Dans sa fuite de la ville soudanaise d'El-Facher, Hassan Osmane dit avoir assisté à des attaques qu'il qualifie de «purement ethniques», les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ciblant selon lui les civils selon leur tribu et leur couleur de peau. Les FSR, en guerre contre l'armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.
Depuis, des survivants décrivent massacres, violences à caractère ethnique, enlèvements et agressions sexuelles. L'ONU, comme des organisations humanitaires, ont relayé ces accusations qui ont été rejetées comme des «calomnies» par un responsable des FSR sollicité par l'AFP.
Rues jonchées de corps
L'AFP a recueilli le témoignage de trois personnes ayant fui El-Facher et trouvé refuge dans la ville de Tawila, à 70 km de là. «Ils te jugent selon ta tribu, la couleur de ta peau et les origines de ta famille», explique à l'AFP Hassan Osmane, étudiant originaire d'El-Facher, décrivant des rues «jonchées de corps». «Si tu es issu de certaines tribus, ils ne posent même pas de questions: ils te tuent sur-le-champ», raconte-t-il, se souvenant avoir vu des «corps mutilés et d'autres dévorés par les chiens».
Amna Haroun, une femme de la tribu Zaghawa, a raconté que des paramilitaires avaient tué son mari et son fils aîné qui tentaient de fuir. «Ils les ont tués sous mes yeux, en disant: "on ne veut pas de vous ici"», a-t-elle confié à l'AFP.
«C'est purement ethnique»
Le Darfour abrite plusieurs tribus non arabes – Fours, Massalit, Bartis, Zaghawa – longtemps persécutées par les milices Janjawid, dont sont issues les FSR. En 2003, ces milices, accusées de génocide, avaient été lancées à l'assaut, par le pouvoir d'Omar el-Bechir, contre ces tribus, faisant 300'000 morts et 2,7 millions de déplacés.
Majoritaires à El-Facher, les Zaghawa se sont ralliés à l'armée fin 2023 après les massacres commis par les FSR contre les Massalit à El-Geneina, au Darfour-Ouest. Selon Hassan Osmane, les civils à la peau plus foncée, en particulier les Zaghawa, ont été victimes «d'insultes racistes, d'humiliations ainsi que de violences physiques et psychologiques» alors qu'ils fuyaient El-Facher. «Si ta peau est claire, ils peuvent te laisser partir», dit-il. «C'est purement ethnique». Lui-même issu de la tribu Barti, il précise ne pas avoir subi de violences.
Mais Hussein, de la tribu Four, raconte avoir été détenu plusieurs jours avec environ 200 hommes dans la localité de Garni, à 25 km au nord-ouest d'El-Facher. «Ils nous frappaient avec des bâtons et nous traitaient d'esclaves», a confié Hussein, préférant taire son nom de famille.
Accusations de crimes de guerre
Depuis la chute d'El-Facher, l'ONU et plusieurs organisations humanitaires ont fait état d'atrocités à grande échelle, incluant meurtres et enlèvements motivés par des considérations ethniques. Le responsable des FSR interrogé par l'AFP a rejeté ces allégations. «Nous n'avons tué aucun civil, ni personne en raison de son appartenance à une tribu», a-t-il déclaré sous couvert d'anonymat. Les FSR avaient publié fin octobre une directive appelant leurs combattants à «respecter strictement la loi, les règles de conduite et la discipline militaire en temps de guerre», tout en insistant sur la nécessité de «protéger les civils».
Vendredi, des experts de l'ONU se sont dits «consternés par des informations crédibles» faisant état d'exécutions de civils par les FSR à El-Facher, qualifiant ces actes de «crimes de guerre» susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité. Ils ont affirmé que ces attaques rappelaient les offensives menées par les FSR contre le camp voisin de Zamzam, tombé en avril, et contre El-Geneina, accusant les paramilitaires de viser les communautés non-arabes «dans le but de les terroriser, les déplacer et les détruire».
Sylvain Penicaud, chef de projet pour Médecins sans frontières (MSF), qui s'est entretenu avec des civils réfugiés à Tawila, a déclaré à l'AFP que nombre d'entre eux affirmaient avoir été «pris pour cibles en raison de la couleur de leur peau». «Ils étaient pourchassés alors qu'ils fuyaient pour sauver leur vie, attaqués simplement parce qu'ils étaient noirs», a-t-il ajouté.
Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.