Une «situation préoccupante»
Des foies suisses compatibles partent à l'étranger alors que des patients meurent

Les hôpitaux suisses renoncent à transplanter des organes de donneurs présumés compatibles, alors que des dizaines de personnes sur liste d'attente finissent par mourir. Les médecins spécialistes s'inquiètent de cette situation qui se dégrade au fil des ans.
Publié: 26.05.2025 à 11:12 heures
|
Dernière mise à jour: 26.05.2025 à 11:17 heures
1/5
Les hôpitaux suisses renoncent à des organes de donneurs présumés valides, alors que des dizaines de personnes meurent sur la liste d'attente.
Photo: Keystone
RMS_Portrait_AUTOR_398.JPG
Daniel Ballmer

L'année dernière, 491 Suisses attendaient une greffe de foie, mais seuls 133 ont été transplantés. Dans le même temps, 36 personnes sont décédées alors qu'elles étaient sur liste d'attente. Or, ce problème ne viendrait pas seulement d'un manque d'organes, comme en témoigne la disponibilité de nombreux foies. 

Des recherches de la «NZZ» révèlent en effet que dans les hôpitaux suisses, tous les organes provenant de donneurs compatibles ne sont pas utilisés. Au cours des deux dernières années, 20 foies suisses ont par ailleurs été exportés à l'étranger alors que des receveurs suisses compatibles étaient sur liste d'attente. Il s'agit d'organes que les médecins suisses ont refusés, parfois sans même procéder à une expertise. Les médecins des pays voisins ont eux jugé les foies fonctionnels et les ont transplantés.

«Nous avons effectivement un problème», déclare Franz Immer, directeur de la fondation Swisstransplant. «Le taux d'utilisation des organes a baissé de manière significative au cours des deux dernières années. Il y a quelques années encore, la Suisse était en tête du taux d'utilisation dans toute l'Europe avec l'Italie, mais aujourd'hui, nous sommes en dessous de la moyenne», explique celui qui coordonne le don et la transplantation d'organes pour le compte de la Confédération. 

Les centres suisses sur la retenue

«Depuis quelque temps, les centres suisses agissent avec plus de retenue pour les foies dont le donneur ne semble pas optimal», explique Franz Immer. Cela concerne surtout les foies prélevés après un arrêt cardio-respiratoire plutôt qu'après une mort cérébrale. Une technique de prélèvement déficiente aurait donné lieu à de mauvais résultats, qui auraient rendu les centres plus réticents, estime Franz Immer.

Pour ce qui est des foies prélevés après la mort cérébrale, les taux d'utilisation ont également chuté, ajoute-t-il. La raison reste floue. Il se peut que des organes valides passent tout simplement à travers les mailles du filet. 

«Il y a encore deux ans, les centres de transplantation étaient plutôt disposés à envoyer une équipe et à évaluer sur place des foies provenant de donneurs non optimaux ou à les évaluer via une machine dans le centre, avec le risque de ne pas pouvoir les utiliser au final. Aujourd'hui, cette volonté a diminué, poursuit Franz Immer. Il peut donc arriver dans certains cas que des foies aptes ne soient finalement pas utilisés.»

La situation inquiète en Suisse

La pression du temps et des coûts serait également en partie responsable de cette situation. Le prélèvement et l'évaluation d'organes nécessitent beaucoup de ressources et ne sont entièrement remboursés par la caisse maladie que si l'organe est transplanté sur le patient.

«
Tant que des citoyens meurent sur la liste d'attente, aucun organe ne devrait être envoyé à l'étranger.
Peter Lodge, président de l'European Surgical Association
»

A l'étranger aussi, la situation en Suisse est vue d'un œil critique. «Ce qui se passe en Suisse est très préoccupant. Il est extrêmement inhabituel dans le monde qu'un pays exporte des organes à l'étranger alors qu'il a lui-même une longue liste d'attente», a déclaré Peter Lodge, président de l'European Surgical Association. «Tant que des citoyens meurent sur la liste d'attente, aucun organe ne devrait être envoyé à l'étranger.»

Selon Franz Immer, la liste d'attente est si longue qu'il y aurait toujours un receveur suisse approprié pour chacun des organes. Or, dans le cas de donneurs âgés, il arrive que tous les centres suisses refusent d'évaluer un foie donné sur place, mais que des médecins italiens se rendent en Suisse, contrôlent le foie et le transplantent à un patient italien.

Attendre sur le progrès médical

L'hôpital universitaire de Zurich répond que l'accent est toujours mis sur le résultat optimal pour le patient dans le besoin d'une greffe. Ainsi, on renonce à la transplantation d'un organe lorsque les chances de réussite sont trop faibles. La qualité des foies aurait d'ailleurs changé, notamment en raison de l'âge croissant des donneurs.

L'Hôpital de l'Île de Berne n'a pas pris position alors que l'hôpital universitaire de Genève explique que l'approche genevoise donne d'excellents résultats, mais que «l'acceptation sans discernement» des foies entraîne aussi des risques considérables. Les organes exportés à l'étranger présenteraient des «résultats variables». L'introduction d'une nouvelle technique de prélèvement, qui n'est pour l'instant utilisée qu'à Genève, semble toutefois prometteuse.

Il est difficile de savoir si la retenue des transplantations a effectivement entraîné davantage de décès de personnes sur la liste d'attente. Il n'est pas non plus clair si le fait de renoncer à certains organes permet d'obtenir de meilleurs résultats lors des transplantations. Aucune donnée n'est disponible à ce sujet. Dans le milieu, on espère cependant que le progrès médical permettra d'introduire la nouvelle technique de prélèvement dans toute la Suisse afin d'augmenter le taux d'utilisation des organes. 

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la