Trump en guerre avec les juges
A quoi ressemble la justice américaine? A un champ de bataille...

C'est un champ de bataille qui sème la peur dans Washington, cette capitale où la Cour suprême incarne le poids de la justice. En cent jours de pouvoir, Donald Trump a confirmé sa volonté d'éliminer tous les juges et avocats qui se mettent en travers de sa route.
Publié: 03.05.2025 à 06:02 heures
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Tous les jours devant la Cour Suprême à Washington, les manifestants défilent pour la défense de l'Etat de droit.
Photo: IMAGO/ITAR-TASS/ Sipa USA
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Richard WerlyJournaliste Blick

Connaissez-vous Edwin Kneedler? Sans doute pas, et cela est bien normal. Depuis plus de trente ans, cet avocat représentait le Département de la Justice dans les procès intentés à l’administration devant la Cour suprême des Etats-Unis. Une fonction essentielle, à la fois obscure et décisive.

Ce sont ces avocats, plongés en permanence dans la Constitution et les textes de lois, qui permettent ou non à l’Etat fédéral de défendre sa cause devant la plus haute juridiction américaine. Chacune de leur victoire ou de leur défaite impacte le quotidien de millions de citoyens.

Edwin Kneedler n’a pas été limogé par l’administration Trump, comme une dizaine de ses collègues du Département de la Justice. Il n’a pas non plus démissionné. Il a juste pris sa retraite à la fin du mois d’avril, et s’est retrouvé, pour cela, célébré dans les colonnes du «New York Times».

Pourquoi? Parce que tout le monde, sur les bancs de la plus haute Cour des Etats-Unis, l’a longuement applaudi. Et parce que son président, le juge Conservateur John Roberts (nommé en 2005 par George W. Bush), l’a publiquement félicité pour sa carrière, son parcours et son intégrité.

Washington divisée

Edwin Kneedler n’a pas commenté cet assaut de félicitations. Mais à Washington, cette capitale fédérale où les questions de pouvoir dominent toutes les conversations entre la Maison Blanche, le Capitole et la Cour suprême, son exemple est brandi par tous ceux qui, autour de Donald Trump, veulent en finir avec une justice trop rebelle, parce que trop légaliste. 

Samuel Issacharoff est professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de l’université de New York. Il est formel sur ce point, sur le site Democracy Docket: «L’une des choses frappantes à propos de la deuxième administration Trump est que, même par rapport à la première, l’accent n’est pratiquement pas mis sur la législation, quelle qu’elle soit. Son utilisation des décrets présidentiels, tant en termes de quantité que de portée, est la plus spectaculaire que nous ayons connue depuis très longtemps.»

Ces décrets présidentiels ont été mis en scène dès le premier jour par Donald Trump. On se souvient du spectacle du 47e président des Etats-Unis, tout juste investi, signant à tour de bras les premiers d’entre eux dans l’enceinte du Capitol Arena, le stade de basket des «Wizards» de Washington, avant de lancer son stylo dans la foule. Le message? Place au pouvoir exécutif tout-puissant. «Trump rejette l’égalité de statut du Congrès et des tribunaux. Il rejette l’autorité des États. Il ne se considère pas comme un représentant travaillant avec d’autres pour diriger la nation; il se voit comme un patron, dont la volonté doit avoir force de loi. Il considère le peuple américain comme un employé» affirme, dans le «New York Times», l’éditorialiste Jamelle Bouie.

«Juriste citoyen»

L’avocat Edwin Kneedler s’est donc fait le porte-parole discret, lors de son départ, devant la Cour suprême, avant d’être applaudi par les neuf «Justice», le collège des juges nommés à vie et dominé aujourd’hui par les conservateurs. Se qualifiant lui-même de «juriste citoyen», il a fait l’éloge des nombreux fonctionnaires fédéraux avec lesquels il a travaillé, se disant impressionné par leur «compassion et leur compréhension de notre pays, ainsi que par leur dévouement à notre pays».

