«J’ai l’impression d’avoir la grippe. En cent fois pire», s’exclame Natalie Schmid, originaire de Derendingen, dans le canton de Soleure. Depuis des années, la quinquagénaire lutte contre la fibromyalgie, une maladie chronique qui lui donne des élans de douleur et une paralysie temporaire. «Pendant les crises plus violentes, je ne peux même pas lever les bras», confie-t-elle en larmes.
Malgré un diagnostic clair, l’assurance invalidité (AI) de Soleure lui refuse un certificat d’incapacité de travail depuis des années. Même si l’AI reconnaît sa maladie, elle affirme dans un rapport de près de 90 pages datant de 2023 que la «souffrance de l’assurée» n’est «pas assez grave».
Le calvaire de Natalie commence en 2018. Sa vie de famille s’effondre: son mari, Dominik, tombe malade et ne peut plus travailler qu’à temps partiel. Les médecins lui diagnostiquent un burn-out. Pour subvenir aux besoins de sa famille de cinq personnes, Natalie cumule quatre emplois: livreuse de journaux à 3h du matin, employée à la Coop l’après-midi et femme de ménage pour deux employeurs différents le soir. «Je me levais à 3h du matin et me couchais à minuit – pendant près d’un an», raconte-t-elle.
Des journées de 20 heures
Bientôt, son corps capitule: après une hernie discale, une douleur diffuse commence à se propager dans tout son corps. Elle n’arrive même plus à dormir ni à manger. Finalement, sa santé mentale se détériore aussi. Pour la première fois en 24 ans, Natalie se met en arrêt maladie.
Comme pour son mari, le médecin lui diagnostique aussi un épuisement professionnel, mais n’arrive pas à expliquer ses douleurs insoutenables. Des spécialistes découvrent alors qu’elle souffre de fibromyalgie, une hypersensibilité à la douleur et aux stimuli, littéralement traduite par «douleur des fibres musculaires». C’est une maladie chronique et incurable qui touche 1 à 5% de la population, principalement des femmes. «Il faut apprendre à vivre avec cette maladie. Il n’y a pas de remède», se désole Natalie.
Perte de poids drastique
Les effets de sa maladie sont indéniables. Cette femme énergique, pleine de vie et un peu rondelette s’est métamorphosée entre 2021 et 2023, devenant l’ombre d’elle-même. En deux ans, elle a perdu près de la moitié de son poids. Aujourd’hui, elle pèse moins de 60 kilos au lieu de 110.
Plusieurs spécialistes ont confirmé le diagnostic. Les problèmes financiers de Natalie s’aggravent et elle décide de s’inscrire à l’AI. Mais l’assurance l’envoie faire une «évaluation globale interdisciplinaire». Autrement dit, les diagnostics ont été revus par des examinateurs de l’assurance invalidité. Résultat: elle n’a droit ni à une pension ni à aucune autre prestation.
Le raisonnement de l’assurance semble presque cynique. D’après les examinateurs, Natalie semblait «trop soignée», «affable» et soucieuse de projeter une image «positive». Les évaluateurs en ont conclu que sa «souffrance était insuffisante». «Je n’ai aucune envie de mentir ou de me présenter sous un faux jour, s’exclame-t-elle. Je suis trop malade pour travailler, mais trop en forme pour toucher l’AI!» Natalie décide de refuser un traitement psychiatrique en milieu hospitalier, non par défi, mais parce que trois enfants l’attendent à la maison.
Une maladie difficile à détecter
La fibromyalgie est une maladie bien connue, mais elle n’est ni mesurable ni visible. Le diagnostic est posé «cliniquement», c’est-à-dire à partir d’une observation et d’un entretien. Cette maladie si difficile à détecter complique terriblement la vie des patients, laissant une grande marge de manœuvre à l’AI.
Jeannette Rechsteiner, membre du conseil d’administration de l’Association suisse de la fibromyalgie et coach certifiée en fibromyalgie, connait très bien ce problème. «La plupart du temps, le rhumatologue n’est responsable que du diagnostic. Souvent, les patients sont ensuite livrés à eux-mêmes», explique-t-elle. Jeannette Rechsteiner est elle-même atteinte de fibromyalgie depuis des années. Elle connaît très bien le manque de reconnaissance de la maladie de la part de l’AI: «Il y a un manque de connaissances.»
Seulement des questionnaires
«J’ai à peine été examinée. La plupart de mes tests n’étaient que des questionnaires. Comment ces médecins sont-ils censés m’évaluer?» Sollicité par Blick, l’AI de Soleure nous renvoie à l’expertise de près de 90 pages de 2023 et n’y voit aucune irrégularité: «L’Office d’assurance invalidité ne s’écarte d’un tel rapport que s’il existe des preuves concrètes remettant en cause sa fiabilité.»
Même pour la deuxième inscription de Natalie à l’été 2025, l’AI n’a pas vu de raison de revenir sur la décision. Malgré sa perte de poids de près de 50 kilos, l’AI ne voit pas d’aggravation de son état de santé qui permettrait une réévaluation: «Les assurés ont le droit de faire appel d’une décision de refus de prise en charge devant les tribunaux.»
Mais c’est justement le problème: «Nous n’avons pas les moyens de nous payer un avocat, dit Natalie, désespérée. Lors de ma deuxième demande, on n’a même pas consulté un médecin. C’est une assistante sociale qui a décidé de mon sort, tout simplement. Sans connaître mon histoire, sans aucune connaissance médicale!» Natalie dit ne rien espérer, seulement que «mon histoire donne du courage à d’autres et montre combien d’entre nous passent entre les mailles du filet».