La crise du logement inquiète toujours plus les Suisses. Un sentiment qui habite également le CEO d'Implenia, Jens Vollmar. Ce dernier reçoit Blick au siège de la plus grande entreprise de construction helvétique, à Opfikon, dans le canton de Zurich. Dans ce bâtiment ultra-moderne, on tente tant bien que mal de dessiner les contours de la Suisse de demain. Mais le parc immobilier peine à se renouveler, tandis que la demande ne cesse de croitre.
Jens Vollmar, en tant qu'entrepreneur, n'êtes-vous pas en partie responsable du manque de constructions en Suisse?
Non, ce n'est certainement pas la faute des entreprises du secteur de la construction. Les capacités de l'industrie du bâtiment sont suffisamment importantes. La forte immigration et l'urbanisation se poursuivent, ce qui entraîne une augmentation de la demande de logements. Plusieurs raisons expliquent ce ralentissement.
Et quelles sont-elles?
Nous avons connu de l'incertitude en raison de l'évolution des taux d'intérêts. Avec des taux d'intérêt en hausse et des coûts de construction plus élevés, de nombreux projets n'étaient plus rentables et n'ont pas été réalisés. De plus, ces taux d'intérêt élevés ont poussé les investisseurs à investir ailleurs que dans l'immobilier.
Les taux d'intérêt ont nettement baissé, mais le boom de la construction n'a pas eu lieu. Pourquoi?
L'ensemble du secteur de la construction a connu récemment une nette reprise. La hausse est toutefois plus faible dans la construction de logements. Il y a tout simplement trop d'obstacles qui empêchent les constructeurs d'investir. Des taux d'intérêt bas ne suffisent pas à déclencher un boom de la construction.
Il n'y a donc pas de solution simple...
C'est comme ça. Nous devons miser sur une multitude de mesures. Par exemple, planifier numériquement de bout en bout et construire ainsi beaucoup plus efficacement. En outre, il faut absolument réduire les nombreuses réglementations. La Suisse s'est longtemps distinguée par la fiabilité de sa planification et par sa stabilité politique. Aujourd'hui, nous avons trop d'incertitudes et de contradictions au niveau des autorités.
Les réglementations n'ont pas tant changé que cela au cours des dix dernières années et la politique veut à nouveau assouplir la norme de protection contre le bruit, devenue plus stricte...
L'assouplissement de la norme de protection contre le bruit aiderait certainement. Mais nous avons toujours différentes autorités qui font des déclarations différentes sur des sujets tels que la protection des sites ou des monuments. Les règles du jeu changent même parfois en cours de projet. Par exemple, une part plus importante de logements à loyer modéré est soudain exigée. Nous en avons fait l'expérience avec des clients dont les projets de construction n'avaient soudainement plus de sens sur le plan économique.
De manière générale, le nombre d'oppositions a massivement augmenté. Faut-il dès lors mettre en place des critères plus stricts?
Le droit de faire opposition à des projets de construction est important. Les plaignants peuvent toutefois retarder les projets de plusieurs années. C'est un gros problème pour les constructeurs. Ils ne peuvent et ne veulent pas laisser leur capital végéter de manière improductive des années durant. Un autre élément discutable est le fait que les opposants puissent invoquer des raisons telles que la protection contre le bruit même quand ils ne sont pas directement concernés. A Zurich, l'inventaire fédéral des sites construits à protéger est également souvent cité comme motif d'opposition. Ces problèmes ont tous été reconnus au niveau politique. En fin de compte, nous avons trop d'oppositions douteuses en Suisse.
Par exemple?
Si l'on veut surélever un bâtiment au centre de Zurich et que cela affecte la vue sur l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), on a déjà là un potentiel motif d'opposition pour des intérêts très individuels. Nous devons revenir à plus de pragmatisme et simplifier la bureaucratie.
Les immeubles de grande hauteur ont un effet limité sur la densification. Faut-il introduire des réglementations dans les zones résidentielles à faible densité afin de permettre la construction de plus hauts immeubles?
Oui, cela permettrait d'atteindre notre objectif. Avec la loi sur l'aménagement du territoire, la population s'est clairement prononcée en faveur d'une plus grande densification urbaine. En Suisse, le potentiel est encore très grand dans les villes et en périphérie. Si l'on pouvait par exemple ajouter un étage à l'ensemble de la ville de Zurich, le gain en espace habitable serait énorme. Chez nous, le stress lié à la densité est d'ailleurs bien plus faible que dans d'autres grandes villes européennes.
Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à trouver que la densité actuelle est suffisante...
Si nous nous accrochons au statu quo et ne faisons rien, nous perdrons inévitablement en prospérité: le capital est mobile, et il sera tout simplement investi dans d'autres pays. De mon point de vue, ne rien faire n'est pas une solution. C'est pourquoi nous avons besoin de conditions-cadres favorables à l'économie. Si quelqu'un prend le risque d'investir beaucoup d'argent, il faut que ça en vaille la peine.
Dans de nombreuses régions, les prix de l'immobilier ont augmenté bien plus vite que les revenus au cours des 25 dernières années. Les jeunes familles ont du mal à devenir propriétaires et les loyers augmentent. Comprenez-vous cette frustration?
Je suis moi-même père de famille et je peux le comprendre. Mais là aussi, il faut faire des compromis. Je suis par exemple prêt à accepter un trajet plus long pour aller travailler. Chaque minute de trajet qui nous éloigne d'une ville fait baisser les frais de logement. Tout le monde ne peut pas habiter dans le centre-ville de Zurich. Dans une économie de marché, le prix est réglé par l'offre et la demande. Et c'est aussi dans les villes que les salaires sont les plus élevés. Les interventions des pouvoirs publics dans ces villes entraînent donc une perte de prospérité. Mais si l'on assouplissait les réglementations, on pourrait créer beaucoup plus de logements et la pression sur les prix serait également plus forte.
Dans les villes de Genève et de Zurich, les logements bon marché disparaissent au profit de constructions neuves et beaucoup plus chères. Les familles doivent-elles simplement se résigner à déménager et annoncer à leurs enfants qu'ils doivent changer d'école?
Il faut des solutions consensuelles. Outre la rentabilité, l'environnement et l'aspect social jouent un rôle central. Je connais de nombreux constructeurs et investisseurs qui seraient prêts à construire nettement plus de logements à prix modérés s'ils obtenaient en contrepartie une meilleure planification et si on leur garantissait des processus plus courts. C'est là qu'Implenia, en tant que développeur de premier plan, peut servir d'intermédiaire et unir les intérêts pour de bons projets, tant sur le plan politique que sur celui de la planification.
Le prix élevé des zones à bâtir est le facteur qui influence le plus le coût des logements. Pour faire face à ce phénomène, les communes de Genève et Lausanne disposent d'un droit de préemption. Dans le canton de Zurich la population va bientôt voter sur l'octroi d'un tel droit à ses communes. Qu'en pensez-vous?
Je ne suis pas opposé en soi à ce que les pouvoirs publics acquièrent un terrain à sa valeur de marché. Ce qui ne serait pas acceptable de mon point de vue, c'est que les autorités fixent elles-mêmes un prix pour de tels achats et éliminent ainsi le marché. Mais je ne crois pas non plus que nous soyons confrontés à une défaillance du marché en ce qui concerne le prix des zones à bâtir.