Pour la première fois, la France est comparée à la Grèce en raison de son endettement excessif. En 2010, le monde était sous le choc de voir cette petite économie du sud de l’Europe tomber sous contrôle de la «troïka» – l’Union européenne (UE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE) –, à la suite de son surendettement.
On soulignait alors l’écart qui existait entre le cœur de l’UE, composé du solide moteur franco-allemand, et les pays de la périphérie, moins performants et volontiers surnommés garlic Europe («l’Europe de l’ail») par les médias anglo-saxons. Mais cet été, le même scénario «à la grecque» est évoqué, sauf qu’il s’agit cette fois de la France, 2e économie de l’UE, et 7e économie mondiale. Et on doit la comparaison avec la Grèce au Premier ministre François Bayrou lui-même.
Comment en est-on arrivés là?
La dette nationale de la France n’a cessé de se détériorer au fil des ans, pour culminer à 3400 milliards d’euros ce 1er trimestre, ce qui génère une charge de 59 milliards d’intérêts. En 2024, la progression des dépenses publiques aurait excédé celle de l’activité économique, d'après le rapport de la Cour des comptes. De sorte que, pour la première fois depuis 2020, le ratio de dépenses publiques rapporté au PIB aurait augmenté, passant de 56,4 à 56,7 points:
Ratio de dépenses publiques par rapport au PIB
Sous Emmanuel Macron, la situation s’est péjorée: entre 2017 et 2024, le déficit budgétaire de la France, soit la différence entre les dépenses et les recettes publiques, est passé de 3,5% à plus 6% du PIB, soit largement en-dessus du seuil des 3% exigé par Bruxelles. Quant au ratio entre dette et PIB, utilisé pour évaluer la solvabilité d’un pays, il est passé de 98% à 114%, et dépassera 115,5% en fin d’année, selon l’Insee.
Qu'est-ce qui pourrait enclencher une crise?
Si les chiffres ne s’améliorent pas, le risque est celui d’une perte de confiance à la grecque: la dette de la France étant cotée sur les marchés, les investisseurs pourraient s’inquiéter, et la vendre en masse, voire parier agressivement sur sa baisse, pour les plus spéculateurs.
Dans un tel cas, les taux d’intérêt que le marché est prêt à payer sur la dette française grimperaient en flèche, ce qui enclencherait la spirale de l’insolvabilité. Pour l’heure, toutefois, les marchés sont relativement calmes. Mais dès à présent, la France doit entreprendre des réformes drastiques. Le Premier ministre François Bayrou a proposé le 15 juillet un paquet de mesures destinées à économiser 49 milliards d'euros. Il comprend le gel des dépenses publiques en 2026 (hors Défense et charge de la dette), la lutte renforcée contre la fraude et les niches fiscales, une contribution des plus hauts revenus, et la suppression de 2 jours fériés (Pâques, 8 mai).
Le plan d'économies de Bayrou suffira-t-il?
Le plan du Premier ministre se refuse à taxer davantage les plus hauts revenus. Une situation qu’avait déjà dénoncée la gauche en avril dernier. «Il faut taxer les riches: les 0,001% les plus riches paient 2% d’impôt, pendant que les classes moyennes triment», avait déclaré le député Aurélien Le Coq (LFI) à l’Assemblée nationale. Sa collègue Aurélie Trouvé (LFI) avait dénoncé les «60 milliards d'euros de cadeaux fiscaux en huit ans» offerts par Emmanuel Macron.
En 2018, Emmanuel Macron a supprimé l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour le remplacer par un impôt centré uniquement sur le patrimoine immobilier (IFI). Cette réforme a réduit la base fiscale des plus riches, privant l’Etat de 4,5 milliards de recettes annuelles. Des données de France Stratégie et de l’Insee montrent une réduction marquée de la progressivité fiscale, avec un effet particulièrement avantageux sur les ultra-riches (dividendes, épargne).
Un problème de recettes encore plus que de dépenses
En 2018, le président a en outre mis en place une flat tax à 30%, qui a bénéficié principalement aux contribuables les plus aisés. Résultat: ils ont vu leurs impôts sur dividendes et plus-values fondre, tandis que les dividendes distribués ont explosé entre 2017 et 2018, concentrés parmi les 0,1% des foyers les plus riches.
A quoi se sont ajoutées la réduction de l’impôt sur les sociétés (de 33,3 % à 25%) et la suppression progressive de la taxe d’habitation. Au total, ces mesures ont coûté plusieurs dizaines de milliards par an, avec un avantage net pour les foyers aisés et les entreprises.
Pour la droite, cependant, ce serait plutôt à l'augmentation de 1,7 million d'agents de l'Etat depuis 1980 qu'il faudrait s'attaquer en priorité pour trouver des économies. La directrice de l'iFrap, think tank ultra-libéral, publie régulièrement des études qui démontrent les dépenses excessives de l'Etat français sur les aides sociales. Et en effet, la France affiche le ratio de dépenses publiques le plus élevé par rapport aux principaux pays de la zone euro.
Ratio de dépenses publiques par rapport au PIB
dans les principaux pays de la zone euro
Que signifie une «mise sous tutelle»?
En novembre prochain, Bruxelles rendra son verdict au sujet du plan proposé par la France. S’il est jugé insuffisant, des mesures plus strictes s’imposeront dès juin 2026. Et la perspective d’une «mise sous tutelle» se rapprochera. Cela signifie une prise en mains par des institutions supranationales comme le FMI, la BCE et la Commission européenne. La France passerait d’une souveraineté budgétaire à une cogestion sous contrainte.
Un contrôle plus strict est déjà en place. Depuis un an, la France est placée en «procédure pour déficit excessif» par la Commission européenne, avec sept autres pays, dont l’Italie, la Belgique et la Pologne. Cela signifie que Bruxelles a resserré sa surveillance et exerce un droit de regard sur le budget français, qui doit justifier chaque dépense.
Quelles seraient les étapes de la tutelle?
Si la France ne parvient pas à rassurer les marchés, la BCE pourrait intervenir. Elle procéderait à des rachats massifs d’obligations d’Etat françaises, pour soutenir le prix de ces emprunts, et garder les taux d’intérêt du marché à des niveaux raisonnables. En échange, la BCE exigerait de Matignon un programme d’austérité des plus stricts.
Le niveau suivant prendrait la forme d’une tutelle européenne formelle, avec un plan d’ajustement structurel décidé à Bruxelles. Les commissaires auraient le pouvoir de refuser ou de modifier le budget français, comme ce fut le cas pour la Grèce.
Enfin, le dernier niveau serait une intervention du FMI. Si la BCE échoue à calmer les marchés, le Fonds Monétaire International pourrait prêter quelques milliards à la France, en échange de réformes structurelles drastiques, qui pourraient passer par des hausses massives d’impôts, des coupes dans les retraites et dans l’aide sociale, et des privatisations forcées. Historiquement, le FMI a prêté de l’argent non pas à des pays riches, mais à des pays en développement, comme l’Argentine, le Mexique, l’Ouganda ou la Tanzanie, qui ont déjà subi les cures d’austérité drastiques du FMI.
Qu’en disent les experts économiques?
«Une situation de tutelle serait un camouflet majeur et un choc pour la France», estime John Plassard, associé chez Cité Gestion à Genève et responsable de la stratégie d’investissement. «Nous n’en sommes pas encore là», rassure-t-il. Toutefois, il estime que François Bayrou n’est pas allé assez loin dans ses propositions. «Il ne s’attaque toujours pas à la taxation des très hauts revenus. Ce sont donc des demi-mesures qui ne suffiront pas.» Selon l’analyste genevois, le but aurait dû être de corriger les excès d’Emmanuel Macron en demandant plus de contribution des hauts revenus. «Afin que ces impôts soient votés à l’Assemblée nationale, il devra faire moult concessions à la droite comme à la gauche.»
En attendant, le FMI surveille la situation, mais «les prochaines révisions de la note de la dette française par les agences de notation pourraient avoir des effets un peu plus importants si la note de la France passait en dessous de AA». La France a perdu son triple A (notation maximale de qualité de crédit) depuis 2012.
«Nous ne sommes pas dans une situation à la grecque, puisque la troïka n’est pas encore à Paris», répond Hervé Prettre, responsable de la recherche en investissement à la banque Edmond de Rothschild. Imaginer une intervention de la BCE et FMI est un «scénario catastrophe, auquel nous ne croyons pas».
Le chef analyste explique que, contrairement à la Grèce, qui avait très peu d’actifs, la France dispose d'un secteur de la défense fort, qui peut collaborer avec la défense européenne, et d'au moins 400 milliards d’actifs dans des sociétés qu’elle pourrait vendre, dans le cadre de privatisations.
Les marchés n'y croient pas à long terme
Du côté des investisseurs, «on observe une certaine défiance, note Hervé Prettre, non pas sur le court terme, mais très nettement sur le long terme». L'écart de crédit entre les obligations françaises et allemandes présente habituellement 46 points de base (pb) de prime sur le 10 ans français par rapport au Bund. A l'heure actuelle, l'écart oscille entre 70 et 80 pb, témoin d'une «situation de crainte». Celle-ci devient plus prononcée à un horizon de 30 ans. «Le taux de l'obligation souveraine à 30 ans se situe à 4,22%, qui est un plus haut depuis 2012, souligne Hervé Prettre. Cela contraste avec la confiance témoignée par le marché à court terme: sur le taux à 2 ans, on est à 210 pb plus bas par rapport au 30 ans.»
En d'autres termes, les investisseurs anticipent que le gouvernement pourrait réussir à faire passer son budget à coups de rabot, estime l'expert du Groupe Edmond de Rothschild, et réaliser des économies à la marge. «Trouver 40 milliards, le consensus estime que le gouvernement va y arriver. En revanche, trouver 100 milliards d’ici à 2029, cela est bien plus difficile car cela implique de remettre en cause l’organisation de l’Etat français.»