Vouloir s'attaquer à une ambassade israélienne à 14 ans, à des bars à 16 ans... En France, la jeunesse de certains suspects, prêts à commettre des actions terroristes, sidère. Un phénomène récent pour lequel les enquêteurs ne distinguent pas de «profil type», hormis l'addiction aux vidéos violentes.
«Il y a quelques années encore, les mineurs mis en examen en matière terroriste se comptaient sur les doigts d'une main alors que nous en avons eu 15 en 2023, 18 en 2024, et déjà 11 au 1er juillet», indique à l'AFP le parquet national antiterroriste (Pnat). Avocats et magistrats s'accordent sur quelques caractéristiques: des garçons, pas délinquants avant de se radicaliser — dans une mouvance principalement jihadiste — et qui, pour beaucoup, dévoilent une grande timidité ou pâtissent d'un cadre parental fragile.
Toutefois, «nous manquons de recul pour catégoriser avec précision le profil type» de ces adolescents, «âgés de 13 à 18 ans, originaires de toute la France», reconnaît le Pnat. Celui-ci a créé en mai une section mineurs au sein de sa division terrorisme «afin notamment de redimensionner les capacités d'analyse».
Un «constante» commune à tous
Se dégage tout de même «une constante»: «grands utilisateurs des réseaux sociaux, la plupart sont amateurs de contenus ultra violents, guerriers ou pornographiques». Les réseaux leur prodiguent un flux de vidéos «insoutenables, pas forcément liées au terrorisme», comme des images de cartels, explique à l'AFP une source judiciaire. «Ils pensent affirmer leur identité d'homme en les regardant.»
«On n'est ni un enfant, ni un adulte, quand on est adolescent. Cette double identité négative devient insupportable pour certains et débouche sur la violence pour être reconnus comme adultes, même si c'est un adulte négatif», abonde le sociologue Farhad Khosrokhavar.
Face à l'«injustice», la quête de sens
«En moins de trois heures sur Tiktok, vous pouvez être dans une bulle algorithmique consacrée à l'État islamique» avec des «chants de guerre, des décapitations, des reconstitutions d'actions passées glorieuses par intelligence artificielle, des simulations d'actions à venir», explique la chercheuse Laurène Renaut, qui travaille sur les jihadosphères virtuelles.
Ces jeunes sont aussi abreuvés de contenu «mélancolique», creusant «le sentiment de solitude, avec des paysages ravagés, censés refléter l'âme». Ces vidéos leur proposent «de parler à 'un frère' s'ils se sentent exclus» Tiktok a pourtant assuré à l'AFP se mobiliser pour «détecter les tendances extrémistes émergentes et supprimer 99% des contenus» terroristes «avant même qu'ils ne nous soient signalés».
Pour Nassire (prénom modifié), jugé pour avoir envisagé, à 16 ans, d'attaquer des bars identitaires à Lille ou Lyon, «tout a commencé» avec «la vidéo de Brenton Tarrant», auteur des attentats antimusulmans à Christchurch (Nouvelle-Zélande) en 2019. «J'avais 13 ans, je jouais à Minecraft, sur Discord. C'est une application où on échange avec d'autres joueurs. Quelqu'un a envoyé la vidéo de Tarrant. (...) Je trouvais ça injuste de voir des hommes, femmes, enfants se faire massacrer», a-t-il expliqué au cours de l'enquête.
Trouver sa place
«A partir de là, j'ai regardé les vidéos des imams qui disaient de rester calmes et celles de terroristes d'extrême droite ; je trouvais ça injuste. Puis j'ai vu celles des jihadistes, qui disaient d'aider les frères». Dans sa bouche, le mot «injustice» revient comme un mantra. «Je me disais qu'en défendant cette cause, ça allait donner un sens à ma vie.»
En juillet 2024, la cour d'appel l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis probatoire, notant «la gravité» des actes préparatoires (notamment sa rencontre avec un homme — en réalité agent infiltré — pour se renseigner sur des armes). Mais la justice a aussi souligné «l'absence d'élément témoignant d'une radicalisation idéologique ancrée».
Elle a plutôt décelé une «quête identitaire et affective» chez ce jeune qui cherchait «à trouver sa place au sein d'un cadre établi et valorisant» auprès d'internautes, «alors qu'il avait souffert d'importantes carences affectives» (parents en conflit, quartier «ultraviolent»). «C'est un garçon essentiellement seul, triste et gentil, dont la seule occupation hors ordinateur était de faire des tours en trottinette», abonde auprès de l'AFP son avocat Jean-Baptiste Riolacci.
Quelle sanctions pour les mineurs?
«La grande particularité de l'association de malfaiteurs terroriste est qu'on intervient assez tôt pour interpeller, mais on module sur la répression», relève une source judiciaire, c'est-à-dire quand il faut décider du placement en détention provisoire, dans un centre, ou sous contrôle judiciaire, puis au moment du prononcé des peines. Ce n'est pas l'avis de Me Pierre-Henri Baert, qui a défendu un jeune jugé en mai.
Son client a écopé de trois ans d'emprisonnement pour avoir, à 16 ans, publié de la propagande de l'Etat islamique appelant à des crimes contre les juifs. «Il s'agit d'une peine très sévère au regard de la grande jeunesse du prévenu, sans casier, auquel on reproche finalement de simples propos en ligne, mais aucun acte matériel», a estimé le conseil.
«Quand la justice poursuit pour association de malfaiteurs terroriste, elle fait de la divination», tacle une autre avocate ayant eu des dossiers similaires, alors que «l'étiquette terroriste est extrêmement stigmatisante». «Il n'y a pas de distinction entre un gamin qui a envoyé des messages virulents et un suspect qui a acheté des armes.»
«Poursuites disproportionnées» ou «chance»
Si les adolescents sont souvent détectés par leur comportement sur les réseaux sociaux, ils sont poursuivis du fait d'actes plus concrets, comme «le passage à une messagerie cryptée, la communication de recettes pour fabriquer des explosifs, la recherche de financement», assure pourtant une source judiciaire. En septembre, trois adolescents seront jugés à Paris, accusés d'avoir planifié, à l'âge de 14 et 15 ans, de faire exploser un camion contre le bâtiment de l'ambassade israélienne en Belgique.
Déjà repérés au collège pour leurs «propos radicaux», selon le Pnat, deux d'entre eux ont été surpris, dans un parc, en possession de «bouteilles d'acide chlorhydrique» renfermant du «papier d'aluminium», utiles à la composition d'engins explosifs. Leurs téléphones révèlent un fort goût pour les jeux vidéo de massacres.
Un «sevrage des réseaux»
«Mon client a pu avoir des comportements d'une personne radicalisée, en consultant des sites jihadistes, ce qui est interdit, mais il est très loin d'avoir projeté un attentat», a affirmé à l'AFP Jennifer Cambla, avocate de l'un d'entre eux, s'indignant de poursuites disproportionnées. Mais pour une autre robe noire, parlant sous couvert d'anonymat, l'arrestation des adolescents pris dans un «jihadisme fantasmé» représente «presque une chance, au prix d'un choc monstrueux».
«Ce sont des interpellations dures, avec des services spécialisés, cagoule et sac sur la tête... Mais le suivi judiciaire est fascinant en terrorisme: en tant que mineurs, ils bénéficient de modèles d'accompagnement, voient des psys. Coupés des réseaux, ils refont du sport.» Un «sevrage» auprès de la Protection judiciaire de la jeunesse qui mérite d'être scruté, prévient une autre source judiciaire: il «donne l'impression d'une déradicalisation rapide, mais on ne sait pas si ces jeunes pourraient se radicaliser de nouveau».