Puis il a regretté le «torrent de demandes d’urgence» déposé depuis cent jours par l’administration Trump, paralysant de facto système judiciaire. «Lorsque nous n’avons pas d’urgence, comme c’est le cas actuellement, nous avons un processus décisionnel très structuré», a-t-il poursuivi. En clair: l’Etat de droit est, aux Etats-Unis, menacé de déraillement.

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Les sujets de ces requêtes urgentes? Pour l’essentiel des dossiers concernant l’expulsion forcée de migrants vers leurs pays d’origine ou vers le principal pays tiers qui collabore avec l’administration Trump: le Salvador. Un cas est aujourd’hui emblématique: celui du salvadorien Kilmar Abrego Garcia, dont le rapatriement aux Etats-Unis a été ordonné, mais dont la Maison Blanche affirme qu’il est bloqué par le président salvadorien Nayib Bukele.

Attaques personnelles

Un affrontement juridique qui, en coulisses, est en train de dégénérer. Elon Musk a jugé «préoccupante» la fille du juge fédéral James Boasberg, opposé aux rapatriements forcés, parce qu’elle travaille dans une organisation humanitaire. Ce qui a aussitôt déclenché une vague de menaces contre elle. La famille d’un autre juge John McConnell, a fait l’objet de menaces similaires après qu’il eut statué que le président Donald Trump avait outrepassé son autorité en gelant les subventions destinées à l’éducation.

Boasberg et McConnell font partie d’au moins 11 juges fédéraux dont les familles ont reçu des menaces de violence ou de harcèlement après avoir statué contre la nouvelle administration Trump, selon une enquête de l’agence Reuters. Un champ de bataille qui s’explique par les entraves judiciaires que rencontre la Maison Blanche.

Blocages juridiques

En cent jours de présidence, au moins 60 juges ou cours d’appel ont ralenti ou bloqué certaines des initiatives de son administration. Pour les Trumpistes, ces juges dépassent les bornes. «Personne ne prend les menaces à la sécurité plus au sérieux que le président Trump – un dirigeant qui a survécu non pas à une, mais à deux tentatives d’assassinat. La sécurité de chaque Américain est sa priorité absolue, et quiconque met en danger cette sécurité sera poursuivi avec toute la rigueur de la loi», a répliqué sa porte-parole.

Sauf que ce champ de bataille washingtonien n’a rien de nouveau. Donald Trump a toujours collectionné les procès, comme homme d’affaires puis comme personnalité politique. Avant l’élection présidentielle, sa condamnation le 30 mai 2024 pour avoir acheté le silence d’une actrice porno a fait de lui le Premier président «félon» de l’histoire, même s’il a bénéficié d’une relaxe après son élection.

Recours à des avocats privés

Aujourd’hui, tout est néanmoins différent. L’administration Trump veut faire défendre le gouvernement devant la Cour suprême par des avocats privés, mandatés par des firmes juridiques qui ont accepté de collaborer et de travailler gratuitement. Cinq cabinets d’avocats (Kirkland & Ellis LLP; Allen Overy Shearman Sterling; Simpson Thacher & Bartlett; Latham & Watkins) ont signé pour 125 millions de dollars de services juridiques pro-bono afin d’éviter de se retrouver dans le collimateur présidentiel. Résultat: les avocats du Département de la Justice, dont c’est traditionnellement le boulot, quittent leurs fonctions les uns après les autres.

Interrogé, lors de sa cérémonie de départ à la retraite, sur l’engagement de son bureau à «assurer une représentation non partisane des États-Unis, quelle que soit la cause, quelle que soit la direction politique des deux autres branches», l’avocat Edwin Kneedler a averti: «Nous sommes les avocats des États-Unis et c’est l’administration en place qui détermine en dernier ressort quels sont les intérêts des États-Unis. Mais nous faisons tous partie d’un processus qui doit conduire à une union plus parfaite. Ce qui signifie une union qui nous rassemble, et pas qui nous sépare et nous divise.»

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