Soudain, tout est allé très vite. Vendredi dernier, le président américain Donald Trump a annoncé un accord avec neuf groupes pharmaceutiques internationaux, qui se sont engagés à réduire le prix de certains médicaments. Novartis et Genentech, filiale de Roche, figurent parmi les signataires.
Seulement deux jours après l’annonce, le directeur général de Roche, Thomas Schinecker s’est exprimé publiquement pour la première fois depuis plusieurs mois afin de mettre la pression sur la classe politique suisse. Dans une interview pour «SonntagsZeitung», il a ainsi appelé à une augmentation des prix des médicaments en Suisse.
Un scénario dont Blick s’était déjà fait l’écho à la fin du mois de septembre dernier se confirme donc: les dirigeants du secteur passent à l’offensive dans l’espoir d’obtenir une hausse substantielle de leurs rentrées d’argent en Suisse et compenser ainsi la baisse des prix promise aux Etats-Unis. Une perspective qui pourrait s’avérer coûteuse pour la population. Voici les réponses aux principales questions que soulève cet accord.
Les prix des médicaments aux Etats-Unis sont les plus élevés au monde. Lorsque les entreprises actives sur sol américain consentent enfin à des baisses, elles cherchent immédiatement à compenser ces pertes ailleurs. Le directeur général de Novartis, Vas Narasimhan, n’a eu de cesse de marteler au cours des derniers mois que les pays riches devaient tous assumer leur part du financement de l’innovation médicale.
En septembre, il déclarait déjà à la «NZZ am Sonntag» que les prix appliqués en Suisse étaient «bien trop bas». Avec ce nouvel accord, Washington et l’industrie pharmaceutique entendent désormais défendre un nouveau modèle tarifaire. Celui-ci prévoit que les prix des traitements innovants soient indexés sur la performance économique et le produit intérieur brut par habitant de chaque pays.
Les prix des médicaments en Suisse sont les plus élevés d’Europe. En 2023, les traitements protégés par brevet coûtaient en 9% de plus qu’en Allemagne, en France ou au Royaume-Uni, selon des chiffres d’Interpharma et Santésuisse basés sur les prix d’usine. «Pour les nouveaux produits, les tarifs ont presque doublé en quelques années», rappelait en octobre Mathis Früh, responsable de la politique de santé chez Helsana. Même les médicaments d’origine dont le brevet a expiré restent nettement plus chers en Suisse, où la hausse des prix est plus rapide qu’ailleurs. Pour les génériques, la population suisse paie même souvent les montants les plus élevés au monde.
C’est l’argument phare invoqué par Interpharma: la Suisse ne consacre que 0,43% de son produit intérieur brut aux médicaments innovants, soit environ la moitié de pays comme la France, l’Italie ou le Japon. Aux Etats-Unis, cette part atteint 1,87%. Ce raisonnement omet toutefois un point central: une fois ajusté au pouvoir d’achat, le revenu disponible des ménages suisses est inférieur à celui des Etats-Unis, mais aussi à ceux de la Norvège ou de l’Autriche, selon les données de l’OCDE et d’Eurostat. La raison tient notamment aux coûts très élevés du logement et des services.
La Suisse a récemment déboursé 3,52 milliards de francs pour les médicaments brevetés facturés via l’assurance de base. Si le pays devait consacrer 1% de son PIB à ces traitements, la prime moyenne d’assurance-maladie grimperait de 11%, passant de 391 à 434 francs par personne en moyenne. Ce scénario semble tout à fait envisageable, du moins à moyen terme, puisque les hausses viseraient d’abord les nouveaux médicaments. Le secteur pharmaceutique rappelle par ailleurs qu’il a été l’un des moteurs de l’économie suisse ces dernières années. Une baisse des marges mettrait, en péril les futurs investissements dans le pays, assurent les principaux responsables de la branche.
Une déclaration du directeur général de Roche, Thomas Schinecker, a particulièrement retenu l’attention: le dirigeant s’est en effet dit certain que Washington ferait des prix des médicaments un point de discussion central dans les négociations en cours avec les autorités suisses. Berne a jusqu’à fin mars pour finaliser l’accord douanier avec les Etats-Unis. D’ici là, des droits de douane de 15% s’appliqueront, contre 39% auparavant. Roche et Novartis avaient promis que l’industrie pharmaceutique ne ferait pas obstacle à cet accord. Reste à savoir s’ils tiendront parole.