Moyens mal répartis
L'Etat français, trop centralisé pour bien combattre les incendies

La traditionnelle centralisation de l'administration française complique la tâche des pompiers depuis le début de l'été. Face aux défis du réchauffement climatique, la prise de décision au sommet de l'Etat est remise en question.
Publié: 12.08.2022 à 11:05 heures
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Dernière mise à jour: 12.08.2022 à 11:32 heures
Le manque de moyens disponibles en urgence pose la question de l'impréparation de l'Etat français face aux défis posés par le réchauffement climatique et l'extrême sécheresse.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le rapport date de 2001, soit il y a plus de vingt ans. Compilé par le Sénat français, la chambre haute du Parlement, il compare l’organisation des services de lutte anti-incendie des différents pays européens, avec pour objectif de réformer le système de sécurité civile hexagonal, appuyé sur près de 250'000 pompiers civils, volontaires à 85% (seules les villes de Paris et Marseille disposent d’unités de pompiers militaires, regroupant environ 10'000 hommes).

Sa conclusion? «Dans tous les pays étudiés, la plupart des éléments du statut des sapeurs-pompiers sont définis et financés au niveau municipal ou régional.» Ou encore: «En règle générale en Europe, les corps municipaux de sapeurs-pompiers comprennent uniquement des sapeurs-pompiers volontaires lorsque la commune est de petite taille. Ils comprennent presque toujours des sapeurs-pompiers professionnels dans les communes les plus grandes.»

Coordination mise en cause

Ce tableau, beaucoup de pompiers vétérans l’ont encore en tête alors que la coordination centralisée de la lutte anti-incendie ces dernières semaines en France est mise en cause sur le terrain, même si le pays dispose, sur le papier, d’une des forces anti-feux les plus importantes d’Europe.

Certes, le réchauffement climatique a, en vingt ans, pris des proportions sans précédent, largement responsables des feux de forêts auxquels font face cet été, outre la France, le Portugal, l’Italie ou la Grèce. Certes, le nombre des interventions annuelles anti-incendie – toutes catégories de feux confondues – a explosé, pour atteindre un peu plus de cinq millions d’opérations par an, soit 700'000 de plus en dix ans alors que le nombre global de pompiers est resté le même en France: 250'000 hommes et femmes mobilisés pour 7000 casernes.

Doutes sur les promesses budgétaires

Mais les engagements pris ces dernières semaines par le président Emmanuel Macron ou sa Première ministre de renforcer en urgence les moyens lourds (la flotte actuelle de 22 avions anti-feux se révèle insuffisante) ne rassurent pas ceux qui, voici deux ans encore, manifestaient dans les rues des grandes villes de France pour tirer le signal d’alarme.

A l’époque, la première raison de la colère était la recrudescence des agressions contre les pompiers dans les quartiers difficiles où ceux-ci sont souvent attirés dans des embuscades. Mais la mauvaise répartition des moyens et les promesses gouvernementales non tenues étaient aussi au cœur du malaise. «Aujourd’hui, les pompiers prennent de plein fouet la dégradation de la société française. Ils pallient la carence des médecins et des professionnels de santé dans les territoires, confirmait ces jours-ci à BFM TV un porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF). Nous sommes la dernière roue du carrosse des structures étatiques défaillantes.»

Une décentralisation très imparfaite

Une défaillance est en particulier pointée du doigt par les professionnels pour expliquer le redémarrage des incendies dans le Sud-Ouest, où le seul département de la Gironde a vu brûler près de 21'000 hectares en juillet, et vient à nouveau de perdre près de 8000 hectares cette semaine: la contradiction entre la centralisation des décisions d’intervention – qui limite la marge de manœuvre des collectivités locales – et la départementalisation des moyens mise en œuvre depuis une loi de 1996, peu propice à des investissements lourds et coûteux, pourtant indispensables. «Dans de nombreux départements, les pompiers sont devenus une variable d’ajustement», constatait récemment le quotidien «Libération».

Motif de la colère? La confusion entre services de sécurité civile et services anti-incendies: «L’enveloppe budgétaire de l’Etat finance tout ce qui est flotte aérienne, donc les avions et hélicoptères qui nous aident à lutter contre les feux de forêt, mais elle comprend aussi les démineurs et les associations agréées par la sécurité civile comme la Croix-Rouge», déplore un responsable de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Aux Services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) de recruter, de rémunérer les soldats du feu, d’acheter l’essentiel du matériel d’intervention.

Un rapport accusateur du Sénat

Une réalité soulignée, en juillet 2021, par un autre rapport du Sénat. «La situation mise en évidence supra doit être relativisée par la capacité d’adaptation des SDIS à parer au mieux aux sinistres et sauver les vies, pouvait-on lire. Depuis 2017 et comme par le passé, les SDIS font bien souvent preuve d’une démarche pragmatique pour compenser les carences de DECI dans les secteurs sous-équipés.»

Avec, en boucle, les mots qui fâchent: «carences temporaires», «adaptations visant à suppléer les manques et les imperfections dans l’application de la loi». Et cette conclusion: «Comment se satisfaire d’une situation où plusieurs millions de nos compatriotes sont mal protégés contre le risque incendie? Comment imaginer que des communes, déjà soumises à de fortes tensions budgétaires, puissent engager des projets de mise aux normes obérant pour plusieurs années toute autre capacité d’investissement? Comment accepter que des mesures réglementaires inadaptées, ou disproportionnées face au risque, remettent en question les efforts de collectivités pour développer leur territoire et les rendre plus attractifs?»

Or dans la plupart des départements, les fonds manquent pour ces investissements. Le refrain habituel français se vérifie là aussi: la décentralisation a surtout été administrative. Les budgets, eux, sont pour l’essentiel dépensés dans les métropoles. Plus grave: la baisse des dotations aux collectivités locales de 10 milliards d’euros, avalisée dans le projet de budget 2023, ne va faire qu’aggraver cette pénurie de moyens. C’est-à-dire la dépendance envers l’Etat central, y compris pour la lutte contre les incendies.

Le statu quo n’est plus tenable

Preuve que le problème n’est pas seulement climatique, la Première ministre, Élisabeth Borne, a promis cette semaine une réforme des services départementaux de secours, tout en se félicitant de l’arrivée de renforts étrangers (contingents de pompiers allemands, polonais, roumains et autrichiens avec leurs camions, avions Canadairs envoyés de Grèce) dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’Union européenne.

Mais quid de ces promesses si elles s’enlisent à nouveau? «Les renforts sont appelés tard. Les avions n’étaient pas là. L’Etat français n’est pas organisé en fonction des nouveaux périls climatiques. La réaction est trop lente», réagit un haut fonctionnaire, dont la résidence secondaire est, depuis deux mois, entourée de zones incendiées autour du bassin d'Arcachon. L’ampleur des feux, en 2022, démontre que ce statu quo est aujourd'hui en flammes.


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