Enfants empoisonnés, lésions cérébrales
Le scandale du plomb étouffé par les géants de l'auto éclate au grand jour

Ils avaient pourtant été prévenus: le recyclage des batteries de voiture tue encore. Mais l'industrie automobile a fait la sourde oreille. Vingt ans plus tard, une enquête révèle que des marques ont tenté d'étouffer l'affaire dévoilant les effets toxiques liés au plomb.
Le plomb est un métal essentiel aux batteries de voitures. Mais son recyclage est extrêmement dangereux (image d'illustration).
Photo: keystone-sda.ch
Léa Perrin
Léa PerrinJournaliste Blick

Ils le savaient depuis des années. Ils ont été prévenus à de multiples reprises, preuves à l’appui, que le plomb provenant du recyclage des batteries de voitures empoisonne des communautés entières. Mais les grands constructeurs automobiles n’ont rien voulu entendre. Pire encore, ils ont tenté d’étouffer l’affaire et d’enterrer les efforts qui auraient pu être menés pour assainir le secteur, révèle une enquête du «New York Times» parue mardi 25 novembre.

Ford, Mitsubishi, Honda… tous sont au courant, depuis plus de vingt ans, que le recyclage du plomb dans les batteries de voitures est extrêmement toxique et provoque de graves dommages dans les zones habitées, notamment en Afrique et en Asie. C’est en 2005 qu’un premier lanceur d’alerte prévient les industriels. L’avocat australien Phillip Toyne avertit Ford Motor Company que l’augmentation du recyclage du plomb expose des populations entières à des fumées toxiques aux conséquences graves pour la santé.

Sabotages et annulations

Pour répondre à cet avertissement, Ford, qui a alors encore à sa tête Bill Ford, défenseur du développement durable, lance un programme de certification nommé «Green Lead», qui aurait permis d’identifier et certifier les usines propres. Mais l’année suivante, la marque connaît sa plus grosse chute économique et enregistre des pertes historiques. Le projet tombe à l’eau.

En 2007, les dirigeants de la marque de motos Hero Honda (co-détenu par Honda), en Inde, reconnaissent que l’augmentation du recyclage dû à la hausse de la demande entraînera à terme des «problèmes de santé chez des personnes innocentes, notamment des enfants». L’entreprise lance alors un programme pilote en Inde qui permettrait d’acheter des batteries uniquement auprès de fabricants certifiés pour la réduction de leurs émissions de plomb et ayant subi des audits externes. Les défenseurs de ce projet font alors pression sur les constructeurs automobiles du monde entier… et se prennent un mur. Tous font l’autruche et certaines marques comme Mitsubishi refusent de prendre part à un tel programme d’assainissement.

En parallèle, l’industrie automobile mène des contre-offensives souterraines pour empêcher la création de standards internationaux. En 2012, le premier fabricant mondial de batteries automobiles, Johnson Controls, mobilise une cinquantaine de représentants pour saboter un vote visant à instaurer des normes sur le recyclage du plomb. Le comité ne verra jamais le jour.

Des enfants gravement contaminés

Pendant ce temps au Nigeria, au Ghana ou encore au Mexique, les fonderies peu réglementées continuent de tourner à plein régime… tout en rejetant des fumées ultra-toxiques sur les habitants. Au Nigeria, des tests sanguins ont révélé que les niveaux de plomb chez les enfants vivant près de ces usines étaient trois à cinq fois plus élevés que la limite de l’intoxication. A ce stade, cette présence toxique est susceptible d’entraîner des lésions cérébrales permanentes.

Même à faible dose, l’exposition au plomb peut provoquer de graves lésions neurologiques, augmenter le risque de maladies cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux. Chaque année, le saturnisme tue plus de 1,5 million de personnes dans le monde, principalement dans les pays en développement. Dans une communauté nigériane proche de Lagos, une mère qui empêche son garçon d’aller jouer dehors assure: «Il arrive que mon fils tousse des particules noires.»

Un matériau fantôme

Malgré cette réalité, les constructeurs automobiles qui mettent en avant leurs efforts pour assainir l’or ou le coltan, continuent systématiquement d’exclure le plomb – essentiel aux batteries – de leurs politiques environnementales. Hyundai et Ford ne mentionnent nulle part le plomb dans leur rapport de durabilité ou dans leurs projets de surveillance des minerais. Seules quelques marques comme Volvo assurent le faire, sans détailler toutefois les risques identifiés.

A la suite des révélations du «New York Times», la majorité des marques automobiles concernées ont refusé de commenter les conclusions de l’enquête, affirmant qu’ils font confiance à leurs fournisseurs pour «respecter la loi et les codes de conduite des entreprises». Quelques entreprises, comme Volkswagen et BMW, ont promis de lancer des enquêtes internes.

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