«Je suis tombée dans la spirale de la dépendance»
Addict aux jeux d'argent en ligne, cette Suissesse perd plus de 80'000 francs

La dépendance aux jeux d'argent en ligne progresse en Suisse, avec des conséquences dévastatrices. Le cas de Lena M., qui a perdu 80'000 francs, illustre l'urgence de renforcer la prévention et le contrôle des casinos en ligne.
Publié: 06:06 heures
Partager
Écouter
1/6
Lena M. a perdu 80'000 francs dans des casinos en ligne.
Photo: RMS Visuals: Priska Wallimann / Midjourney
jeremy-goy-ringier.jpg
Jeremy Goy

Lena M.* a développé une addiction: celle des jeux de hasard en ligne. Certaines soirées, il lui arrivait de mettre tout son salaire dans les casinos en ligne. Le lendemain matin, elle ne savait même plus si elle avait gagné ou perdu.

Domenic Schnoz, directeur du Centre pour la dépendance au jeu et autres addictions comportementales de la Fondation suisse pour la santé Radix, constate que le nombre de personnes dépendantes aux jeux de hasard augmente. Selon lui, cette addiction est une maladie grave, lourde de conséquences.

«Souvent, les personnes concernées ne peuvent pas s'arrêter, souffrent de problèmes de sommeil, de stress chronique, de dépression et de baisse de performances», prévient-il. Beaucoup tomberaient dans ce que l'on appelle le chasing (la chasse, la poursuite en français). Cela signifie qu'elles voudraient rapidement récupérer l'argent perdu. Un mécanisme qui renforce la spirale descendante.

Elle a perdu 80'000 francs

C'est ce qui est arrivé à Lena M.: «Au cours des six premiers mois, je misais en moyenne 100 francs. Mais j'ai perdu beaucoup de temps en revanche.» Le jeu devient peu à peu une habitude, surtout dans une phase où sa santé n'est pas au top. «J'ai été malade à la maison pendant une longue période. Je m'ennuyais, et les matches m'offraient une distraction. Sauf qu'à un moment donné, je ne pouvais plus m'arrêter.»

C'est ce mélange de curiosité, d'espoir et de sensations fortes qui faisaient vibrer Lena M. «Avec le temps, j'ai plongé de plus en plus profondément dans la dépendance.» Elle a tenté de récupérer ses pertes, en vain. A ce jour, elle a perdu plus de 80'000 francs en s'adonnant aux jeux de hasard en ligne... 

Les chiffres de «Panorama suisse des addictions 2025» sont parlants: ils montrent que 45% de la population suisse âgée de 15 ans et plus a participé à un jeu de hasard et d'argent au cours des douze derniers mois. «Tant qu'aucune mesure n'est prise, le problème va s'aggraver», estime Markus Meury, porte-parole d'Addiction Suisse. C'est essentiellement depuis la pandémie du Covid-19 que le nombre de personnes accros a augmenté.

Une dépendance progressive

Bien qu'elle ne souhaite pas divulguer d'informations trop personnelles, Lena M. est actuellement en traitement. Sa thérapeute est d'ailleurs présente lors de notre entretien. La première fois qu'elle a joué en ligne, c'était lorsqu'elle vivait en colocation. L'une de ses colocataires avait gagné 400 francs sous ses yeux. Cela a éveillé sa curiosité, et sa dépendance s'est construite petit à petit. 

Au fil du temps, Lena M. avait perdu toute sa motivation: elle avait arrêté de faire du sport et s'était repliée sur elle-même. Son entourage avait remarqué que quelque chose n'allait pas. «J'étais au bout du rouleau, épuisée de l'intérieur.» Désespérée, elle a cherché de l'aide. Elle a ainsi contacté des thérapeutes, mais ils n'avaient pas de places disponibles. Elle a alors trouvé un soutien temporaire auprès de l'aide aux toxicomanes.

Mais elle a rechuté. Elle a continué à jouer, en misant de plus en plus d'argent. «A un moment donné, je me suis confiée à mon entourage parce que je n'en pouvais plus.» Puis, elle a fini par trouver une thérapeute appropriée.

Les casinos en ligne étrangers: un risque

Depuis le 1er janvier 2019, la loi sur les jeux d'argent est en vigueur en Suisse. Celle-ci donne aux 21 maisons de jeu la possibilité de proposer leurs activités en ligne.

Lena M. insiste sur l'importance de mettre en place des mécanismes de protection dans les casinos en ligne suisses, tels que des alertes en cas de pertes élevées, la possibilité de faire des pauses dans le jeu ou de demander un blocage volontaire. Elle a d’ailleurs tenté de recourir à ces dispositifs, avant de se faire bloquer. Mais le problème, selon elle, c'est qu'il est facile de se rabattre sur des alternatives. Elle a pu facilement se tourner vers des casinos étrangers, où ce type de mesures de protection est quasi inexistant. «Ces failles dans le système sont dangereuses», affirme-t-elle.

Dans notre pays, les casinos en ligne sans concession suisse sont interdits. Selon une étude commandée par la Fédération suisse des casinos, les casinos en ligne étrangers détiennent toutefois une part de marché d'environ 40% en Suisse.

La publicité, les réseaux sociaux et les plateformes en ligne sont aussi une part du problème. Ces dernières années, des streamers connus ont fait la promotion des jeux en ligne; sur Instagram, on trouve des vidéos qui expliquent comment maximiser ses gains. Ces incitations peuvent pousser des individus à jouer, plus particulièrement les jeunes. 

Miser sur la prévention

A la différence des casinos traditionnels, les casinos en ligne présenteraient également certains avantages. «Les casinos en ligne peuvent observer précisément le comportement des joueurs. En collaboration avec des spécialistes, il est ainsi possible de détecter rapidement les signes d'une addiction et d'intervenir de manière ciblée. Dans le cas d'une utilisation contrôlée – comme en Suisse – cela peut être un avantage», explique Domenic Schnoz.

Radix collabore avec le casino en ligne Swiss Casinos. La Fondation le conseille notamment sur les demandes de déblocage et la protection sociale. «La collaboration est sérieuse. Le comportement de jeu problématique est généralement détecté à temps par Swiss Casinos, qui réagit.»

Mycasino est le plus grand casino en ligne de Suisse, avec un produit brut des jeux s'élevant à 98,4 millions de francs en 2024. Selon ses propres indications, ce casino en ligne lucernois utilise un concept social moderne, développé en collaboration avec la Haute école de Lucerne, et qui fait l'objet de contrôles annuels. Cela permet de repérer à temps les comportements de jeu à risque, tout en offrant aux joueurs un accompagnement grâce à des limites de pertes, des recommandations de pause et un accès à des centres de conseil.

De son côté, Lena M. poursuit son combat. Elle parvient peu à peu à sortir de sa dépendance. «Cherchez de l'aide à temps, avant de vous retrouver pris dans un cercle vicieux», conseille-t-elle. Car on perd rapidement ses repères: la notion du temps, le rapport à l'argent. Et les paris ne résolvent rien; ils ne font qu'aggraver les problèmes.

* Nom modifié

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus