Bruno Le Maire a fait exploser le gouvernement français. Car la démission surprise lundi 6 octobre de Sébastien Lecornu, le Premier ministre nommé le 9 septembre, lui est largement imputable. Son retour au gouvernement comme ministre de la Défense a déclenché une rébellion de la droite, son camp politique d'origine qui le considère comme un traître.
L'ex-ministre Français des Finances (2017-2024) aurait pourtant dû apprendre à Lausanne ce qu'un départ de la vie politique signifie en Suisse. Lors de son passage de moins d’un an comme professeur invité à l’université, au sein du centre de recherche «Enterprise for Society», entre septembre 2024 et le printemps 2025, l’ancien ministre français des Finances a eu souvent l’occasion d’échanger sur les mœurs politiques helvétiques.
A Berne, lorsqu’un conseiller fédéral quitte ses fonctions, c’est définitif. Son avenir est alors dans le secteur privé, dans l’enseignement ou au sein d’organisations philanthropiques. C’est d’ailleurs ce que Bruno Le Maire avait promis, jurant de quitter la vie politique. Avant de se raviser ce dimanche et d’accepter la proposition de son ancien collaborateur Sébastien Lecornu de lui succéder à la tête du ministère français de la Défense. Ce qui a plongé la France dans le chaos politique. Le parti «Les Républicains» (droite) menaçait de quitter le gouvernement. le Premier ministre a préféré démissionner par avance.
Le risque d’explosion
Mais pourquoi Bruno Le Maire a-t-il fait exploser le nouveau gouvernement français, dont un premier groupe de ministres (18) avait été annoncé dimanche 5 octobre après vingt-six jours de consultations politiques sans succès par le nouveau Premier ministre?
La première raison est la responsabilité directe de Bruno Le Maire dans l’augmentation vertigineuse de la dette de la France entre 2017 et 2024. Sept années à la tête du ministère des Finances, durant lesquelles le gouffre de l’endettement public s’est creusé de près de 800 milliards d’euros, pour atteindre en 2025 la somme record de 3345 milliards d’euros. Le 2 janvier 2025, l’intéressé s’est expliqué devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, affirmant qu’il n’avait pas été entendu en 2024 par le président de la République lorsqu’il réclamait un budget rectificatif.
«Quoi qu’il en coûte»
Problème: cette explication n’a pas convaincu. Bruno Le Maire a notamment défendu, durant la pandémie de Covid 19, le «quoi qu’il en coûte», à savoir l’injection de près de 200 milliards d’euros d’aides publiques (dont 145 milliards prêtés aux entreprises). Cette réputation de ministre dépensier avait d’ailleurs alimenté la polémique lors de son arrivée controversée à l’université de Lausanne, dans une Suisse où la dette publique est d’environ 40% du PIB, contre bientôt 120% en France.
La seconde raison est le «copinage» évident qui avait conduit Sébastien Lecornu à recruter Bruno Le Maire pour lui succéder à la tête des armées, un poste très dépendant du président de la République qui est le Commandant en chef. Lecornu a fait ses classes en politique aux côtés de Bruno Le Maire dans le département de l’Eure (Normandie). Il lui doit beaucoup.
Gouvernement des «revenants»
Les deux hommes ont été, avec Gérald Darmanin (Ministre reconduit à la Justice) les premiers à quitter la droite traditionnelle pour rejoindre le camp Macron en 2017. Bref, l’accusation de gouvernement des «revenants» ou des «ultimes gardiens du macronisme» a du grain à moudre. L’impression qu’Emmanuel Macron cherche avant tout à protéger sa fin de mandat jusqu’en mai 2027 a de quoi déranger, dans un pays où seulement 17% des Français font encore confiance au chef de l’Etat dans les derniers sondages.
La troisième raison est l’incohérence politique du choix de Bruno Le Maire. S’il avait étudié de près la politique suisse durant ses cours à l’université de Lausanne, le nouveau ministre français de la Défense aurait appris qu’un gouvernement doit être représentatif de la donne parlementaire. La confiance des électeurs helvétiques repose sur cette représentativité, qui fait du Conseil fédéral un gouvernement de coalition imposée, contraint au compromis permanent. Or le Premier ministre Sébastien Lecornu a fait le choix inverse.
Pas de «contrat de coalition»
Il n’a pas réussi, en un mois de consultations, à forger un «contrat de coalition» entre les différents partis. Il avait, semble-t-il, nommé Bruno Le Maire au dernier moment, sans prévenir la droite traditionnelle et son chef, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. La gauche était aussi vent debout, absolument pas convaincue par le nouveau ministre des Finances Roland Lescure, venu pourtant des rangs du PS. Le Rassemblement national, premier parti du pays, parlait ouvertement de censure. Bref, une autoroute pour la crise qui s'est transformée en déroute ce lundi matin alors que les comptes de la France sont dans le rouge et que la note financière du pays a été dégradée d’un cran le 12 septembre par l’agence Fitch.
Bruno Le Maire doit déjà regretter, au vu du chaos provoqué, d’avoir quitté les berges tranquilles du Léman…