Le fiasco occidental
Pourquoi Vladimir Poutine peut faire un doigt d'honneur à Donald Trump

Malgré les vociférations de Trump, la paix en Ukraine sera une défaite pour l’Occident. Car la Russie n’est pas seule. Elle est soutenue par des puissances comme la Chine et l'Inde, qui ne sont pas alignées sur les intérêts américains et ne peuvent être contrôlées.
Publié: 17:35 heures
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Dernière mise à jour: il y a 57 minutes
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Vladimir Poutine n'est pas isolé.
Photo: Keystone
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Myret ZakiJournaliste Blick

Le règlement en Ukraine mérite une lecture réaliste de ce qui se joue entre Donald Trump et Vladimir Poutine. L’Amérique est aujourd’hui un challenger déclinant, qui fait non seulement face à la Russie, mais aussi à un groupe de pays qui pèsent toujours plus lourd, surtout lorsqu’ils ignorent les sanctions de Washington et font leur business en toute liberté. 

Voilà pourquoi Poutine peut faire un doigt d'honneur à Trump: 

Parce que le monde devient multipolaire

C’est là le symptôme d’un affaiblissement des Etats-Unis et de leur capacité à mener l’agenda mondial que Trump et ses gesticulations, véritable écran de fumée, ne doivent pas masquer. Car c’est ce déclin qui expliquera l’issue – défavorable pour l’Occident – de la guerre en Ukraine. 

Le postulat du retrait américain en faveur d’un monde multipolaire n’est plus un postulat, mais une réalité. Le test imparable, c’est la guerre en Ukraine, et c’est le résultat des négociations. Le reste n’est que blabla.

Parce que la Russie a pris le dessus au plan militaire

Aujourd’hui, la Russie a clairement pris le dessus dans la guerre en Ukraine. Si nous ne sommes pas prêts pour le mot «défaite», nous sommes en revanche prêts pour le mot «concessions». Certes, on a un Donald Trump vociférant, qui crée beaucoup d’anticipation avant les sommets et donne l’impression d’en dominer le déroulement, après avoir initialement promis une paix obtenue en 24 heures. Et certes, on a une Union européenne (UE) qui s’exprime encore comme si l’Occident tenait le couteau par le manche. 

Mais de l’autre côté, les faits sont têtus: il n’est plus question pour l’Ukraine de récupérer la Crimée, ni de rejoindre l’Otan, et, depuis la rencontre Trump-Poutine en Alaska, il est question de donner le Donbass à Poutine en échange du gel du front dans les régions de Kherson et Zaporijia.

Car on le sait aujourd’hui, la Russie aurait les moyens de poursuivre la guerre. A quelques jours du sommet en Alaska, les Russes signaient leur plus grande avancée en Ukraine depuis plus d’un an. Quant à l’Ukraine, elle n’a pas les moyens de poursuivre les hostilités, faute de soutien américain. Pour l’Ukraine, seule une paix assortie de garanties de sécurité américano-européennes peut se profiler à l’horizon. La Russie, quant à elle, a plus de temps, et plus de cartes en mains.

La situation, dès lors, est qu’on a un pays, l’Ukraine, qui n’a pas réussi à vaincre son agresseur, la Russie, alors qu’il a été soutenu par les 32 pays de l’Otan, qu'il a reçu plus de 300 milliards de dollars d’aide directe, et que son ennemi se voyait infliger plus de 16’500 sanctions occidentales. 

Le monde a vu ceci. Cette réalité va forcément se lire, et s’acter, dans les négociations actuelles. C’est aujourd’hui qu’on peut évaluer le véritable rapport de force qui sous-tend les négociations.

Parce que l'Inde et la Chine achètent le pétrole russe

Il est tentant de croire que, parce que Donald Trump a fait une démonstration de force spectaculaire avec ses droits de douane, l’Amérique est en train de gagner. En réalité, les pays qui comptent, comme l’Inde et la Chine, en plus de la Russie, n’ont absolument pas joué le jeu. Cela aussi, c’est un test négatif, et surtout concret, pour la suprématie américaine.

