Antonio Hodgers parle cash
«Les Genevois veulent le beurre et l’argent du beurre»

Pourquoi Genève est-elle si chaotique? Est-elle vraiment verte? Qu'a accompli le Antonio Hodgers? Blick a reçu le conseiller d'Etat genevois pour une discussion à bâtons rompus.

15h pile. Il était à l’heure au rendez-vous avec Blick. Le conseiller d’Etat genevois en charge du département du territoire genevois Antonio Hodgers a fait un saut dans nos bureaux afin de se prêter au jeu de notre format vidéo «Haters». L’air décontracté, cravate de couleur bordeaux, costume gris bien taillé, il s’apprêtait à se rendre à LA soirée people de l’année à Berne, un dîner de gala en faveur de «Genève Ville de Goût» au très feutré Bellevue Palace, à l’occasion du lancement de la semaine du Goût. Tout le gratin politique national s’y était donné rendez-vous le 15 septembre.

Installé en studio, il se fait attendre quelques secondes, il est en ligne avec le premier Vert genevois qui a siégé à la Chambre haute, le Genevois Robert Cramer. Les deux figures de l’écologie cherchaient un train aux alentours de 16h30 avec une volonté non négociable: celle de se rejoindre sur une ligne en partance de Lausanne pour Berne afin de commencer l’apéro avant l’heure… Interview.

Est-ce que Genève est verte?
Verte et bleue! 70% du territoire cantonal est dédié à la nature et l’agriculture, en plus du lac et des cours d’eau.

Vu de l’extérieur, on a surtout l’impression que Genève, ce sont des voitures, des transports publics, des vélos et des piétons qui se font la guerre, non?
C’est clair que Genève est une ville active, attractive et frénétique et que cela provoque parfois des tensions entre usagers, comme pour la mobilité. Mais n’est-ce pas la preuve que Genève est vivante? Ceci dit, je suis d’accord qu’il faut faire des choix.

On y vient: à force de vouloir faire plaisir à tout le monde, plus personne n’a de plaisir. C’est Genève, ça?
Vous avez raison: avec le libre choix du mode de transport, on a voulu faire plaisir à tout le monde et ça ne joue pas. On se marche dessus et tout le monde est mécontent. Il faut donc fixer des priorités: marche et vélo pour les espaces urbains, transports publics sur les axes principaux et voiture pour la périphérie.

Mais alors, ça vient quand, tout ça?
Certains de ces changements sont réalisés, je pense notamment au CEVA et sa voie verte qui relie les Eaux-Vives à Annemasse. D’autres sont en cours, avec la réalisation de nouvelles pistes cyclables, la part belle aux piétons prévue dans les nouveaux quartiers et la piétonnisation de certaines places publiques. En Suisse, les choses évoluent lentement, mais elles évoluent.

Est-ce qu’on manque de courage politique dans votre canton?
Ça dépend sur quoi. Genève a été progressiste historiquement avec le droit de vote des femmes et des étrangers. Il est le premier canton à avoir instauré le PACS pour les personnes du même sexe. Avec le nouveau plan climat cantonal renforcé, Genève se positionne également parmi les cantons les plus précurseurs en termes de transition écologique. Il y souffle l’esprit de la Genève internationale, fait d’humanisme et de cosmopolitisme. Mais parfois, on ne fait pas de choix et on discute des années autour des projets.

Revenons au problème: comment expliquez-vous qu’on ait un réseau de pistes cyclables aussi peu sécurisé et encourageant à Genève?
C’est vrai, on est assez nuls en matière de réseaux cyclables par rapport aux Suisses alémaniques. Ceci dit, on s’améliore: pendant la crise COVID, on a mis en place des nouveaux tronçons. Mais si on regarde Zurich, Bâle ou Berne, ou encore les villes du Nord, on voit qu’on pourrait faire beaucoup plus. Genève a beaucoup basé sa politique des transports dans les années 50-60-70 sur la voiture, comme la France ou l’Italie. Les Germaniques ont eu l’intelligence de mieux préserver leurs trams et pistes cyclables. Résultat des courses: on doit fortement rattraper la situation.

C’est peu dire… Un de mes collègues zurichois est arrivé en heure de pointe, il a pris le bus à la gare et il n’en revenait pas de rester coincé dans le trafic. Ne pas avoir de site propre pour les transports publics, c’est quand même la honte, non?
La honte absolue. Payer des bus à coups de millions pour qu’ils restent bloqués dans le trafic, il n’y a que chez nous à Genève qu’on trouve ça normal, même si – et il faut le relever – les mentalités sont en train de changer. Pour les Suisses allemands, le transport public est beaucoup plus respecté et valorisé. Ils ont raison!

Mais alors, si on est d’accord sur tout, vous faites quoi, vous, le ministre vert, pour régler tous ces problèmes?
Pas tout le monde est d’accord de diminuer la place de la voiture au profit des vélos et des transports publics. Il y a encore beaucoup de résistance et trouver des compromis prend du temps. Dans les villes suisses alémaniques, même la droite libérale est pro vélo. Ce n’est pas tout à fait le cas à Genève.

Vu de l’extérieur, on a l’impression que Genève est une explosion d’immeubles. On se trompe?
Non, c’est vrai qu’en ce moment, on construit beaucoup. On n’avait pas construit autant depuis cinquante ans, c’est dire… C’est donc normal que ça râle un peu: personne n’aime voir son voisinage changer. Mais c’est nécessaire: Genève accueille 150’000 personnes qui y travaillent sans y habiter. Ça crée un nombre de déplacements pendulaires incroyables, beaucoup de bouchons et de pollution, dont on se plaint aussi. On a aujourd’hui 650’000 passages quotidiens aux frontières cantonales! C’est beaucoup trop. Construire des nouveaux quartiers sur le canton est un moyen d’éviter cet étalement urbain désastreux pour la nature.

