Vue de loin, l’opération a tout d’une torture médiévale: os sciés, tiges métalliques plantées dans les jambes et mois de convalescence dans la douleur. Pourtant, de plus en plus d’hommes — et quelques femmes — acceptent de passer par là pour grappiller quelques centimètres. Un pari risqué, tant les complications sont nombreuses.
Longtemps réservée aux malades souffrant de malformations ou d’inégalités de longueur entre les jambes, la chirurgie d’allongement osseux est désormais prisée d'une clientèle esthétique. Et la Turquie est devenue l’épicentre de ce tourisme médical depuis 5 ans: conditions assouplies, prix plus attractifs qu’en Europe occidentale et cliniques spécialisées, rapporte «The Guardian» dimanche 17 août.
La tendance a même inspiré le film «The Materialists», sorti en juin, avec en tête d'affiche Dakota Johnson et Pedro Pascal. Certaines cliniques proposent même des opérations inverses, un raccourcissement des jambes, un marché encore marginal, surtout fréquenté par des femmes. En Suisse, la situation est bien différente. Les hôpitaux pratiquent l’allongement osseux, mais uniquement pour des raisons médicales. Les orthopédistes jugent l’usage esthétique disproportionné face aux risques encourus.
«On va te casser les jambes»
C’est pourtant ce qu’a accepté Franck, Britannique de 38 ans de 1m70, qui s’est fait opérer à Istanbul. Dans son lit d’hôpital, il confie au «Guardian» avoir longtemps hésité: «On va quand même te casser les jambes.» En effet, le chirurgien coupe le tibia ou le fémur, ou les deux pour les plus gourmands, lors d'une opération qui dure en moyenne cinq heures. Il insère une tige métallique dans chaque os et le patient tourne chaque jour pendant trois mois une clé fixée sur le dispositif. L’os s’écarte en moyenne d’un millimètre par jour et se reconstruit peu à peu. Le patient devrait ainsi gagner neuf centimètres, voire plus.
Le docteur Yunus Öç, un des chirurgiens les plus réputés dans ce domaine à Istanbul, expliquait à TF1 en mai dernier: «Le maximum que j’ai fait, c’est 18 centimètres, mais je ne le recommande pas.» Au-delà de la douleur, les patients encourent de nombreux risques: caillots sanguins, problèmes articulaires, retard de croissance osseuse, lésions vasculaires, douleurs chroniques, sans oublier le «syndrome de la ballerine» lorsque les tendons d'Achille ne s'étirent pas correctement, empêchant le patient de marcher. Certaines opérations se sont même soldées par des décès.
Une longue épreuve
Et le plus dur commence après l’intervention. Pendant des mois, les patients doivent réapprendre à marcher, étirer leurs muscles et tendons, suivre des séances de kinésithérapie quotidiennes, prendre anticoagulants et analgésiques. Les béquilles, voire le fauteuil roulant, sont indispensables pendant plusieurs mois, et il faut compter un an avant de retrouver une vie normale et reprendre une activité sportive.
Franck a choisi la solution la moins coûteuse: un système externe avec une clé à tourner, plutôt qu’un modèle électronique contrôlé grâce à une télécommande. Montant de la facture: 32'000 dollars (26'000 francs), financés sur les économies que lui et son épouse voulaient consacrer à l’achat d’une maison. En comparaison, au Royaume-Uni, la même chirurgie peut coûter plus de 50'000 livres (54'700 francs).
Le poids du complexe
Mais alors pourquoi s’infliger délibérément de telles souffrances? Pour certains hommes, la réponse est simple: l’humiliation d’être petit. «On m’appelait gnome, demi-portion», témoignait un Britannique sur TF1. Franck aussi raconte avoir souffert de moqueries et d’agressions, qu’il attribue à sa taille. «C'est difficile à expliquer quand on n'est pas soi-même petit, mais dans la société moderne, c'est presque une malédiction.»
Quand on lui parle de quête de virilité, renforcée par l'essor des influenceurs masculinistes, il rejette l’argument: «Il ne s’agit pas d’être plus masculin, mais simplement d’être dans la moyenne.» Pourtant, son parcours a failli tourner au drame. En pleine convalescence, il a été victime d’une embolie pulmonaire. Même hospitalisé et en souffrance extrême, il continuait à tourner sa clé. Ses nerfs et tendons ayant atteint leurs limites, la croissance a dû être stoppée prématurément. Résultat: 7,3 centimètres de gagnés, au lieu des 9 espérés.
Un marché en plein essor
Malgré les risques, le secteur de l’allongement esthétique est en pleine expansion. Un cabinet d’études indien estime qu’il pèsera 8,6 milliards de dollars (7 milliards de francs) d’ici 2030. La quête de quelques centimètres supplémentaires, au prix d’une douleur extrême et d’une convalescence interminable, semble promise à un avenir florissant.