En effet, la Russie n’est pas seule à défier les Etats-Unis. Si elle tient debout économiquement, c’est en grande partie grâce à l’Inde, mais aussi la Chine et d’autres puissances émergentes comme la Turquie. Ces pays n’ont pas peur des Etats-Unis. Et c’est cela, le grain de sable dans l’engrenage. Ils n’ont pas peur, donc ils achètent le pétrole russe à bon marché, le raffinent et le revendent au reste du monde, y compris à l’Europe, une fois «blanchi».

L’Inde a la haute main dans ses relations avec Trump. New Dehli dégage un excédent commercial de 50 milliards avec les Etats-Unis. Une partie de cet argent du consommateur américain va acheter du pétrole russe au nez et à la barbe de Washington. L’Inde est allée jusqu’à devenir une véritable plaque tournante du pétrole russe dans le monde, pour son profit et celui de Moscou. L’Inde fait cela de façon très opportune, elle poursuit ses intérêts comme un pays souverain qui n’est aligné sur personne. Le pétrole russe est passé de 1% à 30% de ses importations, le surplus se destinant aux marchés extérieurs. Par ailleurs, l’Inde n’hésite pas à acquérir du matériel militaire russe, qui a représenté 36% de ses importations d’armes entre 2020 et 2024. 

Parce que les nouvelles puissances peuvent se passer du marché américain

Ces pays ne peuvent être contraints par Washington, même à son maximum, même avec des menaces de droits de douane prohibitifs. Car ces pays, pour la première fois, peuvent se passer du marché américain. Ce dernier ne représente pas plus de 13% des exportations chinoises, et 18% de celles indiennes.

La Turquie, elle aussi, achète du pétrole russe sans vraiment s’inquiéter des sanctions occidentales. Ses ports servent à repackager ce pétrole pour l’exporter, y compris vers l’UE. Tout comme la Chine, qui n’est pas non plus perturbée par les intérêts américains. Elle a fait de la Russie son premier fournisseur de brut, devant l’Arabie saoudite, et représente près de la moitié des exportations de brut russe. 

Ces pays sont donc des piliers de la puissance russe, sans même que ce soit pour raisons idéologiques. L’alliance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), fonctionne donc bel et bien de facto, même si d’aucuns ont voulu se rassurer en minimisant cette alliance d’intérêts. Mal leur en a pris. Car il a suffi que les BRICS se comportent de manière neutre et extérieure au camp idéologique occidental, pour que cela torpille déjà l’influence américaine et européenne. 

Parce que l'Amérique ne peut ni bluffer, ni contrôler ces puissances

Ainsi, Trump ne peut contrôler ces nouvelles puissances commerciales, énergétiques et militaires. Son problème? Il y a d’autres pays que les Etats-Unis qui poursuivent leurs propres intérêts. 

Alors, il bluffe. Mais le bluff a ses limites. Trump menace la Chine de tarifs de 100%, cela fait les gros titres, mais il ne les met pas en application. Car là aussi, la réalité le rattrape: l’économie américaine est encore extrêmement dépendante de produits manufacturés et composants chinois. 

Cette interdépendance fait que Trump ne peut nuire à la Chine sans nuire à l’Amérique, et déstabiliser les marchés financiers. Et c’est là la limite des Etats-Unis: elle réside dans l'impossibilité d’orienter, ni par le commerce ni par le militaire, la géopolitique des nouveaux poids lourds de ce monde, qui au final peuvent décider d’une victoire ou d’une défaite de la Russie, et sceller le sort de l'Ukraine. A partir de ce constat, la domination américaine se heurte à un mur. Une sorte de «Mur de Planck» de la géopolitique de puissance américaine. En physique, c’est le point où nos théories actuelles cessent de fonctionner. 

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