Vous n’avez pas pu le rater. Le 12 novembre dernier, Mauro Poggia, candidat du Mouvement citoyens genevois (MCG) au Conseil des États, confirmait sa pole position. Le sexagénaire grillait la Verte Lisa Mazzone et accédait à la Chambre haute avec 55’317 voix, près de 10’000 de plus que son nouveau collègue socialiste sortant Carlo Sommaruga.
Beaucoup d’encre a coulé sur son alliance avec l’Union démocratique du centre (UDC), parti qu’il n’aurait pas accepté de rejoindre en 2009, date de son transfert du Centre (à l’époque le Parti démocrate-chrétien) au MCG. Mais rien n’a été dit sur un fait pourtant historique: Mauro Poggia est le premier sénateur musulman de Suisse.
Il faut dire que l’élu n’a jamais fait de sa confession une cause. Né à Moutier (JU) dans une famille italienne originaire du Piémont, c’est par amour que le politicien a adopté la religion de son épouse, au milieu des années 1990.
Nullement pratiquant
Candidat (malheureux) en 2008 au Sénat de la Botte sur une liste de l’ancienne Démocratie chrétienne italienne, il s’expliquait l’année d’après, alors fraîchement élu au Grand Conseil du bout du Léman. «Je ne revendique nullement d’être un musulman pratiquant et encore moins militant, confiait-il au 'Matin', devenu depuis lematin.ch. Ma conversion à l’islam est uniquement liée à mon histoire de famille.»
Dès 2013, l’avocat, défenseur des assurés, passe dix ans à l’exécutif genevois. Les séquelles de l’affaire Maudet font de lui le chef d’un département mammouth réunissant la santé, l’emploi et la sécurité. Fidèle à sa volonté de ne pas mélanger sphère privée et image publique, sa foi n’est jamais un sujet. Financement de la mosquée de la cité de Calvin, vote de la loi sur la laïcité… Les occasions s’enchaînent, mais c’est le politicien qui répond, sans faillir. L’homme musulman est inconnu du grand public.
«Ma confession n’a jamais été mise en avant»
Contacté ce mercredi 15 novembre, Mauro Poggia exprime à Blick, par écrit, les raisons de cette ferme séparation. «Le fait de parler d’un sujet intime, qui regarde mes convictions personnelles, en l’occurrence ma foi, et qui n’empiète pas sur mon action politique, tout en affirmant que je ne souhaite pas en parler, est évidemment paradoxal», lance d’entrée de jeu le sénateur.
Fait marquant que rappelle le politicien: il a été responsable de la laïcité de l’État lorsqu’il était au gouvernement. «Ma confession n’a jamais été mise en avant, même pour critiquer mes décisions, ce qui démontre qu’aucun lien n’a jamais été fait avec ces décisions», appuie-t-il.
Mauro Poggia, au moment de différencier ses convictions religieuses et politiques, réaffirme son attachement à cet État laïc. «Savoir si je suis croyant, ou même 'un bon croyant' aux yeux de certains, ne devrait intéresser personne. Par contre, savoir si je suis un honnête homme, est beaucoup plus important pour faire de la politique, quelle que soit la foi, ou l’absence de foi de celui qui s’engage dans cette action au service de la collectivité.»
Le conseiller aux États fraîchement élu laisse les personnes qui ont voté pour lui répondre à cette question. Ces dernières «considèrent en tout cas que je suis digne de leur confiance et je m’efforcerai à ce que cela soit toujours le cas». Après quelques lignes, il tranche: «Vous comprendrez dès lors que je n’entende pas alimenter un sujet qui ne concerne pas l’homme politique que je suis, même s’il contribue à ce que je sois ce que je suis.»
«Foucades antifrontaliers»
L’analyse de l’historien proche du Parti libéral-radical (PLR) Olivier Meuwly, spécialiste des médias et des partis politiques, épouse les positions de l’élu. «S’il avait voulu militer dans un sens ou dans l’autre, en rapport avec sa confession, il l’aurait fait depuis longtemps. Il s’agirait d’un virage, qui n’est pas forcément prévisible aujourd’hui.»
Son constat est clair: «Ça n’est pas comme représentant d’une minorité que Mauro Poggia a gagné en réputation au Conseil d’État genevois, estime le Vaudois. Si les musulmans veulent se sentir représentés, il faudra attendre un autre élu.» C’est, toujours d'après l’historien, plutôt pour son appartenance à un parti «aux foucades antifrontaliers» qu’est connu le sénateur.
Il constate aussi un biais politico-médiatique. «Si une personne issue d’une minorité est élue à gauche, elle devient porte-parole d’une cause. Si elle est de droite, tout le monde s’en fiche. Si Mauro Poggia avait été de gauche, peut-être en aurait-il fait un combat?»