Chaque année, la Suisse s'enfonce de plus en plus dans une crise du logement, au point que cela devient même un sujet brûlant sur les réseaux sociaux. Sur Tiktok, une jeune Américaine documente sa recherche d'appartement à Zurich.
Cette influenceuse prévoit de déménager dans deux mois dans la plus grande ville suisse. Arrivant de Boston avec son copain, sa liste de critères est longue – voire «assez absurde», comme elle le dit elle-même.
Des critères exigeants
L'appartement de ses rêves doit avoir trois ou quatre pièces, avoir deux balcons orientés dans des directions différentes et être à seulement quelques pas du lac ou de la rivière. Mais ce n'est pas tout.
L'influenceuse veut également un dressing, un lave-linge et un sèche-linge dans son appartement, comme c'est la norme aux Etats-Unis. Autre élément indispensable: l'ascenseur, car elle n'a pas l'habitude de monter des escaliers.
Critiques et moqueries
Dès le lendemain, la vidéo d'une visite d'appartement est publiée sur son compte Tiktok. Le bien remplit de nombreuses conditions: il a quatre pièces, un ascenseur et est situé près du lac. Tout ça pour la modique somme de 6700 francs. Il n'en fallait pas tant pour déclencher une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux. Si certains lui souhaitent du bonheur, ce sont les moqueries et les critiques qui semblent prendre le dessus. «Ma belle, pourquoi déménager dans un autre pays si tu veux vivre de la même manière qu'aux Etats-Unis?», écrit un utilisateur.
La vidéo se retrouve même sur Reddit accompagnée de la légende satirique: «Au cas où tu te demanderais qui va reprendre ton appartement après ton expulsion pour 'travaux de rénovation nécessaires'.» Là, les réactions sont encore plus virulentes: «Encore une expatriée gâtée», «typiquement américain» ou «et après, ils se demandent pourquoi les Suisses ne veulent pas être amis avec eux.»
Mais ces critiques sont-elles justifiées? Et dans quelle mesure les expatriés contribuent-ils réellement à la crise du logement?
Les expatriés polarisent à gauche et à droite
Une chose est sûre: la Suisse est appréciée des expatriés. Selon les estimations, entre 30'000 et 50'000 d'entre eux s'installent chaque année dans le pays. Beaucoup d'entre eux cherchent à s'installer à Zurich, considérée comme l'une des meilleures villes du monde. La proportion d'anglophones dans la ville de la Limmat est passée de moins de 2% à 14% au cours des 20 dernières années.
Les expatriés polarisent des deux côtés de l'échiquier politique. Dans son initiative populaire «Pas de Suisse à 10 millions! (Initiative pour la durabilité)», l'Union démocratique du centre (UDC) attribue la pénurie croissante de logements et la hausse des loyers à l'immigration.
Privilégier les résidents locaux
Au conseil municipal de Zurich, l'UDC a récemment demandé que la priorité soit donnée aux indigènes lors de l'attribution de logements municipaux. Le postulat correspondant a été adopté avec le soutien du PS. En 2022 déjà, le PS lui-même avait demandé une réduction des contributions à la promotion économique de la Greater Zurich Area, expliquant que les expatriés aisés évinçaient les Zurichois d'un marché du logement déjà tendu.
On observe des évolutions similaires dans le canton de Zoug, où la hausse des loyers expulse de plus en plus de résidents locaux. Sous le slogan «Zug First», la ville de Zoug veut à l'avenir privilégier les indigènes lors de l'attribution de logements. Au niveau cantonal, deux politiciens PLR demandent en outre l'introduction de ce que l'on appelle les «appartements zougois», c'est-à-dire des logements qui ne peuvent être achetés ou loués que par des personnes vivant depuis au moins dix ans dans le canton.
Le modèle économique favorise l'immigration
Christian Schmid est chercheur en urbanisme et professeur de sociologie au département d'architecture de l'EPFZ depuis 2009. Pour lui, une chose est claire: «La pénurie de logements à Zurich est chronique et ce depuis bientôt un demi-siècle.»
Certes, des études montrent que l'immigration a une influence sur les prix des loyers en Suisse. Mais réduire les causes de l'augmentation des loyers à l'immigration est insuffisant, car le problème est de nature structurelle.
Selon lui, c'est plutôt le modèle économique de Zurich qui fait grimper les coûts du logement. «Nous avons à Zurich une économie de quartiers généraux, avec des banques, des assurances et des sièges sociaux internationaux. Les employés ont généralement des revenus élevés et peuvent se permettre de payer des loyers élevés», explique Christian Schmid. Autrefois, les spécialistes bien payés étaient recrutés en Suisse. Aujourd'hui, ils viennent justement de plus en plus de l'étranger.
Les logements bon marché se font rares
Le véritable problème n'est pas la pénurie de logements en soi, mais le manque de logements abordables. «Le nombre de logements bon marché diminue», explique Christian Schmid. Beaucoup sont démolis ou complètement rénovés. «De nombreux bâtiments des années 1960 et 1970, de solides constructions, sont remplacés uniquement pour des considérations de rendement et sont ensuite loués plus cher, alors qu'ils seraient encore habitables pendant des décennies.»
René Rey sait de sa propre expérience à quel point le marché du logement est devenu tendu – même pour les expatriés. Le fondateur de l'agence de relocation Sgier+Partner soutient depuis plus de vingt ans les professionnels internationaux lors de leur arrivée en Suisse. En collaboration avec l'entreprise partenaire Packimpex, sa société soutient les expatriés dans des démarches telles que la demande d'emploi ou la recherche d'un logement.
Son constat est ahurissant: «Avant, nous pouvions montrer à nos clients six ou sept appartements en une journée. Aujourd'hui, il y a souvent 40 à 50 personnes qui font la queue pour une seule visite.»
Trouver un logement devient aussi plus difficile pour les expatriés
Selon lui, c'est justement pour les logements moins chers que la situation est particulièrement difficile. Les expatriés doivent aujourd'hui de plus en plus s'occuper eux-mêmes des visites. Son agence tente de les aider dans leurs demandes d'appartement, avec des lettres de motivation par exemple, mais sans connaissances de l'allemand, et face à la concurrence accrue, les candidatures n'ont souvent aucune chance.
Malgré tout, René Rey comprend le mécontentement croissant de la population: «Je peux comprendre le ressentiment. Zurich est l'une des meilleures villes du monde, la qualité de vie y est élevée. Bien sûr qu'il manque de la place.»
Alors que faire? Créer davantage de logements, c'est incontestable! Mais comment, où et pour qui? Ces questions restent sujettes à des controverses politiques.
«Zurich a besoin d'une planification plus audacieuse. Au lieu de se contenter de densifier et de démolir l'ancien, il faudrait créer de nouveaux quartiers. Comme jadis dans les années 1920, lorsque l'on construisait à grande échelle à Wiedikon, et plus tard aussi à Altstetten ou Schwamendingen», explique Christian Schmid, sociologue urbain. «Si l'on ne veut pas d'entreprises tech, de banques, de groupes mondiaux, il faut restructurer l'économie», ajoute Christian Schmid. «Mais tant que Zurich sera en plein boom, la pression ne diminuera pas.»
Pour revenir à l'influenceuse de Boston. On ne sait pas si elle a trouvé l'appartement de ses rêves. Elle a refusé une demande d'interview. Depuis, elle a même supprimé ses deux vidéos de Tiktok.