Le seul projet qui est censé créer des parcs et de la verdure, le quartier de La Praille- Acacias-Vernets (PAV), est le seul qui ne sort pas de terre. Un peu ironique, non?
Non, ça, ce n’est pas vrai! Les travaux ont commencé du côté des Vernets et d’autres suivront rapidement. En huit ans, il a fallu changer la loi PAV et mettre sur pied une Fondation PAV. Je me suis personnellement beaucoup impliqué dans ce futur centre-ville genevois: il n’y aura pas de place de stationnement en surface, beaucoup d’espaces publics verts. Et on crée même un grand parc comme celui des Bastions ainsi qu’une nouvelle rivière!

Les problèmes que nous venons de mentionner, considérez-vous que ce sont également vos échecs?
Ni échec, ni succès: les temps de l’aménagement du territoire sont longs. Comme ministre du territoire, on inaugure les quartiers lancés par ses prédécesseurs et on lègue à ses successeurs ses propres réalisations. On me jugera réellement dans 20 ou 30 ans. Avant, c’est impossible.

Donc vous n’y êtes pour rien du tout si ça pétouille et que ça vasouille, même pas un tout petit peu?
Genève est victime de son succès: son économie globalisée fonctionne très bien et pour cela attire beaucoup d’employés venus du monde entier. Du coup, il faut construire de nouveaux logements, de nouvelles écoles, de nouveaux trains, etc. Je suis partisan d’un meilleur équilibre entre la promotion économique qui doit s’adoucir et le développement territorial pour calmer le jeu. Mais les Genevoises et Genevois veulent le beurre et l’argent du beurre, comprenez qu’ils veulent le pouvoir d’achat élevé grâce à une économie florissante, mais rester une petite ville tranquille. En réalité, ce n’est pas possible.

Qu’il ait fallu attendre Serge Dal Busco, un PDC, pour commencer un embryon de pistes cyclables, ça vous interpelle?
En réalité, on a amélioré peu à peu le réseau cyclable depuis des années, même si comme on l’a dit, il reste faible. Mais il est vrai que mon collègue Dal Busco a fait un coup de maître en augmentant fortement l’espace dévolu au vélo. Le PDC genevois a une vraie fibre écologique et j’en suis très content. L’écologie ne doit pas être le monopole des Verts!

Les mauvaises langues doutent de votre côté vert. Comment les rassurez-vous?
On ne rassure pas les mauvaises langues, car elles sont mauvaises, justement. Pour les autres, je leur démontre que construire à Genève, c’est faire du bien au climat et à la nature, même si c’est contre-intuitif. Il faut prendre un peu de hauteur. On doit en effet parfois abattre quelques arbres pour les nouveaux quartiers, mais en réalité on en sauve 10 fois plus en évitant d’augmenter encore le nombre de pendulaires avec toutes les autoroutes, surfaces commerciales de banlieues, que cela implique. Pour le dire autrement, s’opposer à un nouveau quartier sur Genève au nom de l’écologie, c’est comme s’opposer à une nouvelle ligne de tram sous prétexte que la pose des rails implique quelques abattages, et qu’il vaudrait donc mieux garder les voitures. C’est absurde. Aucun vrai amoureux de la nature ne pourrait suivre ce raisonnement.

Qu’avez-vous concrètement accompli?
Que les ménages genevois bénéficient d’une électricité 100% renouvelable, la création de la maison de l’alimentation (MA-Terre) pour rapprocher les consommateurs des agriculteurs, l’insertion de nombreux parcs et espaces publics dans les futurs nouveaux quartiers, par exemple. Aussi, même si on n’en parle jamais, des milliers de gens ont pu bénéficier d’un nouveau logement au loyer abordable, confortable et de qualité grâce à notre action.

Est-ce qu’on peut encore être vert quand on est membre d’un collège?
Bien sûr. Je crois à une écologie de l’action qui ne se résume pas à s’inquiéter sur le sort de la planète tout en restant inactif. Et je crois aussi que l’on a rarement raison tout seul. Du coup, travailler en collège c’est parfois faire des compromis, mais c’est surtout faire avancer les dossiers. Genève sera plus verte demain qu’aujourd’hui.

Vous ne rêvez pas d’être à Singapour où l’on construit des quartiers en une nuit?
Non. Construire est un acte qui laisse des traces sur des décennies, voire des siècles. Il est normal de prendre du temps, de bien réfléchir, de consulter et de soigner la construction. La démocratie est toujours plus lente que les régimes plus autoritaires, mais elle est aussi plus solide et légitime.

Admettons que vous êtes un magicien. Faites-nous rêver, racontez-nous en quelques mots à quoi ressemblerait votre Genève idéale.
Moins de voitures, plus de nature. Moins de râleurs, plus de rêveurs.

Combien de temps allez-vous rester au Conseil d’Etat et que comptez-vous accomplir concrètement pour que Genève devienne plus verte?
Mon mandat finit en mai 2023. Actuellement, nous mettons le paquet sur la géothermie et les réseaux de chaleur à distance. Tout cela est dans le sous-sol, donc ça ne se voit pas, mais offre un potentiel de chaleur locale, renouvelable et presque infinie! C’est un énorme potentiel pour réussir notre transition énergétique.

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