Selon le chef de l'armée suisse
«La population ne devait pas croire que l'armée est capable de se défendre, alors qu'elle ne l'est pas»

Thomas Süssli alerte sur les lacunes de l'armée suisse, quatre ans après l'attaque russe en Ukraine. Il souligne que seulement un tiers des soldats est pleinement équipé pour faire face à une urgence.
Le chef de l'armée suisse Thomas Suessli va quitter ses fonctions à la fin de l'année. (Archives)
Photo: CHRISTIAN BEUTLER
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ATS Agence télégraphique suisse

Le monde politique suisse n'a toujours pas pris la mesure du danger quatre ans après l'attaque russe en Ukraine, estime le chef de l'armée suisse Thomas Süssli. «Je n'ai pas l'impression qu'un électrochoc s'est produit depuis lors dans le pays», lâche-t-il.

Dans une démocratie, c'est la politique qui détermine les moyens, explique le commandant de corps dans un entretien diffusé samedi par la «Neue Zürcher Zeitung». Cette situation, il dit l'accepter. Mais comme responsable de la troupe, il trouve difficile d'accepter le fait qu'en cas d'urgence, seul un tiers des soldats serait entièrement équipé.

«Je me souviens encore très bien du 24 février 2022, lorsque la Russie a attaqué l'Ukraine. Pour moi, c'était clair: il fallait faire preuve d'une honnêteté totale. La population et les politiciens ne devaient pas croire que l'armée est capable de se défendre alors qu'elle ne l'est pas», raconte-t-il. Mais pourquoi aucune réaction ne s'est produite depuis lors en Suisse?, s'interroge-t-il.

La neutralité ne protège pas

Le commandant de corps y voit trois raisons: la première est que la dernière guerre sur le sol suisse remonte à près de 180 ans, la guerre civile du Sonderbund de 1847. «Nous n'avons donc [...] pas de mémoire collective des guerres, contrairement à l'Estonie ou à la Pologne par exemple.»

Deuxième raison citée, la guerre en Ukraine semble lointaine pour beaucoup. «En réalité, seuls deux pays nous séparent de l'Ukraine: la Hongrie et l'Autriche», prévient Süssli.

Et troisièmement, ajoute-t-il, il y a l'idée que la neutralité protège automatiquement. «Mais c'est historiquement faux. Il y a plusieurs pays neutres qui n'étaient pas armés et qui ont été entraînés dans une guerre. La neutralité n'a de valeur que si elle peut être défendue par les armes.»

Si la Suisse ne veut investir 1% de son produit intérieur brut qu'à partir de 2032 ou 2035, il faudra attendre 2050 pour que le pays soit prêt à se défendre, met en garde le responsable militaire.

Des achats plus flexibles

Il voit cependant des progrès au sein de l'armée. «Nous avons par exemple mis en place un système d'innovation avec lequel les soldats de milice peuvent apporter leurs idées», explique Thomas Süssli. Ce système «nous permet d'apporter rapidement de nouvelles techniques à la troupe, quelles qu'elles soient».

Il relève également la nouvelle voie mise en place pour l'acquisition rapide de nouvelles armes malgré la lourdeur des processus d'achat d'armement. «Pour les drones, par exemple, nous n'achetons pas un modèle particulier pour faire des stocks», explique-t-il.

«Nous cherchons plutôt des fabricants intéressants sur le plan technologique, avec lesquels nous concluons des contrats cadres. Nous pouvons ainsi faire appel plus tard à la technique la plus récente. Ou bien, nous ne mettons plus au concours un produit clairement défini, mais nous décrivons le problème que nous voulons voir résolu. C'est alors que joue la concurrence des idées».

Guerre numérique

Le chef de l'armée suisse remarque un déplacement croissant de la guerre dans le cyberespace. Le service de renseignement suisse affirme par exemple «que plus de 80 ressortissants russes liés aux services secrets russes vivent ici», en Suisse, ajoute-t-il.

Face aux nouvelles menaces, «la Suisse ne peut pas se défendre toute seule», avertit le militaire. «C'est pourquoi nous devons pouvoir coopérer avec d'autres armées et être interopérables, c'est-à-dire fonctionner ensemble. Pour cela, il faut des années de préparation, ce qui a déjà commencé».

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