Il doit faire des promesses. Et pas à n’importe qui… Le nouveau Premier ministre français Sébastien Lecornu, renommé à la tête du gouvernement vendredi 10 octobre après avoir démissionné avec fracas cinq jours plus tôt, doit impérativement convaincre le Parti socialiste.
Si celui-ci, fort de 69 députés sur 577 (majorité absolue: 289), devait rejoindre les oppositions et voter avec elle une motion de censure, l’expérience Lecornu II serait terminée. Mais que doit annoncer le Premier ministre dans le discours de politique générale qu’il prononcera aujourd’hui à partir de 15 heures, tout en présentant son projet de budget à l’Assemblée nationale?
Exit les 64 ans
Même le tout nouveau Prix Nobel français d’économie Philippe Aghion (récompensé lundi 13 octobre aux côtés de deux économistes américains pour leurs travaux sur l’innovation) a dit «Stop». La réforme du système français de retraite, adoptée au milieu des manifestations en avril 2023, et promulguée dans la foulée, est sur la sellette. Les Socialistes réclament au moins sa suspension, arguant de l’opposition de 72% des Français au report de l’âge de départ à 64 ans (au lieu de 62). Exit? Un gel de cette réforme ferait que l’âge légal de départ se trouverait figé à 62 ans et neuf mois. En attendant une renégociation, ou une remise en œuvre. Il faut que le PS puisse crier victoire sur ce dossier. Alors que tous les voisins de la France cessent de travailler à 65 (comme en Suisse), 66 ou 67 ans!
Exit les 44 milliards
L’ironie des circonstances est que le projet de budget présenté ce mardi 14 octobre à l’Assemblée nationale est celui qu’avait préparé le Premier ministre François Bayrou, résolu à faire 44 milliards d’euros d’économies en 2026! Mais Bayrou a démissionné le 8 septembre, après un vote de défiance massif des députés. Plus question, donc, d’atteindre ce chiffre. Tant pis pour le fait que la France, dont la dette atteint le chiffre record de 3345 milliards d’euros (117% du Produit intérieur brut), doit payer chaque année plus de 50 milliards d’intérêts. Pour rappel, les socialistes ont, eux, présenté un contre-budget en août, avec 21 milliards d’euros d’économies. Lecornu II sera un gouvernement dépensier.
Exit le 49.3
Vous avez bien sûr entendu parler de cet article de la Constitution si vous suivez la politique française. Il permet au gouvernement un vote bloqué en cas d’impasse parlementaire. Exit les amendements, retour au projet de loi original et adoption si une motion de censure n’est pas votée. Dans le cas du projet de loi de finances (il y en a deux en France, pour le budget de l’Etat et celui de la Sécurité sociale), son utilisation est en plus illimitée! Seulement voilà: C’est un tabou pour l’opposition de gauche. Sébastien Lecornu a donc promis d’y renoncer. Résultat: les 70 jours de débat parlementaire du budget ne pourront pas être interrompus. Le texte final sera celui que les députés auront adopté en dernière lecture. Attention à la pluie d’amendements!
Exit la droite
C’est exagéré, mais ce n’est pas complètement faux. Jusque-là, les gouvernements nommés par Emmanuel Macron après les législatives anticipées de juin 2024 s’étaient appuyés sur le centre et la droite, en espérant (à tort) mettre les socialistes au pied du mur. Conséquence: trois démissions fracassantes de Premier ministre en un an et demi! Du jamais vu! Aujourd’hui, le parti Les Républicains (droite traditionnelle) est coincé. Son président Bruno Retailleau, à l’origine de la démission de Lecornu I, n’est plus ministre de l’Intérieur. Six de ses cadres ont rejoint le gouvernement malgré la décision de ne pas participer. Et, en même temps, ce parti a promis de ne pas censurer et de soutenir le Premier ministre «texte par texte». On voit mal la droite, coincée par la progression du Rassemblement national (RN, droite nationale populiste) provoquer une crise gouvernementale et aller à la dissolution. Le PS est maître du jeu.
Exit l’austérité
Sébastien Lecornu devra faire deux autres promesses pour convaincre la gauche sociale-démocrate: des mesures en faveur du pouvoir d’achat (ce qui pourrait passer par une augmentation du salaire minimum mensuel de 1400 euros nets), et un OK à une imposition exceptionnelle des patrimoines les plus riches. Problème: comment financer les dépenses induites par une suspension de la réforme des retraites jusqu’à la présidentielle de mai 2027 (estimées à environ 4 milliards d’euros), plus d’autres concessions? La réponse a été apportée par le Premier ministre qui prévoit déjà 5% de déficit public en 2025 contre 4,7%. La France peut-elle dépenser plus alors que sa croissance économique stagne à 0,8% en 2025 (1,3% en Suisse, pour une dette publique d’environ 40% du PIB).