Emmanuel Macron est-il devenu fou? En France, y compris parmi les observateurs politiques, cette question ne fait plus rire du tout. Bien sûr, la folie dont on parle n’est pas une maladie mentale classique. Il s’agit tout simplement de la maladie de l’Elysée, le palais présidentiel français. Une maladie qui conduit tous les présidents à vivre reclus, dans un dangereux isolement, au point de prendre parfois des décisions absurdes et de provoquer des crises majeures, comme celle que traverse la République depuis la démission surprise, en début de matinée lundi 6 octobre, du nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu.
Cette folie politique se traduit, selon les détracteurs du président, de plusieurs façons. A Paris, ceux qui suivent Emmanuel Macron depuis sa première élection présidentielle de mai 2017 évoquent, au minimum, un syndrome narcissique grandissant. Le chef de l’Etat français, ébranlé par la crise des «gilets jaunes» durant l’hiver 2018-2019, puis malmené comme ses homologues européens par la pandémie de Covid-19 en 2020-2021, a fini par se voir comme un ultime survivant politique, plus fort que tous les autres.
Les discours plus que les faits
«Vous voulez que je vous dise: je suis presque certain qu’il préfère, en ce moment, mettre la dernière main à son texte pour l’entrée au Panthéon de Robert Badinter, ce jeudi 9 octobre, plutôt que de s’occuper des Français» déplore un ancien parlementaire qui, autrefois, croyait «dur comme fer aux promesses de rupture macroniste». Explication: dans deux jours, alors que le pays traverse une crise majeure, l’ancien ministre socialiste de la Justice qui défendit avec succès l’abolition de la peine de mort en 1981, sera inhumé au Panthéon. Là où repose, à Paris, les grands personnages de la République. Emmanuel Macron prononcera alors l’un de ces discours d’hommage dans lesquelles il excelle. Comme il l’a fait, avec talent, en juillet 2018, pour l’ancienne ministre Simone Veil, déportée à Auschwitz.
Narcissique, Macron? «Il y a un aspect pathologique préoccupant, note un ancien collaborateur de l’Elysée, qui travailla au début du premier mandat avec le président élu en 2017 et réélu en 2022. Macron, selon moi, ne supporte plus les Français. Il ne comprend pas que le public l’applaudisse lors de ses voyages à l’étranger – comme ce fut le cas en Suisse en novembre 2023 – et qu’on l’accable de critiques en France. Il a aussi été profondément blessé par les polémiques sur son épouse Brigitte, accusée par la sphère complotiste d’être un homme. Lui et sa femme sont maintenant obsédés par le procès en diffamation qu’ils ont intenté aux Etats-Unis, contre l’influenceuse Candace Owens. La politique française au jour le jour, il ne la supporte plus».
Démission ou destitution?
Thomas Portes est député de La France Insoumise (gauche radicale). Il réclame, comme son chef Jean-Luc Mélenchon, la destitution du président Macron. Son parti doit enclencher ce mercredi la procédure prévue par l’article 68 de la constitution. «Emmanuel Macron est dangereux pour la France et pour ses institutions, argumente-t-il. Le pouvoir solitaire, celui de Jupiter (son surnom) lui est monté à la tête. Il ne supporte plus la contradiction». Une destitution par le parlement est très peu probable, car une majorité de députés ne sera jamais au rendez-vous. Reste le discours, distillé par LFI, mais aussi par le Rassemblement national (RN, droite nationale populiste) et par des partis traditionnels comme le PS ou Les Républicains. «Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale qu’il a décidée seul le 9 juin 2024, au soir des élections européennes marquées par la défaite de son camp, le chef de l’Etat se voit comme le protecteur de la France contre les Français» accuse le député européen RN Matthieu Valet.
La peur à l’Elysée
Ce dernier, ancien policier, va plus loin dans l’interrogation sur une possible «folie» présidentielle. «J’ai souvent réalisé des gardes à vue. Je connais bien les questions de sécurité, poursuit-il, sur le plateau de France Info TV. Or qu’est-ce que le palais de l’Elysée aujourd’hui? Un donjon assiégé. Je suis sûr qu’une forme de peur s’y est installée. Peur des sondages, peur des Français. Peur du débat politique. Peur, aussi, de la fin de mandat inéluctable qui approche».
En mai 2027 au plus tard en effet, Emmanuel Macron devra quitter la présidence. La Constitution lui interdit de se représenter une troisième fois. «Ce sera le vide complet, note un journaliste politique qui a souvent voyagé avec le président. L’angoisse est palpable chez Macron. Combien vaudra-t-il sur le marché des conférenciers, lui l’anti-Trump, dans un monde dominé par le président des Etats-Unis? Quel sera le prix à payer, au sein de l’establishment financier qui pourrait le coopter au sein de Conseils d’administration, pour son bilan financier désastreux à la tête du pays (plus de mille milliards d’euros de dette supplémentaires), ses appels à réglementer et à taxer les multinationales du numérique, ou sa reconnaissance courageuse de la Palestine?
Huit ans de pouvoir
Emmanuel Macron a changé en huit ans de pouvoir. Normal. Il n’est plus l’apôtre de la transformation économique de la France. Il a échoué à réduire les dépenses publiques et à restructurer la machine étatique. Il a réussi à hisser son pays en pole position pour les investissements étrangers en Europe. Mais les promesses seront-elles tenues? Une image a marqué ces dernières heures: celle du président seul, marchant au bord de la Seine à Paris, alors que le pays n’a plus de gouvernement. Comme s’il avait besoin d’oxygène.
«Macron étouffe et angoisse. Il redoute que son nom soit pour toujours associé à la pire crise institutionnelle de la Ve République» nous confiait, après les législatives consécutives à la dissolution de juin 2024, l’historien Jean Garrigue, auteur de «Elysée contre Matignon, le couple infernal» (Ed. Tallandier). Or cet étouffement donne au président français une forme de vertige, aggravé par la culture politique nationale: «Il y a aussi une autre maladie du pouvoir dont on parle peu en France se risque la journaliste allemande Birgit Holzer: cette culture très masculine du duel. Macron est pris là-dedans. Il est en duel permanent. Avoir plus de femmes au sommet du pouvoir changerait sans doute la donne». Emmanuel Macron n’est sans doute pas fou. Mais à l’évidence, il a perdu pied.
Or, après les démissions consécutives de trois Premiers ministres en un an, retrouver son équilibre semble aujourd’hui impossible.