Lorsque Donald Trump et Vladimir Poutine se retrouveront vendredi en Alaska, une surprise de taille pourrait se profiler. La composition de la délégation russe laisse en effet penser que le maître du Kremlin souhaite aborder bien autre chose que la guerre en Ukraine.
L’ancien agent du KGB a jusqu’ici réussi à endormir le président américain et à le faire patienter. Les premiers indices le montrent. Une fois encore, Poutine semble avoir tendu un appât à Trump, fait de matières premières, d’argent et d’une affaire d’envergure.
Une première victoire pour Poutine
Le sommet, organisé à la dernière minute, se tiendra vendredi sur la base aérienne d’Elmendorf-Richardson, dans l’Etat américain de l’Alaska. Les attentes sont élevées. Jamais on n’a été aussi proche d’un cessez-le-feu en Ukraine. Mais ce scénario impliquerait pour Kiev de céder des territoires conquis, soit un prix élevé pour l'Ukraine.
La tenue même de cette rencontre constitue déjà une victoire pour Poutine. Le président isolé, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), est invité par l’homme considéré comme le plus puissant du monde. Les dirigeants européens, comme le chancelier allemand, le Premier ministre britannique ou le président français, sont relégués au second plan. Même Volodymyr Zelensky, pourtant directement concerné, n’obtiendrait qu’un rôle secondaire.
La carte de la coopération économique
Pour certains analystes, Poutine cherche avant tout à atteindre d’autres objectifs que la résolution du conflit ukrainien. Matthew Chance, correspondant en chef de CNN pour les affaires mondiales, estime que le président russe veut «réorganiser en profondeur» les relations avec Washington, en mettant l’Ukraine de côté et en misant sur une coopération économique. La présence, au sein de la délégation russe, du ministre des Finances Anton Silouanov et du principal émissaire économique Kirill Dmitriev, va dans ce sens.
Ulrich Schmid, spécialiste de la Russie à l’Université de Saint-Gall, relève l’importance de ce dernier. «Le fait que Dmitriev fasse partie du voyage est un signal fort. Directeur du principal fonds d’investissement russe, il est intéressé par une coopération économique avec les Etats-Unis», explique-t-il. Formé aux Etats-Unis, Kirill Dmitriev est décrit par Ulrich Schmid comme le «visage amical» du régime de Poutine.
Lors d’un entretien en mars entre le présentateur Tucker Carlson et l’envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, le sujet d’une coopération économique russo-américaine avait déjà été évoqué. «Les yeux brillants, Witkoff parlait de la possibilité pour la Russie et les Etats-Unis d’assurer ensemble l’approvisionnement énergétique mondial», raconte Ulrich Schmid.
Poutine souhaiterait aussi développer une collaboration dans les domaines de la technologie, de la conquête spatiale et de l’exploitation de l’Arctique. Cette région regorge de pétrole, de gaz naturel, de minéraux et de terres rares. Une alliance russo-américaine permettrait de réduire l’influence de concurrents comme la Chine. Elle offrirait également des routes maritimes plus courtes grâce à la gestion conjointe de passages stratégiques. Le président russe a même évoqué la perspective d’un accord nucléaire.
L'Ukraine reléguée au second plan?
Cette offensive diplomatique viserait aussi un autre objectif. Selon Philipp Adorf, spécialiste des Etats-Unis à l’Université de Bonn, «Poutine cherche à enfoncer un coin dans l’alliance occidentale. Il veut affaiblir l’OTAN et faire de l’Europe de l’Est une zone d’influence russe. Dans cette stratégie, Trump lui semble un interlocuteur réceptif.»
Pour convaincre Trump, Poutine devra toutefois, d’après Philipp Adorf, franchir plusieurs obstacles. Il lui faudrait prendre ses distances avec la Chine, considérée comme l’ennemi juré de Washington, et proposer des perspectives suffisamment attractives.
Jusqu’ici, le président russe a souvent su flatter Trump et l’amener sur son terrain. L’Alaska pourrait de nouveau offrir ce scénario. L’analyste de CNN Matthew Chance redoute que «si Poutine parvient à imposer son agenda, la question ukrainienne ne devienne qu’un sujet parmi d’autres, et ne soit plus considérée comme prioritaire».