Manifestations en Russie
Craignant un coup d'Etat contre Poutine, le Kremlin traque cet ex-oligarque

A Saint-Pétersbourg, des centaines de jeunes ont scandé des chants contre la guerre et Vladimir Poutine. Le Kremlin désigne aussitôt un coupable: Mikhaïl Khodorkovski, ex-magnat du pétrole devenu figure de l’opposition, désormais accusé de coup d'Etat.
Publié: 17.10.2025 à 06:28 heures
|
Dernière mise à jour: 17.10.2025 à 08:59 heures
Partager
Écouter
1/4
Mikhaïl Khodorkovski, ancien homme le plus riche de Russie est accusé de coup d'Etat et de terrorisme.
Photo: Getty Images
SOLENE_FACE (1).png
Solène MonneyJournaliste Blick

Dans un acte de défiance rare, presque impensable dans la Russie d’aujourd’hui, des centaines de jeunes se sont rassemblés le 13 octobre à Saint-Pétersbourg pour défier ouvertement le pouvoir russe. Ensemble, ils ont entonné des chants anti-guerre et anti-Poutine, interdits dans le pays.

Pour les autorités russes, le coupable est tout trouvé: Mikhaïl Khodorkovski perçu comme le cerveau de ce rassemblement. Ancien magnat du pétrole et autrefois homme le plus riche de Russie, il est devenu l’un des plus fervents opposants au régime depuis son exil au Royaume-Uni. Connu pour ses critiques virulentes envers Poutine, il est accusé, aux côtés de 21 autres hommes d’affaires, politiciens et militants exilés, d’avoir «créé une organisation terroriste» et fomenté un coup d’Etat. Une accusation qui s’inscrit dans la stratégie habituelle du pouvoir: transformer les opposants en ennemis de la nation.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Mikhaïl Khodorkovski, qui a passé dix ans dans une prison sibérienne pour des accusations largement considérées comme politiques, a avoué être «surpris» de figurer sur cette liste. L'homme de 62 ans qualifie les allégations du Kremlin de «mensonges» et y voit le signe d’une peur croissante du régime quant au pouvoir de l'opposition à démanteler son régime.

La peur de la relève russe?

Dans cette nouvelle enquête, le service de renseignement intérieur russe accuse Mikhaïl Khodorkovski de travailler au renversement violent du gouvernement en soutenant des unités paramilitaires ukrainiennes et en recrutant des personnes en Russie. «Je n'ai pas d'informations privilégiées particulières, mais [ces accusations suggèrent] qu'ils sont clairement inquiets du transfert de pouvoir qui suivra le départ de Poutine», a déclaré l'ancien magnat au «Times».

Cette offensive judiciaire intervient alors que la question de la relève de Vladimir Poutine commence à poindre. A 73 ans, le chef du Kremlin a admis y penser «toujours», sans pour autant évoquer de successeur. Une confession rare dans un pays où, depuis 80 ans, les dirigeants autoritaires ont quitté la scène entre 70 et 80 ans.

Le Comité antiguerre russe, dont font partie Mikhaïl Khodorkovski et les autres accusés, revendique d’ailleurs clairement son objectif: préparer l’après-Poutine. «Une fenêtre d’opportunité», estime l’ancien oligarque. «Mais si nous manquons cette chance, il y aura une nouvelle phase de consolidation du régime. Un cercle de plus dans la spirale.»

«Des ennemis à l'intérieur»

Pour le Kremlin, cette perspective relève de la trahison. «Il y a des ennemis du pays à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils mènent des activités hostiles, et notre département spécial prend les mesures nécessaires, celles qu'il juge appropriées», a déclaré Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin, justifiant l’ouverture d’une nouvelle enquête.

La répression ne s’arrête pas aux frontières politiques. Diana Loginova, 18 ans, chanteuse du collectif Stoptime et figure du rassemblement de Saint-Pétersbourg, a été condamnée à 13 jours de prison pour «trouble à l’ordre public», rapporte le «Washington Post». Deux de ses camarades ont écopé de peines similaires.

Mais ce n'est sûrement pas la fin des problèmes pour le groupe. D’autres poursuites pourraient suivre pour «discréditation de l’armée», une loi russe utilisée pour museler les voix anti-guerre. Ces accusations pourraient entraîner une peine plus sévère, pouvant aller jusqu'à des années d'emprisonnement.

Une jeunesse muselée

Depuis la fin de l’été, Stoptime organisait chaque jour des concerts de rue où résonnaient les chansons d’artistes russes exilés après l'invasion de l'Ukraine et qualifiés d'«agents étrangers» par le Kremlin. Ces dernières semaines, les vidéos de Diana Loginova sont devenues virales, attirant des centaines de messages de soutien de Russes pacifistes sur sa page Instagram.

Depuis près de quatre ans, la guerre contre l’Ukraine a profondément remodelé le paysage culturel russe. Sous la férule du Kremlin, la création artistique est soumise à un contrôle idéologique strict. Toute voix dissidente est muselée ou poussée à l’exil. Musiciens, acteurs, écrivains: nombreux sont ceux qui ont choisi le silence ou la fuite pour éviter la répression. En parallèle, les œuvres glorifiant l’armée et le patriotisme reçoivent des financements massifs et une large visibilité.

Dans ce contexte verrouillé, les performances de Stoptime résonnent comme un acte de résistance. Elles rappellent qu’au cœur même de la Russie, malgré la peur et la censure, une jeunesse courageuse continue de chanter sa liberté.

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus