Les pays scandinaves sont en état d’alerte. Depuis plusieurs jours, des drones franchissent leurs espaces aériens, parfois au-dessus d’aéroports stratégiques. Le Danemark est particulièrement touché: plusieurs survols répétés et inexpliqués y ont été signalés depuis le 22 septembre. Son ministre de la Défense, Troels Lund Poulsen, évoque sans détours une «attaque hybride» orchestrée par un «acteur professionnel». Dimanche encore, l’armée a observé des engins sur plusieurs sites sensibles.
Rapidement, les soupçons se sont tournés vers Moscou. «Il y a un pays qui représente une menace pour la sécurité de l'Europe, et c'est la Russie», a déclaré jeudi la Première ministre danoise, Mette Frederiksen. Le Kremlin a balayé les accusations, parlant de rumeurs «infondées». Mais la pression monte: ce lundi 29 septembre, son homologue suédois Ulf Kristersson a, lui aussi, pointé Moscou, estimant que la Russie est probablement derrière les survols de drones au Danemark.
Le climat tendu ne laisse aucune place au hasard: les 1er et 2 octobre, le Danemark accueillera une réunion informelle des chefs d’Etat de l’Union européenne ainsi que la septième rencontre de la Communauté politique européenne (CPE), en présence notamment de la présidente suisse Karin Keller-Sutter. Parmi les thèmes au programme, la sécurité des infrastructures critiques et l’avenir de la défense européenne. Reste une question clé: pourquoi la Russie viserait-elle le Danemark, situé à plus de 1000 kilomètres de ses frontières? Trois pistes d’explication émergent.
Un passif explosif avec Moscou
Les tensions russo-danoises ne datent pas d’hier. Comme le rappelle Keir Giles, expert de l'armée russe à «The Independant»: «Ce qu’une grande partie des médias étrangers a négligé, c’est l’historique des menaces et des coups de semonce adressés par la Russie à Copenhague.» Le Kremlin multiplie depuis des années les menaces, y compris nucléaires, contre le Danemark.
Et la décision mercredi 17 septembre de Copenhague d’acquérir, pour la première fois, «des armes de précision à longue portée» n’a rien arrangé. L’ambassadeur russe a dénoncé une «pure folie», agitant à nouveau le spectre nucléaire.
Pour Moscou, le signal est clair: le Danemark se prépare désormais à une confrontation directe. Un discours qui vise autant à intimider qu’à tester la détermination danoise. Mais Copenhague s’est imposée comme l’un des Etats européens les plus fermes face à l’agression russe, poussant même l’OTAN à renforcer son soutien militaire.
Une population trop pro-Ukraine
La deuxième piste est intérieure. Les Danois figurent parmi les Européens les plus favorables au soutien de l’Ukraine. Aucun pays ne dépense plus par habitant et en pourcentage du produit intérieur brut pour l'Ukraine que le Danemark, rapporte la «Neue Zürcher Zeitung». Depuis le début de la guerre, le soutien de Copenhague à l'Ukraine s'élève à environ 9 milliards d'euros d'aide militaire et à environ 927 millions d'euros à l'aide civile. Moscou pourrait alors chercher à briser cet élan en semant peur, incertitude et division.
«Le choix des pays visés n’est pas aléatoire: ce sont tous des soutiens fervents de l’Ukraine», souligne Katja Bego, chercheuse à Chatham House, un prestigieux think tank londonien spécialisé dans les relations internationales. Et derrière les drones, une stratégie d’usure: forcer les pays à dépenser des fortunes pour abattre des engins bon marché, et, à terme, affaiblir leur enthousiasme pour Kiev.
Tester l'OTAN et banaliser l'escalade
Troisième explication: sonder les défenses occidentales bien-sûr. Pour Keir Giles, «personne ne doute que les ambitions russes dépassent l’Ukraine. La Russie veut savoir si elle se heurtera à une opposition réelle».
Mais même s'il n'est pas encore confirmé que la Russie se cache derrière ces attaques de drones, Moscou en tire déjà des leçons. Comme le souligne l'expert, la réponse des pays visés a été «très limitée». Le risque est de voir ces incursions «normalisées», intégrées comme un bruit de fond. Katja Bego abonde dans le sens d'une banalisation dangereuse: aujourd’hui des drones, demain peut-être une escalade bien plus sérieuse.