Elle gagne sur tous les tableaux. Elle est la grande bénéficiaire de la démission surprise du Premier ministre Sébastien Lecornu. Comme si celui qui lui fit mordre deux fois la poussière lors des élections présidentielles de 2017 et 2022 était, ni plus ni moins, en train de lui dérouler le tapis rouge du palais de l’Elysée.
Marine Le Pen n’a pas besoin d’être stratège. Encore moins de hausser son niveau de jeu politique dans une France engluée dans une crise politique sans précédent depuis l’instauration de la Ve République, en 1958. La cheffe du Rassemblement national (droite nationale populiste), actuellement patronne du groupe des députés RN à l’Assemblée, a juste à recueillir le fruit des erreurs à répétition de celui qui l’avait ridiculisé lors de leur premier débat télévisé, le 4 mai 2017. Acculée à s’expliquer sur l’abandon de la monnaie unique qu’elle préconisait alors, la candidate du Front national (rebaptisé en 2018) avait sombré dans d’étranges mimiques. Une exécution politique en règle, devant des dizaines de millions de Français.
Désastre télévisuel en direct
Huit ans après ce désastre télévisuel en direct, les rôles sont renversés. Marine Le Pen, désormais calée dans son rôle de défenseure des institutions, se contente d’égrener les deux seuls scénarios démocratiques, selon elle, pour éviter la crise régime. Soit une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, assurée selon les sondages de propulser son parti vers une possible majorité absolue de députés. Soit une démission d’Emmanuel Macron qui, toujours selon les sondages, la placerait largement en tête du premier tour de la prochaine présidentielle. L’affaire est donc entendue: l’héritière du clan Le Pen, longtemps réputée pour ses lacunes, voire son incompétence, est prête à endosser le costume de chef de l’Etat. Avec, en plus, l’avantage de disposer, avec Jordan Bardella, d’un numéro deux populaire au sein de la jeunesse et politiquement choyé par les milieux d’affaires, hérissés par les promesses sociales de sa cheffe.
Lointains souvenirs de 2017 et 2022
Emmanuel Macron est responsable de cette transformation. Ses deux victoires consécutives, démocratiquement incontestables, sur Marine Le Pen, ne sont plus que de lointains souvenirs. Une grande partie de l’opinion publique retient juste l’image d’un pays fragilisé, en panne sur le plan économique, miné par l’insécurité, sur lequel pèse la menace d’une réduction drastique (justifiée vu l’endettement national) des dépenses publiques. Plus évident encore: l’incapacité de ce président de 47 ans à donner sa chance à de nouveaux talents, et l’épuisement de son libéral-centrisme, alimente la volonté de dégagisme tous azimuts. D’autant que le dernier barrage, celui de l’Europe, a explosé avec les élections européennes de juin 2024, marquées par la progression des partis nationaux populistes proches du RN.
Marine Le Pen n’est pas encore présidente de la République. Son parti reste ancré à l’extrême-droite. Toute une partie de l’électorat français peut encore se mobiliser pour l’empêcher d’accéder à l’Elysée. Mais imaginer que la crise actuelle ne lui profitera pas au format XXL est illusoire. Emmanuel Macron, par son comportement et ses obsessions, est devenu, de facto, son meilleur allié.