Et si Emmanuel Macron lâchait prise pour éviter de plonger encore plus la France dans la puls dangereuse crise politique de son histoire récente? Alors que le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu poursuit, à la demande du président français, des discussions avec les partis politiques dans le but de permettre l’adoption d’un budget pour 2026, une bombe a éclaté mardi 7 octobre dans le camp présidentiel.
C’est l’ancienne cheffe du gouvernement Elisabeth Borne (mai 2022 – janvier 2024) qui a dégoupillé cette grenade sociale. Selon elle, la solution pour parvenir à un compromis est peut-être de donner à la gauche modérée ce qu’elle réclame à cor et à cri: une suspension de la réforme des retraites promulguée en avril 2023.
L’équation politique est simple. S’il veut faire adopter un budget (dont le Parlement doit théoriquement débattre à partir de la mi-octobre), Emmanuel Macron a besoin du soutien ou de l’abstention des 66 députés socialistes. Ceux-ci sont en effet indispensables pour toute adoption d’une motion de censure, afin que la majorité absolue de 289 députés soit atteinte par les oppositions, emmenées par le Rassemblement national (droite nationale populiste) et la France insoumise (gauche radicale).
Sans les députés PS, pas de censure possible. Mais dans ce cas, comment réagira la droite traditionnelle qui réclame toujours de gouverner la France malgré ses maigres troupes à l’Assemblée nationale (une cinquantaine de députés)?
Chiffre magique
La réponse tient en un chiffre magique et en un mot tabou. Le chiffre? 62 ans. C’était l’âge légal de départ à la retraite à taux plein avant la réforme de 2023, qui l’a reporté à 64 ans, dans le but de faire 17 milliards d’euros d’économies budgétaires, et d’adapter le système de pensions au vieillissement de la population française.
Le mot tabou? Taxe Zucman. Ce projet d’impôt de 2% sur les contribuables au patrimoine supérieur à 100 millions d’euros, réclamé par la gauche pour renflouer les caisses de l’Etat, serait abandonné et remplacé par une taxe sur le patrimoine financier à déterminer.
Victoire sociale
Donnant-donnant! Les socialistes obtiendraient une victoire sociale avec les 62 ans, qu’ils pourraient présenter aux Français comme un succès, contrant ainsi la gauche radicale qui leur reproche d’être les supplétifs du macronisme. La droite obtiendrait, elle, de ne pas assommer d’une nouvelle taxe les plus riches contribuables du pays. Le patrimoine industriel serait préservé. Beaucoup de riches entrepreneurs respireraient.
Le grand perdant serait bien sûr Emmanuel Macron, pour qui cette réforme des retraites est indispensable pour aligner la France sur tous les autres pays européens, et pour redresser ses finances publiques plombées par une dette record de 3345 milliards d’euros. Son bilan en termes de grandes réformes économiques serait ainsi réduit presque à néant. La gauche, qui avait manifesté bruyamment en 2022 et 2023 pour refuser cette réforme, jubilerait.
Pas d’efforts en 2025
Les Français, qui disposent d’un des systèmes publics de retraites par répartition les plus généreux de l’Union européenne, échapperaient aux efforts faits par les Allemands mais aussi par les Italiens, les Espagnols et les Grecs qui, eux, partent à 67 ans. Sauf qu’en donnant ce succès aux socialistes, Macron temporiserait. Droite traditionnelle et gauche modérée pourraient au moins s’entendre sur un pacte de non-agression parlementaire. L’obligation d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale s’éloignerait. Au moins dans l’immédiat.
Pour les partenaires européens de la Paris, l’affront serait réel. Ainsi donc, la seconde économie de la zone euro, qui s’est endettée de plus de mille milliards d’euros supplémentaires depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, renonce à faire des efforts? Cela ferait sans doute mal du côté des agences de notation financières, après la première dégradation par Fitch en septembre.
Aggravation du déficit
Plus grave: qui dit abandon de la réforme des retraites et non compensation par des recettes fiscales supplémentaires dit… aggravation du déficit. Le précédent premier ministre François Bayrou a été renversé pour avoir promis 44 milliards d’euros d’économies en 2026. Le Parti socialiste en propose 21 milliards avec une retraite à 62 ans et Retraite à 62 ans et 900 euros de plus pour les bas salaires. Le chiffre final du budget pourrait s’établir à une baisse des dépenses de 25 milliards.
Une France en crise politique, obligée de retourner aux urnes, avec le risque d’une nouvelle assemblée fragmentée et dépourvue de majorité jusqu’à la présidentielle de mai 2027? Ou une France qui refuse de réformer comme elle le devrait, mais attend calmement l’élection d’un nouveau chef de l’Etat avec un budget «acceptable»?
Entre ces deux choix, Emmanuel Macron préfère sans doute le second. Son second mandat en dépend. Et du haut de ses 47 ans, le président français est sans doute convaincu qu’à terme, les chiffres rendront indispensables une réforme des retraites. Sauf que ce ne sera pas la sienne.