Sébastien Lecornu n’a pas tenu l’horaire. L’annonce de son nouveau gouvernement français n’a pas pu avoir lieu, comme cela se fait normalement, avant les journaux télévisés du soir. C’est à 22 heures que la liste des ministres est tombée. Une habitude désormais, après une semaine d’annonces politiques toujours tardives. Et cette liste révèle deux choses: le départ de la plupart des proches d’Emmanuel Macron, plus la volonté d’avoir aux manettes des personnalités «passerelles» capables de parler aux partenaires sociaux et au parti socialiste, dans un pays suspendu aux fractures de l’Assemblée nationale.
Les partants d’abord. Il s’agit des ex «poids lourds» sur lesquels comptait, à tort, l’ex-premier ministre François Bayrou, contraint de démissionner le 8 septembre après un vote de défiance massif d’une majorité de députés. Exit Elisabeth Borne, qui occupait le poste de ministre de l’Education après avoir été cheffe du gouvernement. Exit aussi tous ceux qui, plus ou moins, venaient comme elles des rangs du PS: l’ancien Premier ministre Manuel Valls (Outremer) malgré son investissement dans les négociations ardues sur la Nouvelle-Calédonie. Exit l’ancien ministre des Finances Eric Lombard…
Un seul «poids lourd» demeure, largement en raison de sa longue amitié avec le locataire de l’Hôtel Matignon: le ministre de la Justice Gérald Darmanin, l’un des premiers ralliés à Emmanuel Macron en 2017 (avec ses deux collègues de droite Bruno Le Maire et… Sébastien Lecornu). Celui-ci devrait faire savoir qu’il ne lorgne pas vers la présidentielle 2027. Une miraculée passe aussi le cap: la très médiatique et très controversée ministre de la Culture Rachida Dati (poursuivie en justice), candidate à la mairie de Paris aux municipales de mars 2026. Fait révélateur: le député des Français de Suisse Marc Ferraci, très proche d'Emmanuel macron, perd son portefeuille de l'industrie.
Des négociateurs
Les arrivants ensuite. Tous ont une expérience confirmée de négociation avec les syndicats, et une réputation de bons connaisseurs de leurs dossiers. C’est le cas du Préfet de police de Paris Laurent Nunez, qui devient ministre de l’Intérieur. C’est aussi le cas pour Jean-Pierre Farandou, l’ancien PDG de la SNCF qui sera en charge du Travail, c’est-à-dire du dossier crucial de la réforme des retraites. Le nouveau ministre de l’Education, Edouard Geffray, est un haut fonctionnaire de ce ministère, qui en connaît parfaitement les rouages. Monique Barbu, chargée de l'écologie, dirigeait l'antenne française du WWF (dont le QG est à Gland). Objectif pour tous: apprivoiser le Parti socialiste que ce gouvernement Lecornu II doit absolument convaincre de ne pas voter la censure.
Pour être des ministres «passerelle» dignes de ce nom, les arrivants devront disposer d’une feuille de route. Elle sera délivrée mardi dans le discours de politique générale que prononcera le nouveau Premier ministre. Le PS a déjà dit que trois sujets devront y figurer pour ne pas voter la censure immédiatement: engagement à renégocier la réforme des retraites de 2023, engagement à augmenter le pouvoir d’achat des Français et engagement à taxer les patrimoines les plus fortunés. Possible? Un ministre du pouvoir d’achat est nommé: Serge Papin, ancien patron d’une chaîne de supermarchés.
Le rôle du ministre des Finances
Tout cela se traduira lors de la discussion budgétaire dont l’arbitre sera le nouveau ministre des Finances Roland Lescure, un proche d’Emmanuel Macron venu historiquement de la gauche sociale-démocrate. Son rôle? Rassurer les marchés financiers qui sont en embuscade. L’agence Moody’s fera connaître sa nouvelle notation le 24 octobre, jour où Emmanuel Macron sera à Bruxelles pour le Conseil européen d’automne. Faire adopter un budget est bel et bien l’urgence pour ce Premier ministre qui dispose, promet-il, d’une «carte blanche».
Or il faudra, pour cela, que le gouvernement fasse oublier celui qui, à l’Elysée, plombe désormais le climat par son impopularité record: Emmanuel Macron. Réponse dès cette semaine, avec le vote des motions de censure qui devraient immédiatement être déposées, après le discours de politique générale, par le Rassemblement national et la France Insoumise (gauche radicale).