Dans le cadre de l'accord avec l'Union européenne (UE), la protection des salaires est l'un des points qui fait débat. L'année dernière, les syndicats ont exigé du Conseil fédéral des mesures concrètes pour que le paquet d'accords ne mette pas les salaires suisses sous pression. Un point non négociable selon eux: ils ont menacé de ne pas apporter leur soutien.
Une menace que le ministre de l'Economie, Guy Parmelin, et son département (DEFR) ont pris au sérieux. Raison pour laquelle ils ont présenté une série de mesures en mars dernier, notamment le maintien du remboursement des frais des frontaliers au niveau suisse. Et cela, malgré une réglementation européenne qui diffère: celle-ci calcule les frais selon le pays d’origine des travailleurs, et non leur lieu de travail.
«Grandes incertitudes»
Sauf que si la Suisse conclut des accords internationaux, le droit international prime sur le droit suisse. Et avec le traité européen, la Suisse serait obligée, en vertu de l'accord sur la libre circulation des personnes, de reprendre la jurisprudence européenne en matière de réglementation des frais.
La Confédération et les syndicats ont fini par se mettre d'accord sur le fait que la réglementation européenne serait reprise dans son intégralité. Elle doit toutefois être complétée par un article supplémentaire qui doit garantir que les frais dépendront des conditions suisses, et non européennes. Une variante qui serait conforme selon la secrétaire d'Etat Helene Budliger Artieda, qui estime que la réglementation européenne offre une «grande marge de manœuvre».
Mais les choses ne sont pas si simples. Il semble que, lors de la décision du Conseil fédéral, même le département de Guy Parmelin doutait que ce plan tienne devant les tribunaux suisses. C’est ce que révèlent des documents obtenus par Blick grâce à la loi sur la transparence. Le DEFR soulignait dans son rapport au Conseil fédéral que la validité de l’adaptation législative était «entachée de grandes incertitudes».
Un accord sur la sellette
Guy Parmelin et son équipe étaient-ils simplement trop confiants? Ou ont-ils sciemment trompé les syndicats? Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) affirme que «l'adaptation de la loi sur les travailleurs détachés proposée par le Conseil fédéral concernant la réglementation des frais a fait l'objet d'une analyse juridique complète». Avant de préciser: «Il s'agit d'une appréciation juridique. Seul un tribunal pourra trancher définitivement sur la question.»
Selon l'équipe de Parmelin, c'est au Parlement de garantir la conformité de l'accord. Dans certains cas, rappelle le rapport du DEFR, le Parlement peut même faire valoir auprès du Tribunal fédéral la primauté du droit national sur les traités internationaux.
L'Union syndicale suisse (USS) est, elle aussi, consciente de ces incertitudes. D'autant plus que même au sein de l'UE, la manière d’interpréter certaines directives reste encore floue. «Nous estimons toutefois que la solution choisie est la plus sûre», déclare la juriste en chef de l'USS Gabriela Medici. Surtout si la solution a été validée à la fois par le Parlement et par le peuple.
Cassis et Rösti font feu contre Parmelin
Tandis que le DEFR et les syndicats se sont mis d'accord, d'autres départements ont exprimé des réserves sérieuses. Lors de la consultation, le Département des affaires étrangères (DFAE) d'Ignazio Cassis a rappelé que le Tribunal fédéral n’a, jusqu’ici, jamais soumis la libre circulation des personnes à l’interprétation souhaitée par le Conseil fédéral – préférant jusqu'à présent faire primer le droit international.
De son côté, le Département de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), sous la houlette d'Albert Rösti, est même allé plus loin. Dans une lettre, il a mis en garde contre le risque qu’un accord soit conclu tout en prévoyant déjà son contournement. Il craint des répercussions durables sur la réputation de la Suisse. Au lieu de renvoyer la balle au Parlement, le DETEC a demandé au département de Parmelin de revoir sa copie – en s'appuyant sur une expertise externe et une analyse de l’Office fédéral de la justice.
Le département de Guy Parmelin n’a pas répondu à ces critiques, et le Conseil fédéral, dans son ensemble, s’en tient pour l’instant à ce compromis fragile.