Avouez que tout le monde se pose la question, de Paris à l’autre bout du monde. Pour tous ceux qui s’intéressent à la France, la perplexité est de rigueur. Renommé Premier ministre une semaine après avoir démissionné de ce poste avec fracas, quelques heures après l’annonce de son gouvernement qui n’a même pas pu entrer en fonction, Sébastien Lecornu (39) est-il l’homme de la situation? Peut-il réussir là où ses deux prédécesseurs ont échoué après quelques mois, face à l’opposition d’une majorité de députés?
Avouez aussi que personne, ou presque, n’y comprend rien. Que recherche Emmanuel Macron, ce président en fin de second mandat, assuré de quitter le pouvoir en mai 2027, et résolu à ne pas démissionner d’ici là? La réponse la plus évidente est: sa survie politique. Mais aussi l’adoption d’un budget pour 2026, et le retour d’une stabilité gouvernementale introuvable depuis sa dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024, et les élections législatives qui ont suivi. On rembobine ce film très français en 5 épisodes. Comédie ou tragédie? On vous laisse juge.
Macron, encore Président?
Plus que jamais. A moins que ce ne soit en réalité le contraire. Pour rappel: Emmanuel Macron a été réélu en avril 2017 avec 58,5% des voix face à Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national (RN, droite nationale populiste). Son second mandat s’achèvera en mai 2027 et il ne pourra pas se représenter pour une troisième présidentielle consécutive. D’ici là, la constitution de 1958, celle de la Ve République, lui permet de nommer qui il veut Premier ministre et de dissoudre l’Assemblée nationale (une fois par an). Elle lui confère aussi, de facto, un «domaine réservé» sur les Affaires étrangères et la Défense. Pourquoi redire cela? Parce qu’Emmanuel Macron n’a jamais été aussi faible. Les sondages lui accordent environ 15% d’opinions favorables. 80% des Français voudraient revenir aux urnes pour élire de nouveaux députés. Deux tiers d’entre eux jugent qu’il devrait démissionner. Le fait nouveau de ce vendredi 10 octobre? Sa promesse de laisser «carte blanche» à Sébastien Lecornu, jusque-là l’un de ses ministres les plus fidèles, pour composer son nouveau gouvernement.
Lecornu 2, une différence?
Accrochez-vous, parce que ce qui suit n’est guère compréhensible par un observateur distant de la politique française. Sébastien Lecornu vient d’être renommé Premier ministre cinq jours après avoir démissionné de ce même poste, moins de 15 heures après l’annonce de la composition de son gouvernement! Ailleurs qu’en France, cela l’aurait disqualifié. Mais pas à Paris où Emmanuel Macron le juge toujours le plus apte à diriger un gouvernement stable! Pourquoi? 1) Parce que Sébastien Lecornu, qui était ministre de la Défense depuis 2022, lui doit tout et se présente comme un «moine soldat» qui ne le trahira jamais 2) Parce que Lecornu a, pendant une semaine, consulté les forces politiques et qu’il connaît les concessions indispensables à faire pour satisfaire les uns et les autres 3) Parce que Lecornu, en théorie, ne se voit pas de destin présidentiel en 2027. En résumé: Lecornu 2 est la copie conforme de Lecornu 1, avec les concessions dans sa besace en plus. Sa cible? Le parti socialiste et ses 69 députés. Sans leur vote favorable, ou du moins leur abstention, pas de majorité possible pour l’adoption du projet de loi de finances 2026 qui doit être présenté ce lundi 13 octobre à l’Assemblée nationale. Un débat de 70 jours suivra.
Le budget, équation impossible?
On pose d’abord les chiffres: la France connaît un endettement record de 3345 milliards d’euros, soit près de 117% de son produit intérieur brut annuel. Son déficit public pour 2025, prévu autour de 4,7%, devrait atteindre 5% selon Sébastien Lecornu. Làencore, un record préoccupant. Le tout, dans un pays où les dépenses publiques (1670 milliards d’euros par an) représentent 57,2% du PIB. On regarde ensuite la situation budgétaire: chaque année, Paris doit rembourser entre 50 et 60 milliards d’intérêts de la dette détenue à 55% par des investisseurs internationaux. Dans ce contexte, le projet de budget 2026 présenté par l’ancien premier ministre François Bayrou, avec ses 44 milliards d’euros d’économies, semblait cohérent. Sauf que les Français n’en veulent pas! 87% d’entre eux, selon un sondage Odoxa, pensent qu’il nuira à leur pouvoir d’achat. C’est néanmoins ce projet qui sera présenté aux députés lundi, avec promesse de laisser le parlement l’amender et en débattre. Pour aboutir où? Nouvelles dépenses? Nouvelles recettes? La roue de l’infortune tourne…
Les retraites, 62 ans ou rien?
Vu de l’étranger, et en particulier des pays voisins de la France, ce chiffre est irréaliste. Ainsi donc, le prix de la stabilité gouvernementale française serait l’abandon de la réforme des retraites promulguée en avril 2023, qui reportait l’âge légal de départ à 64 ans contre 62 ans (ce qui reste inférieur à la plupart des pays européens)? Pour l’heure, on reste dans le flou. Il est juste clair, en revanche, que le soutien (ou la non-censure) des socialistes dépend en partie de ce sujet. Le PS veut la suspension, voire l’abrogation de cette réforme qui avait mis des millions de Français dans la rue fin 2022. Une suspension seule, jusqu’à la présidentielle de mai 2027, coûterait entre 4 et 6 milliards d’euros selon les estimations. Alors? On sait aussi que le PS veut des augmentations de salaire, et une taxe sur les contribuables les plus riches. Quelle renégociation va être proposée par Sébastien Lecornu? Dans tous les cas, la parole de la France sera fragilisée. Comment faire confiance à un Etat qui revient sans cesse sur ses réformes?
Dissolution, c’est non?
On peut élargir: la question posée, à travers la demande de dissolution de l’Assemblée nationale, est celle du retour aux urnes pour régler cette crise politique. Soit pour élire une nouvelle Assemblée nationale. Soit pour élire un nouveau Président si Emmanuel Macron démissionnait, comme le réclame La France Insoumise (LFI, gauche radicale) mais aussi le RN. C’est l’ironie de la démocratie française en octobre 2025: le plus petit commun dénominateur entre les partis susceptibles de soutenir le nouveau gouvernement de Sébastien Lecornu (ou de ne pas le censurer) est… Le refus de retourner devant les électeurs! Difficile à faire comprendre à des Français fatigués et colère. Plus difficile encore à justifier, lorsque le premier parti du pays, le RN, martèle qu’il est lui, prêt à repartir en campagne. Alors, exit la dissolution? Rien n’est moins sûr. Car si Lecornu ne parvient pas à satisfaire sa pseudo-majorité composite et assez chaotique, il n’y aura pas d’autre solution.