Vladimir Poutine sait parfois surprendre. Alors que la Banque centrale de Russie plaidait encore en 2022 pour interdire l’usage et la création de cryptomonnaies, le président russe affiche désormais une position radicalement différente. En septembre, il était même invité d’honneur à l’inauguration d’un nouveau site d’A7, une entreprise spécialisée… dans les cryptos. Un revirement spectaculaire, souligne «The Telegraph» jeudi 11 décembre.
A7 appartient à l’oligarque moldave sous sanction occidentale Ilan Shor et à la banque publique russe de défense Promsvyazbank (PSB), elle aussi sous sanctions. L’entreprise prospère: elle s’est imposée comme un acteur central d’un secteur en plein essor, facilitant des milliards de dollars d’échanges internationaux. Une aubaine pour une économie russe entravée par des mesures punitives qui compliquent fortement ses opérations financières.
Une solution pratique
Depuis l’invasion de l’Ukraine, de nombreuses banques russes ont été ciblées par les sanctions occidentales. Même si une partie du commerce russe reste légale, les banques étrangères risquent des sanctions sévères si elles effectuent des transactions avec leurs homologues russes.
Dans ce contexte, les cryptomonnaies et leurs plateformes d’échange peu régulées apparaissent comme une alternative séduisante. «Il est important pour nous de ne pas laisser passer cette opportunité», déclarait Poutine en juillet. Rien de surprenant donc à ce que le chef du Kremlin se prenne soudainement de passion pour les monnaies virtuelles
La conversion des roubles en cryptomonnaies permet aux entreprises russes d’évoluer dans un circuit financier parallèle. «C’est devenu indispensable» pour Moscou, analyse Tom Keatinge, directeur du Centre pour la finance et la sécurité au Royal United Services Institute (RUSI).
Des flux colossaux
Selon Ilan Shor, A7 aurait facilité 7500 milliards de roubles (environ 75 milliards de francs) de paiements internationaux en dix mois, dont plus de la moitié vers l’Asie. Ce chiffre suscite des doutes chez les spécialistes, mais tous s’accordent: les cryptos sont devenues un outil clé du commerce russe.
En 2024, Poutine a d’ailleurs légalisé le minage de cryptomonnaies et instauré un cadre pour tester des tokens destinés aux paiements transfrontaliers. Depuis, plusieurs entités publiques ont embrayé: la Banque agricole examine leur usage pour les échanges de céréales, tandis que le conglomérat de défense Rostec prépare un stablecoin adossé au rouble et son propre réseau de paiement. Pour l’expert Zach Tvarozna, le soutien d’institutions financières majeures montre l’appui clair de l’Etat.
Un système bien huilé
Au cœur de cette stratégie figure A7A5, un jeton numérique lancé en janvier et garanti par un rouble conservé dans une banque publique. Son rôle: servir de passerelle. Les roubles sont convertis en A7A5, puis échangés contre des stablecoins indexés sur le dollar, comme le Tether (USDT), utilisés ensuite pour régler des partenaires à l’étranger.
En pratique, seule une petite fraction, environ 3,3 milliards de dollars, a été réellement transformée en USDT, signe que de nombreux acteurs internationaux restent réticents à commercer avec la Russie par ce biais. Le jeton s’échange surtout sur Grinex, une plateforme associée à des réseaux déjà ciblés par les Etats-Unis.
Une part de ces flux servirait notamment à acheter en Chine des pièces électroniques essentielles à l’industrie militaire. A Hong Kong, des bureaux informels permettent ensuite de convertir ces cryptomonnaies en liquidités pour les entreprises chinoises.
Des sanctions encore peu efficaces
Malgré les mesures prises par les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni contre A7, A7A5 ou Grinex, l’impact demeure limité. Les échanges ont légèrement reculé après les sanctions européennes avant de revenir à leur niveau précédent. Selon plusieurs experts, ces flux continueront tant que les mécanismes d’achat russes via les cryptomonnaies ne seront pas davantage ciblés.