a pu être aussi imprudente.

Et les escrocs, qui se sont fait passer pour Europol, transfèrent une somme à six chiffres. La retraitée porte plainte une deuxième fois. Elle apprend qu’elle n’est pas la seule victime. Mais rien ne se passe. Les escrocs sont quelque part à l’étranger. «J’ai alors dû hypothéquer ma maison, jusqu’alors entièrement payée, pour rester solvable.

Un article du «Beobachter»

Cet article est tiré du «Beobachter». Le magazine rapporte sans œillères et vous aide à économiser du temps, de l'argent et des nerfs.

Cet article est tiré du «Beobachter». Le magazine rapporte sans œillères et vous aide à économiser du temps, de l'argent et des nerfs.

Les escrocs frappent à nouveau

À l’automne 2024, une nouvelle arnaque survient. Un certain David Rumsey – prétendument employé de l’autorité de surveillance financière chypriote – prend contact avec elle. Elle se montre méfiante. Car l’histoire qu’il lui raconte, elle l’a déjà entendue: David Rumsey aurait retrouvé l’argent dérobé. Mais pour pouvoir le transférer, il faudrait d’abord s’acquitter de frais de transaction, d’impôts. Erica Mayer se renseigne auprès de l’autorité – ou du moins auprès de ce qu’elle pense être l’autorité de surveillance des marchés financiers de Chypre.

La réponse ne se fait pas attendre: «Ask your police to contact us so that we can provide more information» (qu'elle contacte la police pour obtenir plus d'informations). En octobre 2024, elle se rend pour la troisième fois au poste de police. Elle demande à l'agent de prendre contact avec l'autorité de surveillance financière chypriote. Mais le policier ne le fait pas. C'est à ce moment-là que débute son calvaire. 

La police observe des «signes de vulnérabilité»

En effet, après qu’Erica Mayer a quitté le poste la police a transmis un signalement de danger à l’Office de protection de l’enfant et de l’adulte compétent (APEA). Compte tenu des pertes financières importantes subies depuis 2019, des signes de vulnérabilité ont été constatés. C’est ainsi que le service juridique de la police cantonale justifie plus tard cette démarche. Chaque fois que c’est le cas, la police doit intervenir. C’est ce que prévoit la loi.

Le rapport de la police a des conséquences. Le 10 décembre 2024, l'APEA décide que tous les comptes bancaires d’Erica Mayer doivent être immédiatement bloqués. La senior n’a pas été informée au préalable. Un mois plus tard, l'APEA ordonne une tutelle dite «de collaboration». Cela signifie qu'elle ne peut désormais plus transférer ou retirer de l’argent de ses comptes qu’en présence d’une tutrice.

Des photos défraîchies sont accrochées aux murs du bureau d'Erica Mayer. Un couple sur le bastingage d'un bateau, souriant. Les cheveux ébouriffés, les yeux un peu plissés à cause du soleil. Derrière, des pointes d'icebergs. L'Antarctique. A côté, une autre photo: de l'herbe qui ondule jusqu'à l'horizon. La Mongolie.

Ercia Mayer a parcouru le monde. Elle a passé un certain temps à Londres en tant que fille au pair et a appris l'anglais. Elle a également passé plusieurs mois aux Etats-Unis. De retour en Suisse, elle a travaillé pour des entreprises de renom. «Lorsque j'avais trop de succès, on me mettait souvent un homme devant les yeux», raconte-t-elle. Il restait alors le poste de secrétaire de ce dernier.

Elle se sent surveillée par l'APEA

Elle est une femme indépendante - et l'est restée même lorsqu'elle a rencontré son mari, aujourd'hui décédé, à l'âge de 50 ans. L'indépendance, c'est important pour elle. Aujourd'hui encore.

Elle se sent surveillée par l'APEA, dépendante de sa curatrice. Tout cela lui pèse. «J'en suis parfois arrivée à un point où je ne voulais plus continuer», raconte-t-elle d'une voix étouffée. Elle a du mal à trouver le sommeil. Et quand elle le trouve, elle se réveille en sursaut au milieu de la nuit, baignée de sueur. Elle prend des somnifères qui ne servent bientôt plus à rien. Elle prend un avocat pour se défendre contre les mesures de l'APEA.

«Cela me met mal à l'aise»

«J’ai l’impression que l'APEA s’est dit: bon, cette femme va bientôt avoir 90 ans. Ça suffit maintenant!» Erica Mayer reporte son regard sur l’écran. L’ordinateur est neuf. Avec son téléphone, elle scanne un code QR affiché à l’écran. Elle accède ainsi à la banque en ligne. Un soupir s’échappe d’elle. Plusieurs ordres de paiement sont toujours en attente, la tutrice ne les a pas encore autorisés. Pourtant, le jardinier devrait être payé. Et le dentiste aussi.

Elle change de compte en ligne, fait défiler l’écran de haut en bas. Non, ici non plus, rien. «Devoir de l’argent à quelqu’un qui a travaillé pour moi — ça me met vraiment mal à l’aise.» Elle a même reçu des relances. Un paiement pour un abonnement à un magazine est bloqué depuis un moment déjà. «Que veut-on encore me prendre ? Ces mesures sont inhumaines.»

Erica Mayer est maintenant affaissée sur elle-même. Elle se tourne sur sa chaise de bureau et regarde une étagère remplie de classeurs colorés, dont les dos portent les inscriptions «UBS», «Banque cantonale», «Raiffeisen» ou «Migros-Bank». Depuis l’intervention de l'APEA, tout est devenu chaotique. La Banque cantonale a même rompu toutes ses relations commerciales avec elle. «J’ai peur de perdre le contrôle de mes finances.»

Un jugement en sa faveur

Quelques semaines plus tard, elle envoie au Beobachter un jugement. Le conseil de district a partiellement levé sa tutelle. La retraitée peut de nouveau gérer librement ses comptes. Seulement, pour tout ce qui concerne la maison, l'APEA doit toujours donner son accord. Par exemple, si elle veut contracter une nouvelle hypothèque.

La plaignante a désormais reconnu qu’elle avait été victime d’une escroquerie sur Internet, indique le motif du jugement. Il est également évident qu’elle souffre beaucoup de l’atteinte à son autonomie et qu’elle a même déclaré avoir perdu la joie de vivre. C’est pourquoi la tutelle n'est pas adaptée.

Erica Mayer est soulagée. Mais elle qualifie aussi ce jugement de victoire à la Pyrrhus. Car elle doit assumer seule ses frais d’avocat. Elle n’a pas encore renoncé à l’espoir de récupérer un jour l’argent perdu. On la contacte encore de temps en temps, quelqu’un qui lui promet de retrouver cet argent. «Je sais maintenant que je ne dois plus rien payer», dit-elle. «Mais je sais aussi que, pour cette raison, je n’appellerai plus jamais la police.»

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la