Paris fait peur à Bruxelles
Voici comment la crise française peut paralyser l'Europe

La crise politique que traverse la France affaiblit la parole d'Emmanuel Macron au niveau européen. Mais elle pose aussi de sérieuses questions sur la stabilité de l'Union européenne au moment où Ursula von der Leyen fait sa rentrée, ce mercredi, à Strasbourg.
Publié: 09.09.2025 à 19:33 heures
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Dernière mise à jour: 09.09.2025 à 21:50 heures
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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen prononcera ce mercredi 10 septembre son discours sur «l'Etat de l'Union» devant le parlement européen à Strasbourg.
Photo: AP
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Richard WerlyJournaliste Blick

La coïncidence des dates en dit long. Ce mercredi 10 septembre, lorsque Ursula von der Leyen s’avancera au milieu de l’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg, la France débutera une journée inquiétante de trouble social, avant la prise de fonction du nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu.

C’est en effet cette date que différents collectifs, soutenus par la gauche radicale, ont choisie pour «tout bloquer» dans le pays, en protestation contre les propositions d’austérité budgétaire du Premier ministre démissionnaire François Bayrou. D’un côté, la présidente de la Commission européenne est supposée rassurer et incarner une vision d’avenir. De l’autre, la France, pays hôte du Parlement européen, traverse la crise politique, économique et sociale la plus éprouvante de son histoire récente.

Défiance massive

Ursula von der Leyen parlera-t-elle du vote de défiance massif infligé, lundi 8 septembre, au chef du gouvernement français et, par ricochet, au chef de l’Etat? C’est peu probable, d'autant que le Président s'est empressé de remplacer son Premier ministre démissionnaire. La présidente allemande de l’exécutif communautaire est davantage attendue sur le terrain commercial, après l’accord très controversé conclu fin juillet entre l’UE et les Etats-Unis, et l’accord tout juste adopté avec le Mercosur, les principaux pays d’Amérique latine.

Ursula von der Leyen devrait aussi renfiler son uniforme, elle qui fut ministre de la Défense en Allemagne. Le réarmement des 27 pays de l’Union européenne, face à la guerre en Ukraine et à la menace russe, est une priorité. L’UE, qui ne s’occupait traditionnellement presque pas de la défense du continent (laissée à l’OTAN, l’Alliance atlantique dirigée par les Etats-Unis) doit maintenant investir massivement pour produire des armes. L’annonce du déblocage de plusieurs centaines de milliards d’euros pour l’industrie de l’armement est attendue.

Crise française redoutée

Mais quid de la crise française? La vérité, pour le moment tue, est qu’elle est redoutée par beaucoup de dirigeants européens, sauf bien sûr par les nationaux populistes trop heureux de voir un pilier de l’Union se retrouver à terre. Contesté, et même détesté pour cela, Emmanuel Macron est, depuis sa première élection en 2017 une «boîte à idées» pour le projet européen, autour d’une idée fixe: la nécessité pour les 27 de s’affirmer comme puissance.

Le président français est aussi en pointe sur le déploiement possible d’une force militaire européenne de réassurance en Ukraine, une fois un cessez-le-feu obtenu et des pourparlers de paix engagés. C’est aussi Macron qui, en pleine pandémie de Covid, a fait le siège - avec succès - de l’ancienne Chancelière allemande Angela Merkel pour la convaincre d’accepter un grand emprunt européen «NextGeneration EU», de 730 milliards d’euros levés en commun par les 27 sur les marchés financiers.

Une France à genoux

Or aujourd’hui, cette France-là est à genoux. Bien sûr, Emmanuel Macron demeure président jusqu’en mai 2027, date de la fin de son second mandat. Bien sûr, son nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu est un Européen convaincu, bien connu à Bruxelles. Macron conserve aussi ses domaines réservés que sont la politique étrangère et la Défense. Mais va-t-il pouvoir résister à la pression si son chef du gouvernement ne parvient pas à convaincre et si le pays s’embrase, alors que la droite et la gauche radicale demandent ouvertement une nouvelle dissolution de l’Assemblée, suivie de son éventuelle démission?

Pourra-t-il, par exemple, autoriser l’envoi de soldats en Ukraine alors que le Parlement reste profondément divisé? Et quid, surtout, de la crédibilité économique de la seconde puissance économique européenne? Sa dette est à un niveau record. Son déficit public se creuse. Ses grosses fortunes songent à quitter le pays devant les menaces de nouvelle taxation. La France, championne ces dernières années de l’attractivité industrielle dans l’UE, semble être l’ombre d’elle-même.

Tempête europhobe

L’autre problème, plus sérieux encore pour Ursula von der Leyen et la Commission européenne, est que les europhobes ont le vent en poupe partout. En France, le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui préconisait hier l’abandon de l’euro, est le premier parti du pays, et pourrait obtenir une majorité de députés en cas de législatives anticipées. En Allemagne, l’AFD a les meilleurs sondages jamais enregistrés.

Et surtout, une réussite politique donne le frisson aux dirigeants bruxellois: celle de Giorgia Meloni, la Première ministre italienne venue de l’extrême-droite. Consciente de la nécessité absolue pour l’Italie de conserver les fonds européens, cette dernière joue le jeu. Mais son parti de droite dure reste très nationaliste et très hostile à la bureaucratie communautaire.

Le risque du blocage social

Les 3 et 4 octobre prochains, des élections législatives importantes auront lieu en République tchèque, maillon important d’Europe centrale. Si la droite nationale populiste l’emporte, les crispations seront plus grandes encore. Mais c’est vers la France que, pour le moment, les regards se tournent. La journée de «blocage social» du 10 septembre, puis la journée de grève du 18 septembre à l’appel des syndicats peuvent vraiment faire du pays «l’homme malade de l’Europe».

Ce qui compliquera de nombreux dossiers européens en cours. Le scénario le plus délicat à gérer, pour Bruxelles, serait celui d’une dissolution de l’Assemblée, d’une victoire législative de Marine Le Pen, et d’une cohabitation entre le RN et Emmanuel Macron. Le parti national populiste exigerait sans doute que le Premier ministre, s’il vient de son camp, siège aux côtés du président au Conseil européen.

Une France inaudible

La voix de la France deviendrait alors inaudible, et la bureaucratie communautaire serait progressivement paralysée. Le tandem franco-allemand tomberait en panne sèche. Alors que les enjeux géopolitiques et commerciaux, face à Trump, à la Chine ou à la Russie, exigent des réponses de plus en plus rapides. Et une unité des gouvernements européens, jusque-là maintenue malgré les désaccords affichés par la Hongrie ou la Slovaquie. Une France KO est bel et bien le scénario cauchemar pour l’Union européenne de 2025-2026. C'est ce que le tandem Macron-Lecornu veut (et doit) absolument éviter.

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