Sur ses profils Tinder et Badoo, ses deux sites de prédilection, Ihor Fesik se présente sous son meilleur profil... Sur un des clichés, il arbore fièrement un écusson au slogan plutôt évocateur: «Donneur d’orgasmes.»
Interrogé par «Le Monde», ce jeune soldat ukrainien, ancienne voix-off pour la publicité, a rejoint l’armée en tant que volontaire. Il raconte que les sites de rencontre ont dès lors rythmé son quotidien: «J’avais besoin de parler avec des femmes – il n’y en a aucune dans mon unité. C’est une façon de me distraire. Et je me sens moins seul.»
Mais les applications de rencontre se révèlent parfois dangereuses pour les militaires: «On sait que la Russie utilise tous les moyens, y compris ces applications, pour recueillir des données, explique Natalya Humenyuk, porte-parole du commandement militaire du sud du pays. On fait très attention à ce problème et on communique constamment là-dessus dans les brigades.»
Un fossé sépare les militaires des femmes à qui ils parlent
L’Ukraine est d’autant plus prudente qu’elle a recours à la même méthode, selon les confidences d’un responsable militaire: «Nos gars utilisent ces applications pour écrire aux militaires russes et trouver leur localisation», affirme un soldat ukrainien qui souhaite rester anonyme. «Mais on sait que, de l’autre côté, ils ne sont pas bêtes et que leurs commandants leur disent de faire attention.»
Pour limiter les risques, les soldats doivent notamment signer un document stipulant que l’usage des applications de rencontre et des réseaux sociaux est à éviter. Un bureau lié au Service de sécurité d’Ukraine (SBU) est quant à lui chargé de vérifier qui appelle sur les téléphones, d’où et à qui sont adressés les messages.
De l'autre côté de l'application, les interlocutrices font elles aussi attention à ne pas commettre d’impair: «Je m’interdis de demander certaines choses pour qu'ils ne se sentent pas mal à l’aise, ou qu’ils aient l’impression que je cherche à leur soutirer des informations», témoigne Victoria Dubkovska, qui regrette d'avoir un jour demandé à un jeune soldat comment s’était passée sa journée: «Je me suis dit: mais qu’est-ce je suis en train de lui demander, alors qu'il combattait dans des endroits chauds!»
Les échanges, souvent maladroits, en disent long sur le fossé qui sépare le quotidien des militaires de celui des civils: «Avec le temps, j’ai compris que c’était mieux de demander 'Comment tu te sens?', d’éviter les sujets liés à l’armée et de parler davantage de ma propre routine. C’est une façon de les distraire, leur réalité est si dure», détaille Victoria.
Nouer une relation avec un militaire est complexe. Surtout quand les soldats restent au front pendant de longs mois, ou pire, quand ils ne sont pas tués ou blessés.